Egypte : la COP27, brève éclaircie pour les défenseurs des droits humains

Des activistes se sont rassemblés jeudi 10 novembre à Charm el Cheikh, en marge de la COP27, pour réclamer la libération des détenus politiques.
Des activistes se sont rassemblés jeudi 10 novembre à Charm el Cheikh, en marge de la COP27, pour réclamer la libération des détenus politiques. © @khalidabdalla

“Il n’y a pas de justice climatique sans droits humains”, lit-on sur une banderole brandie lors d’un rare rassemblement de protestation en Égypte, jeudi 10 novembre, à Charm el Cheickh, où se tient la COP27 jusqu'au 18 novembre. Des activistes veulent surfer sur la visibilité de la conférence pour réclamer la libération des détenus d’opinion en Égypte, en tête desquels Alaa Abdel-Fattah, alors que des appels à manifester au Caire vendredi 11 novembre, pour “libérer le pays”, se sont multipliés sur les réseaux sociaux.

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Vêtus de blanc comme les prisonniers égyptiens et poings levés, des activistes se sont rassemblés, jeudi 10 novembre, en marge de la COP27 à Charm el-Cheikh, pour demander la libération d’Alaa Abdel-Fattah et des autres détenus politiques.

Emprisonné depuis 2021, et surnommé l'icône de la révolution de 2011”, Alaa Abdel-Fattah a durci récemment sa grève de la faim entamée en avril, et annoncé qu’il arrêtait de s’hydrater afin de dénoncer les violations des droits humains en Égypte. Il est “sous traitement médical” selon la prison où il se trouve, ses proches craignant que cela implique qu’il soit nourri de force.

La conférence de presse de sa sœur, Sanaa Seif, à la COP27 a été chahutée lundi 7 novembre par Amr Darwich, un député pro-Sissi, qui lui reprochait de se “servir de l'Occident contre l'Égypte”. Le député a été contraint par le service de sécurité de l'ONU, organisateur du sommet sur le climat, à quitter la salle comme le montrent des vidéos de l’incident diffusées sur les réseaux sociaux. 

“Ne me touchez pas, vous êtes ici sur le territoire égyptien. Je lui ai posé une question, elle doit me répondre”, tonne le député pro-Sissi Amro Darwich face à un agent de sécurité de l’ONU qui l’invite à quitter la salle de conférence.  

 

Depuis, le débat sur les droits humains en Égypte est devenu central dans le sommet, selon des témoignages de journalistes présents sur place. Cette vidéo de Siobhán O'Grady, journaliste pour le Washington Post, montre une foule agglutinée devant le pavillon allemand, où Sanaa Seif  animait une conférence, mardi. “Il sera difficile pour un étranger de quitter la COP27 sans connaître le nom d'Alaa Abdel Fattah”, écrit la journaliste. 

La veille, lundi, trois journalistes égyptiennes, Iman Aouf, Rach Azb et Mouna Salim, investissaient les locaux du syndicat des journalistes, au Caire, pour y entamer une grève de la faim en solidarité avec “Alaa et tous les détenus d’opinion en Égypte.”  

“Nous les journalistes Imane Aouf, Mouna Salim, Racha Azb, déclarons entamer une grève de la faim au siège de notre syndicat, le Syndicat des journalistes égyptiens, en solidarité avec le détenu d’opinion Alaa Abdel Fattah, qui se bat contre la mort, et en solidarité avec tous les détenus d’opinion en Égypte” lit-on sur tweet. 

 

“Ces dernières semaines, des centaines de personnes ont été arrêtées” 

Benghazi Souleimene, chargé de campagne sur la Tunisie et l'Égypte au sein d'Amnesty International, déplore que la COP27 soit  une opération “greenwashing” menée par l’Égypte pour améliorer son image sur la question des droits de l’Homme. 

Ce qui est inquiétant c’est qu’avec la COP27, les autorités égyptiennes ont monté une opération de greenwashing pour montrer qu’elles sont ouvertes et soucieuses des droits de l’Homme. Elles ont annoncé par exemple que les manifestations seraient autorisées durant le sommet.  

En fait, ces manifestations sont soumises à des conditions strictes. Elles sont uniquement permises entre 10 h et 17 h, dans un périmètre prédéterminé à Charm El Cheikh. Il faut être détenteur du badge de la COP27 et prévenir les autorités 36 heures à l’avance. Le mot d’ordre doit être strictement lié au changement climatique.

Depuis fin octobre, des appels à manifester pour le vendredi 11 novembre, pour “libérer le pays” du régime de Abdelfattah al-Sissi, sont relayés sur les réseaux sociaux. Ces appels, souvent anonymes, sont publiés sous le hashtag “descends le 11 novembre pour libérer ton pays.” Les vidéos montrent les rues et les trottoirs, pendant qu’une personne hors champ prend la parole anonymement derrière le téléphone.

“Il faut sortir pour libérer le pays de l’injustice. (...) Si vous ne descendez pas le 11 nombre, on va continuer de vivre dans l'humiliation et la faim”, dit cet utilisateur.

 

“Non à l'injustice, aux Baltaguia [hommes de main payés par le pouvoir en place pour lutter contre l'opposition politique, NDLR], au gang qui nous contrôle”, clame cet utilisateur qui dit habiter à Embabeh, dans la gouvernorat de Guizeh.

 

“Nous les habitants de Mansourah et Damiette [villes situées respectivement à 120 et 200 kilomètres à l’est du Caire], nous allons sortir, le 11 novembre, inch allah”, affirme cette utilisatrice. 

 

Sous pression, les forces de l’ordre procèdent régulièrement à des fouilles sur les passants, pour vérifier si leurs téléphones contiennent des publications d’appels à manifester. Benghazi Souleimene poursuit :

En amont de la COP27, ces dernières semaines, des centaines de personnes ont été arrêtées et détenues dans le centre-ville du Caire, en lien avec ces appels. Il s’agit-là d’une tactique souvent utilisée par la police quand des manifestations sont annoncées.  La plupart ont été libérées dans les heures ou les jours qui ont suivi, mais certaines personnes ont été présentées à des procureurs, tandis que d'autres font toujours l'objet d'une disparition forcée.

Depuis avril 2022, les autorités égyptiennes ont libéré 766 prisonniers à la suite d’une grâce présidentielle. Pourtant, au cours de la même période, 1 540 personnes, soit le double, ont été arrêtées, selon Amnesty International. En 2021, l’ONG estimait à 60 000 le nombre de prisonniers d’opinion en Égypte.