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Attention à cette vidéo ancienne censée montrer Bachar el-Assad en promenade dans les rues de Damas

Depuis le 25 avril, plusieurs comptes partagent une vidéo censée montrer Bachar el-Assad en plein bain de foule sans escorte dans les rues de Damas. Mais cette vidéo est ancienne, et montre en réalité une visite du chef du régime syrien lors d’un évènement sécurisé.

Plusieurs utilisateurs de Twitter et Facebook prétendent démontrer la popularité de Bachar el-Assad au sein de la population syrienne grâce à cette vidéo. En réalité, il s’agit d’un contenu de propagande, enregistré dans un cadre sécurisé.
Plusieurs utilisateurs de Twitter et Facebook prétendent démontrer la popularité de Bachar el-Assad au sein de la population syrienne grâce à cette vidéo. En réalité, il s’agit d’un contenu de propagande, enregistré dans un cadre sécurisé. © Observateurs
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La vérification en bref

  • Depuis le 25 avril, plusieurs comptes relaient une vidéo de Bachar el-Assad, censée montrer le président syrien en plein bain de foule dans les rues de Damas, sans escorte. 
  • Ces comptes utilisent cette vidéo pour affirmer qu’Assad jouirait d’une grande popularité dans la population syrienne, qu’ils comparent avec l’impopularité supposée de dirigeants occidentaux comme Emmanuel Macron.
  • En réalité, cette vidéo date de 2017. Sa géolocalisation permet de montrer qu’elle a été tournée dans un quartier sécurisé de Damas, au cours d’un événement officiel. 

Le détail de la vérification

Sur ces images qui semblent tirées d’une vidéo TikTok, on peut voir le président syrien Bachar al-Assad, tout sourire, serrant la main des passants dans un décor en extérieur, puis à l’intérieur d’une salle où s’étalent de nombreux stands. Une légende prétend préciser la nature de la scène : “Le président syrien Bachar al-Assad se promène tranquillement sans gardes”, affirme-t-elle.

Pour plusieurs comptes anglophones, la vidéo prouverait la popularité du chef du régime syrien parmi la population. “Ne croyez rien de ce que l’on vous raconte sur la Syrie, ce ne sont que des mensonges !” affirme ainsi ce compte, qui relaie aussi régulièrement de la propagande pro-russe, dans une publication du 25 avril vue plus de 120 000 fois. 

Ce compte anglophone fait partie des premiers à avoir partagé récemment cette vidéo, le 25 avril.
Ce compte anglophone fait partie des premiers à avoir partagé récemment cette vidéo, le 25 avril. © Twitter

Certains effectuent même des comparaisons avec les dirigeants de pays occidentaux, pour montrer que la popularité du dictateur syrien serait plus importante que celle d’autres chefs d'État. 

Le 2 mai, ce compte anglophone d’extrême droite met en parallèle l’extrait vidéo d’Assad avec un montage montrant plusieurs coups et projectiles reçus par Emmanuel Macron lors de bains de foule. 

Pour ce compte anglophone d'extrême droite, le montage qu'il partage le 2 mai montre qu'Assad jouit d'une plus grande popularité en Syrie qu'Emmanuel Macron en France.
Pour ce compte anglophone d'extrême droite, le montage qu'il partage le 2 mai montre qu'Assad jouit d'une plus grande popularité en Syrie qu'Emmanuel Macron en France. © Twitter/@MyLordBebo

La vidéo a aussi été reprise par plusieurs comptes francophones opposés au président de la République française, comme dans ces deux exemples, en date respectivement du 2 et du 5 mai.

Les comptes francophones qui diffusent cette vidéo reprennent la comparaison entre le dictateur syrien et le président français.
Les comptes francophones qui diffusent cette vidéo reprennent la comparaison entre le dictateur syrien et le président français. © Observateurs

 

Une vidéo de 2017 venant de la présidence syrienne

Pour en savoir plus, il est d’abord possible de rechercher le nom d’utilisateur TikTok présent sur les images.

Il s’agit d’un compte de propagande, qui publie régulièrement des contenus élogieux sur le président syrien, et des vidéos appuyant la vision du régime de Damas sur l’actualité. 

Sur ce compte TikTok, qui n'est plus actif depuis février, on trouve nombre de vidéos reprenant la propagande du régime de Damas, en anglais et en arabe.
Sur ce compte TikTok, qui n'est plus actif depuis février, on trouve nombre de vidéos reprenant la propagande du régime de Damas, en anglais et en arabe. © TikTok/m.syria.alassad

 

La vidéo relayée par les utilisateurs Twitter n’est pourtant pas récente : elle a été publiée le 5 juillet 2022. 

Sur ce compte, on retrouve bien la même vidéo que sur les publications Twitter : elle date en fait de 2022.
Sur ce compte, on retrouve bien la même vidéo que sur les publications Twitter : elle date en fait de 2022. © TikTok/m.syria.alassad

 

Mais les événements qu’elle montre, eux, sont encore plus anciens. 

Grâce à une recherche par l’outil InVID WeVerify (voir ici comment procéder), on retrouve des occurrences de la même vidéo, sans la légende et l’habillage du réseau social TikTok. 

Ce tweet de juin 2017, publié par un compte officiel de la présidence syrienne, affirme ainsi que la vidéo montre Bachar al-Assad en visite au “festival du shopping ‘Made in Syria’”. On retrouve l’extrait associé au même événement dans cet article de presse locale, en date du 8 juin 2017.

D’autres images de cette visite existent, comme dans cet article de l’agence de presse iranienne Tasnim. On y apprend que l'événement se serait tenu dans la “salle al-Jalaa”, au sein du quartier damascène de Mezzeh. 

Pas un bain de foule en pleine rue, mais une visite lors d’un évènement en lieu clos

À l’aide de ces informations, il est possible de géolocaliser précisément les lieux visibles dans la vidéo. Lorsqu’on tape “صالة الجلاء” (salle al-Jalaa en arabe) dans Google Maps, on trouve un résultat qui se trouve bien dans le quartier de Mezzeh. 

Dans le quartier de Mezzeh, on trouve bien une salle al-Jalaa, à proximité d'un stade du même nom.
Dans le quartier de Mezzeh, on trouve bien une salle al-Jalaa, à proximité d'un stade du même nom. © Observateurs

 

Des clichés à 360° de cette salle, qui semble accueillir régulièrement des évènements publics, sont disponibles. On y reconnaît facilement le lieu où a été tournée la vidéo de Bachar al-Assad. 

Grâce aux photos disponibles en accès libre sur Google Maps, on s'aperçoit que la vidéo a bien été tournée dans cette salle al-Jalaa : on reconnaît le plafond aux couleurs du drapeau syrien, la peinture verte des murs, et le portrait monumental d'Hafez al-Assad, le père de Bachar.
Grâce aux photos disponibles en accès libre sur Google Maps, on s'aperçoit que la vidéo a bien été tournée dans cette salle al-Jalaa : on reconnaît le plafond aux couleurs du drapeau syrien, la peinture verte des murs, et le portrait monumental d'Hafez al-Assad, le père de Bachar. © Observateurs

 

Sur les séquences en extérieur, on peut voir le président syrien passer sous un panneau indiquant la faculté d’ingénierie informatique de l’Arab International University. 

Sur ce panneau, on reconnaît le logo de l'Arab International University, une université privée syrienne, et la mention en arabe "faculté d’ingénierie informatique".
Sur ce panneau, on reconnaît le logo de l'Arab International University, une université privée syrienne, et la mention en arabe "faculté d’ingénierie informatique". © Observateurs

 

Ce bâtiment se trouve juste derrière la salle al-Jalaa : les passages en extérieur ont donc également été tournés à proximité de cette salle, sans doute lors de la même visite.

Sur Google Maps, on peut s'apercevoir que la faculté d'ingénierie informatique de l'AIU (en blanc) et la salle al-Jalaa (en rose) sont mitoyennes. Toute la vidéo a donc été tournée au même endroit.
Sur Google Maps, on peut s'apercevoir que la faculté d'ingénierie informatique de l'AIU (en blanc) et la salle al-Jalaa (en rose) sont mitoyennes. Toute la vidéo a donc été tournée au même endroit. © Observateurs

 

Cette séquence n’a donc rien d’un bain de foule en pleine rue : elle a été tournée lors d’un événement officiel, organisé par “la chambre d’industrie de Damas”, comme le précise cet article d’un média local.

Le président syrien ne se trouve pas sur la voie publique, mais dans un complexe sportif et universitaire facile à sécuriser. Comme on peut le voir sur ces images tirées de Google Earth, datant de quelques semaines après l'événement, la salle al-Jalaa n’est accessible que par quelques points de passage depuis la rue.

Comme on peut le voir sur des images satellites prises quelques semaines après la visite de Bachar al-Assad sur les lieux, seuls 6 points de passage permettent d'accéder à la salle al-Jalaa. Il s'agit d'un périmètre clos, facile à sécuriser et à isoler de la rue.
Comme on peut le voir sur des images satellites prises quelques semaines après la visite de Bachar al-Assad sur les lieux, seuls 6 points de passage permettent d'accéder à la salle al-Jalaa. Il s'agit d'un périmètre clos, facile à sécuriser et à isoler de la rue. © Observateurs

Elle se situe par ailleurs au cœur d’un quartier extrêmement sécurisé, qui accueille de nombreux bâtiments officiels, des ambassades, et un aéroport militaire. On y trouve même le siège du Service de renseignement de l’armée de l’air, une des principales organisations de sécurité du pays connue pour ses méthodes brutales et son usage systématique de la torture dans ses centres de détention.

Des gardes du corps en civil visibles

Pour Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie et chercheur à l'Institut de Recherches et d'Études sur les Mondes Arabes et Musulmans, à qui la rédaction des Observateurs de France 24 a montré cette vidéo, Bachar al-Assad est familier de ce type de rencontres avec une population triée sur le volet. 

Ce type de séquences a toujours fait partie de sa communication, cela crée une fiction selon laquelle il serait proche du peuple. Avant la guerre, par exemple, il organisait régulièrement des visites surprises dans des restaurants. Dans ce cas précis, la sécurité a sans douté été renforcée, avec des gardes à l’entrée, et un filtrage des participants. D’ailleurs, on remarque qu’il y a assez peu de monde.

Pourtant, les publications relayant cette vidéo affirment que le président syrien se serait déplacé sur la voie publique sans garde du corps.

Mais sur la version de la vidéo diffusée par la présidence, on repère par deux fois un homme, qui semble suivre Bachar al-Assad et le fixer avec attention.

 

À quelques mètres derrière Bachar al-Assad, lors de son entrée dans la salle al-Jalaa, on repère un homme au comportement étrange. Il ne quitte pas le président syrien des yeux, et semble sur ses gardes.
À quelques mètres derrière Bachar al-Assad, lors de son entrée dans la salle al-Jalaa, on repère un homme au comportement étrange. Il ne quitte pas le président syrien des yeux, et semble sur ses gardes. © Observateurs

 

Grâce à son polo rayé à col noir, très reconnaissable, il est possible de chercher cet homme dans la vidéo diffusée par ce site syrien, qui contient des plans coupés au montage par la présidence.

On s’aperçoit qu’il suit Bachar al-Assad tout au long de son parcours. Si rien ne permet avec certitude d’affirmer qu’il s’agit d’un garde du corps, son attitude et sa façon de se tenir à quelques mètres du président syrien laissent penser qu’il pourrait en être un.

Sur la vidéo plus longue de ce média syrien, la chose est encore plus flagrante : l'homme suit Bachar al-Assad tout au long de son parcours, avec d'autres hommes habillés en civil. Il semble bien y avoir des gardes du corps à cet évènement.
Sur la vidéo plus longue de ce média syrien, la chose est encore plus flagrante : l'homme suit Bachar al-Assad tout au long de son parcours, avec d'autres hommes habillés en civil. Il semble bien y avoir des gardes du corps à cet évènement. © Observateurs

La vidéo ne montre donc pas le président syrien lors d’un bain de foule en pleine rue, comme l’affirment les comptes qui la relaient. Elle a été prise lors d’un événement officiel, dans un cadre sécurisé, où Bachar al-Assad déambulait probablement sous haute protection.

Ces images circulent alors que la Syrie va officiellement réintégrer la Ligue arabe après en avoir été écartée en 2011 après la répression d'un soulèvement populaire ayant dégénéré en guerre dévastatrice. Durant ce conflit, le régime de Damas dirigé par Bachar al-Assad a été condamné pour ses nombreux crimes de guerre et exactions commis tant sur des combattants que sur des civils.