Les "Refuzniks", ces ados israéliens qui refusent de faire leur service militaire
Publié le :
Six adolescents israéliens se sont ouvertement opposés cet été à commencer leur service militaire obligatoire. Ils dénoncent le système "d’apartheid" et l’occupation des territoires palestiniens par leur pays. Leur refus leur a valu d’être emprisonnés à plusieurs reprises. L’un d’eux, tout juste sorti de prison et en attente d’une troisième peine, témoigne.
Ils ont 18 ou 19 ans et ont déjà passé plusieurs semaines en prison, pour s’être opposés aux politiques militaires et territoriales controversées de leur pays. Autoproclamés "refuzniks" [terme décrivant les personnes à qui le visa d'émigration était refusé par l'Union soviétique, principalement des Juifs, NDLR], Evyatar Moshe Rubin, Einat Gerlitz, Nave Shabtay Levin, Shahar Schwartz et Sliman Abu Ruken ont refusé ensemble publiquement d’honorer leur service militaire obligatoire en 2022. Ce n’est pas le premier refus pour la plupart d’entre eux, qui avaient déjà opposé individuellement leur refus depuis leur majorité.
Début août, l’ONG israélienne "Refuser solidarity network" alertait sur le cas d’Einat Gerlitz, 19 ans, qui purgeait une peine de 7 jours pour avoir refusé son enrôlement dans l’armée. Un mois plus tard, un autre adolescent, Shahar Schwartz, 18 ans, a officiellement refusé la conscription obligatoire, ce qui lui a valu une peine de prison de 20 jours. Ce sera la cinquième fois que ce jeune fait de la prison pour son refus d’intégrer l’armée.
Les six jeunes "refuzniks" purgent chacun leur peine à des périodes aléatoires, durant lesquelles ils sont libérés pendant un mois, puis sont réquisitionnés une seconde fois, refusent l’armée, refont de la prison, et ainsi de suite.
Aujourd’hui, l’un d’eux est libre, mais doit résider chez ses parents dans l’attente du prochain "appel" auquel il compte participer et exprimer de nouveau son refus public de faire son service obligatoire.
"Je ne pouvais plus soutenir le nettoyage ethnique que mon pays pratique"
Evyatar Moshe Rubin a 19 ans. Il a récemment quitté - pour la troisième fois - la prison militaire dans laquelle il a passé une vingtaine de jours. Au total, il aura purgé 47 jours en prison depuis sa majorité. Actuellement libre, il doit résider chez ses parents dans l’attente du prochain "appel" durant lequel il compte exprimer de nouveau son refus public de faire son service militaire.
J’ai opposé mon troisième refus au centre de recrutement le 5 septembre. Puis je suis passé devant un officier qui fait office de juge dans un tribunal militaire miniature. Puis, j’ai été envoyé en prison.
Ensuite, l’armée nous fixe une seconde date de conscription, pour nous dire :"C’est bon, tu as fait le rebelle, tu es allé en prison, maintenant arrête les bêtises et entame ton service militaire". Le processus se répète ainsi trois ou quatre fois jusqu’à ce que l’armée abandonne l’affaire et que la personne soit enfin libre.
L’armée tolère un délai de retard pour entamer une peine, ce dont nous profitons pour nous organiser entre refuseurs. Pour le moment, j’attends que deux autres refuseurs [Einat Gerlitz et Shahar Schwartz, NDLR] soient libérés de prison afin de synchroniser un mouvement de refus groupé la semaine prochaine.
Le service militaire en Israël est obligatoire pour tous les citoyens majeurs juifs, druzes ou circassiens, pour une durée de 32 mois pour les hommes et 24 mois pour les femmes. Certaines personnes peuvent bénéficier d’exemption si elles justifient de raisons médicales ou religieuses, comme appartenir aux communautés haredim ultra-orthodoxes. Entre 1998 et 2000, seulement 9,5 % des demandes d’exemptions pour "des raisons de conscience" ont été acceptées par l’armée.
Ce mouvement peut sembler bénin en Israël, mais des "refuseurs" s’opposent à la politique d'occupation depuis la création de l’État hébreu, en 1948, et sont sévèrement condamnés pour leurs engagements politiques.
En 2002, le mouvement a pris une tournure collective, mobilisant des centaines de jeunes et de réservistes israéliens qui avaient une lettre officielle appelant à ne pas "participer aux combats en Cisjordanie". Entre 2000 (date de la seconde Intifada) et 2002, 170 refuzniks ont été emprisonnés, pour beaucoup à plusieurs reprises. Aucun chiffre quant au nombre total de refuseurs mis en prison n’est disponible à ce jour.
J’ai rencontré des refuseurs "vétérans" de la vague de refus de 2002, et j’ai appris qu’ils ont purgé des peines d’un à deux ans de prison. Aujourd'hui, l’armée ne veut plus s’attirer l’attention des médias et de l'opinion publique, ce qui fait que nous accumulons au maximum 60 à 90 jours de prison au total, répartis sur plusieurs peines courtes.
Cette année, nous sommes six à opposer notre refus, ce qui est un chiffre relativement élevé, car en général il n’y a pas plus de deux ou trois refuseurs par an. Le mouvement des refuzniks en Israël, même s’il a des racines dans l’histoire de notre pays, reste marginal. Surtout, jusqu’à il y a quelques années, je n’étais pas au courant de l’existence même de ces activistes, ce qui rend difficile la continuité de ce mouvement. Aujourd’hui, en échangeant avec d’autres activistes, anciens comme jeunes, je suis conforté dans l’idée que notre combat a déjà été préparé.
Tout le monde en Israël a plus ou moins servi dans l’armée, comme mes parents ou mes oncles. Je n’ai pas du tout été exposé à des principes opposés à la politique israélienne en Cisjordanie, mais j’ai découvert ce mouvement sur internet, et j’ai réalisé au fur et à mesure que je ne pouvais plus soutenir le nettoyage ethnique que mon pays pratique depuis sa création. J’ai refusé de faire partie de ce système criminel.
Mes parents, bien qu’ils soient originaires d’une communauté ultra-orthodoxe, m’ont soutenu lorsque j’ai pris ma décision. Mais, par contre, Nave Levin [autre refuznik de 18 ans, NDLR], se retrouve dans une situation particulièrement délicate puisque son père est un haut officier de l’armée.
"Toute notre vie, on est nourri d’un récit unilatéral sur la création et le maintien de l’État d’Israël"
Je n’ai pas eu de réactions hostiles dans mon entourage, mais hier, alors que je marchais dans la rue, quelqu’un m’a crié dessus et m’a insulté en me faisant un doigt d’honneur. Il m’a peut-être reconnu d’une interview que j’ai donnée à une chaîne télé israélienne, ce qui serait positif !
Beaucoup d’Israéliens sont corrosifs quant à notre prise de position, mais il faut comprendre que pendant toute notre vie, on nous nourrit de mensonges et d’un récit unilatéral autour des circonstances de la création d’Israël et des horreurs commises contre les Juifs en Europe, mais personne ne parle du système d’apartheid de notre pays, de la brutalité crue dans laquelle sont plongés les policiers et les militaires afin de perpétuer le nettoyage ethnique et maintenir les fondamentaux de l’État.
L’armée n’a, à ce jour, pas réagi au mouvement des six "refusniks" de 2022. En 2020, un officier israélien avait menacé une prisonnière "refuznik", Hallel Rabin, de la placer dans une prison "bien plus désagréable" si une manifestation en soutien à sa cause se tenait, soulignant que "la manifestation présenterait une menace sécuritaire et ne devrait pas se tenir".