Hiver glacial en Iran (2/2) : faute de gaz, le pays étouffe sous la pollution au mazout

L'usine d'aluminium de Jajarm, située à 9 km à l'est de la ville de Jajarm, émet une épaisse fumée après avoir brûlé du mazout, plutôt que du gaz, pour faire fonctionner les machines de cette usine. La vidéo a été publiée le 26 janvier.
L'usine d'aluminium de Jajarm, située à 9 km à l'est de la ville de Jajarm, émet une épaisse fumée après avoir brûlé du mazout, plutôt que du gaz, pour faire fonctionner les machines de cette usine. La vidéo a été publiée le 26 janvier. © Observers

Depuis plusieurs semaines, l'Iran est frappé par une vague de froid, qui engendre des coupures de gaz et par ricochet des coupures de courant. Outre l’impact sur le confort quotidien, cet hiver glacial a un impact sur la santé des Iraniens : les autorités font tourner les moteurs des centrales électriques pour produire autant d'électricité que possible en brûlant du mazout, un fioul lourd polluant, et l’impact sur la qualité de l’air est manifeste avec des pics de pollution réguliers. 

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Le mazout a l'avantage d'être bon marché, mais de faible qualité. Ses méfaits sont aussi connus et les autorités iraniennes tentent de cacher qu'elles y recourent. Dariush Gollizadeh, l'un des adjoints du ministère de l'Environnement, a ainsi déclaré le 9 octobre 2022 : "Nous avions prévu de ne pas brûler de mazout dans les centrales électriques cette année". Parviz Sarvari, membre du conseil municipal de Téhéran, a de son côté affirmé le 16 décembre 2022 : "Les centrales électriques ne brûlent pas de mazout dans la province de Téhéran".

>> LIRE LA PREMIÈRE PARTIE DE NOTRE ENQUÊTE : Hiver glacial en Iran (1/2) : les coupures de gaz et d'électricité aggravent les tensions

 

Une épaisse fumée s'élève de la centrale électrique de Qaem, à cause de la combustion de mazout. La centrale électrique de Qaem est située dans la ville de Fardis, à 40 km à l'ouest de Téhéran.

 

“Presque toutes les centrales électriques semblent ne brûler que du mazout”

Termeh [pseudonyme] est une spécialiste de l'environnement à Téhéran. Elle explique que la fumée qui rend l'air des villes iraniennes "irrespirable" provient en partie des centrales électriques qui brûlent du mazout, parfois dans le déni total des autorités.

Les autorités le nient, mais les pics de pollution atmosphérique dans le sud de Téhéran et dans de nombreuses autres villes proches de centrales électriques montrent que le mazout y est brûlé. Ces dernières années, certaines centrales électriques brûlaient parfois du mazout lorsqu'elles n'avaient pas assez de gaz, mais cette année, presque toutes les centrales électriques semblent ne brûler que du mazout sans interruption. La mauvaise qualité de l'air cette année en est un autre indice. 

Les niveaux plus élevés de particules fines dans l'air ne peuvent avoir d'autre cause que la combustion du mazout. [Les particules fines PM2,5 et PM10 sont des polluants atmosphériques qui,  à des niveaux élevés dans l'air, mettent en danger la santé humaine. Elles réduisent la visibilité et donnent à l'air une apparence trouble lorsque les niveaux sont élevés, NDLR]. L'air de Téhéran n'a pas été bon depuis le 28 mars 2022. Selon une étude de l'université de Téhéran, au moins 40 000 Iraniens meurent chaque année à cause de la pollution par les PM2,5."

 

L'usine d'aluminium de Jajarm, située à 9 km à l'est de la ville de Jajarm, émet une épaisse fumée après avoir brûlé du mazout, plutôt que du gaz, pour faire fonctionner les machines de cette usine. La vidéo a été publiée le 26 janvier.

 

La rédaction des Observateurs de France 24 a pu trouver des preuves de l'utilisation massive du mazout dans les nombreuses centrales électriques iraniennes, comme le soupçonne notre Observatrice et d'autres écologistes iraniens, en se basant sur des images et des données satellites.

Le mazout est connu pour dégager une fumée blanche dense lorsqu'il brûle, alors que la vaporisation qui se produit lors de la combustion du gaz naturel est presque invisible.

Si l'on compare les images satellite des cheminées des centrales iraniennes en janvier 2023, quand elles brûlent supposément du mazout, et en été 2022, quand elles ne sont pas censées le faire, la différence est flagrante.

A l'été 2022, aucune trace de fumée blanche n'est visible au-dessus des cheminées de la centrale, mais en janvier 2023, une fumée blanche dense est visible sur les images satellites.

 

Les photos ci-dessus montrent la centrale électrique de Mashhad, dans le nord-est de l'Iran. La photo de droite date d'octobre 2022, celle de gauche de janvier 2023. Sur la deuxième photo, on peut voir une épaisse fumée provenant du mazout sur la photo satellite. Les photos ci-dessous montrent la centrale électrique d'Iranshahr, dans le sud-est de l'Iran. La photo de droite a été prise l'été dernier, celle de gauche en janvier 2023. L'épaisse fumée sur la dernière photo résulte de la combustion du mazout dans cette centrale électrique.
Les photos ci-dessus montrent la centrale électrique de Mashhad, dans le nord-est de l'Iran. La photo de droite date d'octobre 2022, celle de gauche de janvier 2023. Sur la deuxième photo, on peut voir une épaisse fumée provenant du mazout sur la photo satellite. Les photos ci-dessous montrent la centrale électrique d'Iranshahr, dans le sud-est de l'Iran. La photo de droite a été prise l'été dernier, celle de gauche en janvier 2023. L'épaisse fumée sur la dernière photo résulte de la combustion du mazout dans cette centrale électrique. © Observers Sentinel

 

" Ceci est le résultat de décennies de mauvaise gestion"

Termeh, notre Observatrice à Téhéran, poursuit :

"La combustion du mazout en si grande quantité a un impact important sur l'environnement. Lorsque le mazout est brûlé, les centrales électriques rejettent des particules fines extrêmement dangereuses pour tous les êtres vivants.

Le mazout contient des quantités importantes de soufre et libère du dioxyde de soufre toxique dans l'air lorsqu'il est brûlé. Ces produits chimiques toxiques sont dangereux pour les humains, les animaux et les plantes, et provoquent également des pluies acides. Malheureusement, nous ne savons pas quelle est l'ampleur réelle du problème, car il n'existe pas d'étude complète sur ce sujet pour l'ensemble de l'Iran. Nous ne disposons que de quelques mesures aléatoires de la pollution due à la combustion du mazout. Selon une étude, par exemple, la concentration de dioxyde de soufre dans l'air à Ispahan atteint 1200 parties par millions [ppm, qui indique combien molécules de polluant se trouve sur un million de molécules d'air, NDLR]) en 24 heures lorsque la centrale électrique d'Ispahan brûle du mazout, alors que la norme pour une journé est de 50 ppm."

 

Les photos ci-dessus montrent une centrale électrique dans le sud-est de Téhéran. La photo de droite a été prise en décembre 2022, et une épaisse fumée blanche est visible sur les images satellite.
L'autre photo, à gauche, a été prise en octobre 2022.
Les photos ci-dessous montrent la centrale d'Isfahan, dans le centre de l'Iran. La photo de gauche a été prise l'été dernier, celle de droite en janvier 2023. La fumée épaisse sur la dernière photo est le résultat de la combustion du mazout dans cette centrale électrique.The photos above show a power plant in southeast Tehran. The photo on the right was taken in December 2022, and a dense white smoke can be seen on the satellite images.
The other photo on the left was taken in October 2022.
The photos below show the Isfahan power plant in central Iran. The photo on the left was taken last summer, the one on the right in January 2023. The heavy smoke in the last photo is the result of the burning of mazut in this power plant.
Les photos ci-dessus montrent une centrale électrique dans le sud-est de Téhéran. La photo de droite a été prise en décembre 2022, et une épaisse fumée blanche est visible sur les images satellite. L'autre photo, à gauche, a été prise en octobre 2022. Les photos ci-dessous montrent la centrale d'Isfahan, dans le centre de l'Iran. La photo de gauche a été prise l'été dernier, celle de droite en janvier 2023. La fumée épaisse sur la dernière photo est le résultat de la combustion du mazout dans cette centrale électrique.The photos above show a power plant in southeast Tehran. The photo on the right was taken in December 2022, and a dense white smoke can be seen on the satellite images. The other photo on the left was taken in October 2022. The photos below show the Isfahan power plant in central Iran. The photo on the left was taken last summer, the one on the right in January 2023. The heavy smoke in the last photo is the result of the burning of mazut in this power plant. © Observers Airbus

 

Notre rédaction a également comparé les données recueillies par les satellites sur la présence de dioxyde de soufre au-dessus des villes d'Iran durant l'été 2022 et en janvier 2023. Selon les détecteurs satellitaires capables de mesurer les niveaux de dioxyde de soufre dans l'air, la différence entre ces deux périodes est indiscutable.

 

L'image satellite de droite a été prise l'été dernier, celle de gauche a été prise en janvier 2023 de la région nord et centrale de l'Iran. La couleur rouge de ces images indique une concentration plus élevée de dioxyde de soufre dans l'air. La concentration de SO2 sur les photos de janvier au-dessus de villes comme Téhéran, Semnan, Qazvin, Mashhad et Ispahan est beaucoup plus élevée qu'en été.
L'image satellite de droite a été prise l'été dernier, celle de gauche a été prise en janvier 2023 de la région nord et centrale de l'Iran. La couleur rouge de ces images indique une concentration plus élevée de dioxyde de soufre dans l'air. La concentration de SO2 sur les photos de janvier au-dessus de villes comme Téhéran, Semnan, Qazvin, Mashhad et Ispahan est beaucoup plus élevée qu'en été. © Observers Sentinel

 

"Le problème de la pollution atmosphérique en Iran ne sera pas résolu à moins d'un changement politique"

Termeh ajoute :

"L'épaisse couche de pollution atmosphérique qui recouvre Téhéran et de nombreuses autres villes rend les gens malades. Marcher dans les rues est difficile, toute activité physique est insupportable, la toux, les maux de tête et les nausées ne sont que quelques-uns des effets à court terme, le cancer et de nombreux autres problèmes de santé à long terme et plus graves sont également inéluctables. Et ceci est le résultat de décennies de mauvaise gestion dans tous les secteurs de ce pays, qui ne peut être inversé par quelques changements limités.

Pour résoudre le problème de la pollution atmosphérique en Iran, il faut une nouvelle approche de la production d'énergie, une évolution vers des sources d'énergie propres, et ce changement nécessite bien sûr une ouverture au monde extérieur, aux investissements étrangers et aux technologies étrangères, et cela ne se produira pas en Iran à moins d'un changement politique."

 

"Les pénuries vont s'aggraver avec le temps"

C'est ce que souligne également le journaliste économique Reza Gheibi :

"Les ménages iraniens consomment plus de 700 millions de mètres cubes de gaz naturel par jour, alors que la production est de 850 millions de mètres cubes.

Cela signifie que les centrales électriques et de nombreuses autres industries qui consomment du gaz sont privées d'électricité. La production de nombreuses usines est à l'arrêt parce qu'elles n'ont pas assez de gaz. 

Lorsque les usines s'arrêtent de fonctionner, il y a moins de produits sur le marché, ce qui signifie que les prix vont continuer à augmenter. Et les perspectives sont sombres. Étant donné que, d'une part, il n'y a pas d'argent pour entretenir et moderniser les systèmes et que, d'autre part, la consommation augmente, les pénuries de gaz et d'énergie vont non seulement se poursuivre, mais aussi s'aggraver avec le temps. Pour remédier à cette situation, l'Iran a besoin de plus de 80 milliards d'euros, selon les estimations des responsables iraniens."