Syrie : lourd bilan à Deraa, berceau de la résistance anti-régime, après 75 jours de blocus
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Depuis fin juin, la ville de Deraa, dans le sud de la Syrie, est le théâtre de combats entre des insurgés et l’armée syrienne. Durant 75 jours, des quartiers contrôlés par les rebelles ont été assiégés par l’armée, faisant plusieurs milliers de déplacés. Après l’échec d’une première trêve enfreinte par le régime début septembre, un second cessez-le-feu a été convenu le 5 septembre sous supervision russe. Notre Observateur décrit une ville qui peine à se remettre.
Située à l’extrême sud-ouest de la Syrie et proche des frontières israélienne, libanaise et jordanienne, la province de Deraa a été le berceau de la révolte contre le régime de Bachar al-Assad en 2011. Revenue entre les mains du régime depuis 2018, son vieux centre-ville “Deraa Al Balad” abrite à ce jour plusieurs groupes d’insurgés.
Depuis le 21 juin, Deraa subit un blocus étroit sur les provisions et les aides médicales, et vit au rythme de bombardements intensifs menés par les forces armées syriennes et des milices pro-iraniennes. En cause, la province rebelle a boycotté l’élection présidentielle – remportée sans surprise par le président Bachar al-Assad – en mai 2021.
Des images amateurs impressionnantes montrent des frappes aériennes, menées au moyen de missiles et de barils explosifs, un dispositif improvisé généralement lancé depuis un hélicoptère et interdit d’utilisation par le Conseil de sécurité des Nations unies. Entre le 29 juillet et le 31 août, 16 civils et 23 combattants ont été tués selon le Bureau de documentation des martyrs de Deraa. Les combats ont causé l’exode de plus de 38 000 déplacés et la destruction d’habitations, de monuments et de bâtiments publics.
Frappes dans le quartier d’Al Sadd avec des missiles syriens de type Éléphant, le 28 août 2021, rapporte l’auteur de cette vidéo publiée sur Facebook.
Le 1er septembre, une trêve a été convenue entre l’armée syrienne et les insurgés armés de la province. Elle a été enfreinte le jour même par les forces du régime à coups de bombardements intensifs visant certains quartiers considérés comme des fiefs des rebelles armés, notamment les quartiers Deraa Al Balad et Al Sadd.
Frappe aérienne sur le vieux centre de Deraa Al Balad le 1er septembre 2021.
Un second cessez-le-feu a été convenu le 5 septembre, avec la participation du ministre adjoint des Affaires étrangères et de la police militaire russe.
“Les forces du régime ont empêché le ravitaillement en nourriture, en eau et en électricité”
Ayman Abu Noqta est le porte-parole de “Horan Free League”, un collectif de la province de Deraa cherchant à témoigner de la situation au niveau national et international. En attendant que le blocus imposé à la ville cesse, il décrit une détresse humanitaire aiguë :
La veille du cessez-le-feu, le 4 septembre, les bombardements ont recommencé vers minuit avec des missiles sol-sol de type Sejil [missile iranien de moyenne portée, NDLR] en plus d’une centaine d’obus d’artillerie, d’obus de réservoir et de lance-roquettes qui ont été documentés. Ces bombes ont ciblé le centre-ville de Deraa al Balad, le quartier d’Al Sadd et le camp de réfugiés palestiniens situé aux abords de la ville. Les tirs de roquettes ont tué plusieurs civils et au moins trois combattants ce soir-là.
Dans cette vidéo tournée le 26 août 2021 à Tafas, à 13 km au nord de Deraa, l’auteur annonce “plus de 20 roquettes [lancées] à Tafas”.
Nous avons compté 253 missiles de type sol-sol et les roquettes de type Golan [type de roquette russe perfectionné par le régime syrien en 2018, NDLR] qui ont frappé Deraa durant 75 jours de siège. Les milices de la 4e division, [division d’élite de l’armée syrienne visée par une plainte de crimes contre l’humanité commis en 2013, NDLR] ont un contrôle absolu sur certains quartiers de la ville, et les habitants ne pouvaient pas évacuer ces zones.
Cette vidéo postée le 1er septembre sur Facebook montre les dégâts qu’ont subi la mosquée Mansour de Deraa Al Balad et des habitations après des bombardements menés par l’armée syrienne.
La situation humanitaire est catastrophique : des maisons et des commerces tenus par des civils sont entièrement détruits ainsi que des bâtiments publics. Des dizaines de milliers d’habitants ont dû quitter la province en juillet et août pour aller se réfugier chez leurs proches dans la campagne de Deraa. La ville a vécu près d’un mois et demi sans ressources alimentaires et sans médicaments ou nécessaire médical de premiers secours. Nous avons recensé des victimes qui ont succombé à leurs blessures à cause de cela. Les forces du régime empêchent le ravitaillement en nourriture, en eau et en électricité. Il y a une pénurie totale de farine depuis un mois et demi par exemple.
L’auteur de cette vidéo pleure la disparition des siens et de tous les habitants de son quartier, et de la destruction de sa ville.
“Nous pensons que le régime respectera cette nouvelle trêve”
La nouvelle trêve du 5 septembre accorde au régime l'installation de quatre checkpoints supplémentaires et oblige les insurgés souhaitant rester à Deraa à remettre leurs armes de petit et moyen calibre. Les forces du régime ont aussi le droit de fouiller les maisons de civils, en présence de la police militaire russe et des membres du comité de négociation de Deraa. Le 6 septembre, 150 personnes déportées de Deraa ont régularisé leur situation auprès des autorités pour regagner leurs maisons. Enfin, tous les renforts militaires de la 4e division sont censés évacuer la province et mettre fin au siège dès que les termes de l’accord seront appliqués.
L'auteur de cette vidéo, un habitant de Deraa, se réjouit de l'arrivée des troupes russes dans la ville le premier jour de la trêve, le 1er septembre 2021.
Les prochains jours, nous attendons l’ouverture des routes menant à Deraa Al Balad, encore assiégé, et le retrait des forces armées, ce qui enclenchera le retour progressif des déplacés ainsi que la poursuite de la régularisation des déportés et des insurgés recherchés par le régime. Nous pensons que le régime respectera cette nouvelle trêve puisque Moscou met la pression aux autorités syriennes. Des comités civils de quartier commencent à préparer le retour des déplacés et aider les habitants à restaurer les habitations détruites, nous avons grand besoin d’aides humanitaires nationales et internationales.
Malgré la trêve, les forces armées du régime ont arrêté dans la soirée du 6 septembre des opposants civils dans la campagne de Deraa. En un mois, 44 civils ont été arrêtés, dont 14 libérés en août.