Iran : une vidéo révèle le problème croissant de la toxicomanie de rue

Capture d'écran d'une vidéo publiée le 16 mai et montrant des personnes en train de se droguer dans une rue du sud de la capitale Téhéran.
Capture d'écran d'une vidéo publiée le 16 mai et montrant des personnes en train de se droguer dans une rue du sud de la capitale Téhéran. © Observateurs

Certains inhalent des amphétamines, d’autres s’injectent de l’héroïne : une vidéo publiée sur Telegram le 16 mai montre des dizaines d'hommes et de femmes en train de consommer diverses drogues dures dans une rue de Téhéran. La scène a choqué sur les réseaux sociaux iraniens, mais elle illustre, selon nos Observateurs, un phénomène croissant d’addiction en Iran, de plus en plus visible dans les rues du sud de la capitale.

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La vidéo de deux minutes montre des gens déambuler dans un quartier de Téhéran, manger, jouer… pendant que d’autres consomment de la drogue, en pleine rue. La scène a été filmée sur l’allée Neshati, près de la place Shush, un des principaux carrefours du sud de Téhéran.

Malgré les protestations de certains des consommateurs de drogue dans la rue, la personne derrière le téléphone continue de filmer, expliquant : "C’est mon quartier, je fais ce que je veux, et si vous n’êtes pas contents, vous pouvez partir." La date exacte du moment où cette vidéo a été tournée reste incertaine, mais elle témoigne d’une réalité dans ce quartier défavorisé devenu depuis près de deux ans le repaire de nombreux toxicomanes, pour beaucoup sans abri.

L'allée Neshati se trouve près de la place Shush, un des principaux carrefours de Téhéran.
L'allée Neshati se trouve près de la place Shush, un des principaux carrefours de Téhéran. © Maxar

L'Iran compte environ 5 millions de consommateurs de drogue et, selon les sources officielles, 4 000 personnes meurent chaque année d'une overdose. Il est estimé qu’une personne sur 16 a déjà consommé de la drogue.

"Toutes les personnes qui jusqu’alors vivaient dans des parcs se sont rassemblées sur les places principales"

Sima (pseudonyme), une journaliste iranienne, a travaillé pendant plusieurs années sur la toxicomanie en Iran. Elle explique pourquoi ce phénomène est de plus en plus visible à Téhéran :

Selon certaines estimations, l’Iran compte environ 64 000 personnes toxicomanes et sans abri. Dans le sud de Téhéran, des parcs et des quartiers sont depuis plusieurs décennies connus comme des lieux de rassemblement pour les consommateurs de drogue. C’est le cas du quartier pauvre de Darvazeh Ghar ou du parc Harandi.

Il y a deux ans, la police a évacué les toxicomanes se trouvant dans ce parc et a installé des barrières tout autour, pour les empêcher de revenir s’y installer. Les personnes qui jusqu’alors vivaient dans des parcs se sont alors dirigées vers la place Shush [l’un des carrefours les plus fréquentés du sud de Téhéran, NDLR], dans le quartier où la vidéo a été prise.

Il n’est pas étonnant de rencontrer des toxicomanes dans le quartier de Shush, mais c’est devenu de plus en plus fréquent depuis les expulsions [menées dans d’autres quartiers, NDLR].

Ces gens sont pauvres et certains recourent à de petits vols pour se procurer de l’argent et acheter de la drogue – ce qui rend ces quartiers plus dangereux.

"Le nombre de personnes toxicomanes dépasse les capacités des ONG"

Si la consommation de drogue est devenue plus visible à Téhéran, les services sociaux iraniens estiment également que le nombre de sans-abri toxicomanes a doublé ces deux dernières années.

Souvent, ces consommateurs se regroupent à plusieurs, pour des raisons de sécurité ou pour des raisons économiques. Au bout d’un moment, ils forment comme une famille les uns pour les autres. Se regrouper leur permet d’accéder plus facilement à la drogue, les dealers n’ayant qu’à se rendre à un seul endroit. Malheureusement, ces usagers utilisent parfois les mêmes aiguilles.

La police n’est pas présente de manière régulière dans le quartier. Elle intervient seulement lors de raids ou d’expulsions ciblées et procède alors à des arrestations massives. Il arrive même que des passants, qui ne sont pas consommateurs de drogue, soient arrêtés.

Une vidéo publiée en juillet 2020, prise à Kerman, dans le sud-est de l'Iran, montre plusieurs personnes consommant de la drogue dans un parc.

Pour Sima, les organisations d’aide aux personnes en situation de dépendance en Iran ne disposent pas des ressources nécessaires pour faire face à la crise de la toxicomanie :

Il y a des ONG et des associations actives, mais le nombre de personnes toxicomanes dépasse leurs capacités logistiques et d’hébergement. Ces organisations s’occupent principalement de distribution alimentaire et fournissent des services médicaux et psychologiques limités.

Outre les ONG, il existe également des centres de traitement obligatoires : lorsque la police arrête des sans-abri toxicomanes, elle les envoie dans ces centres. Les conditions y sont horribles, avec des cas fréquents d’humiliation, de violence et parfois même des décès.

Certains toxicomanes sont passés une ou deux fois par ces centres de "désintox" peu efficaces [près de 80 % des toxicomanes rechutent après une cure de désintoxication, selon des experts iraniens, NDLR].

La seule méthode que nous utilisons en Iran pour lutter contre la toxicomanie, en particulier pour les personnes sans domicile en situation de dépendance, c’est la méthode policière basée sur les arrestations et la réinsertion forcée. Or, la toxicomanie est un problème plus large qui nécessite une solution globale au niveau économique et social.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Piscine gelée et coups de bâtons : en Iran, les cures de désintoxication entre torture et humiliations 

Selon les statistiques officielles, 70 % des prisonniers en Iran sont accusés de crimes liés à la drogue.

"Le temps moyen qu'il faut à quelqu'un pour acheter de la drogue en Iran, c'est environ 30 minutes"

En Iran, les drogues sont notamment rendues faciles d’accès et abordables en raison de la proximité avec l’Afghanistan, connu pour être le premier producteur mondial de drogue et surtout d’opium. Les consommateurs peuvent donc se fournir rapidement et à bas prix, comme l’explique Mona (pseudonyme), une autre journaliste iranienne qui travaille également sur les problèmes d'addiction aux drogues en Iran :

Selon plusieurs études, le temps moyen qu'il faut à quelqu'un pour acheter de la drogue en Iran, c'est environ 30 minutes. Le prix de l'opium varie entre 7 000 et 12 000 tomans par gramme [entre 0,26 et 0,46 €, NDLR]. Si l'on estime une consommation moyenne à cinq grammes par jour, cela coûte entre 35 000 et 60 000 tomans (moins de 3 euros par jour, NDLR). Cependant, les toxicomanes sans-abri consomment principalement des drogues beaucoup moins chères et beaucoup plus puissantes que l'opium.

Des drogues comme l'héroïne et les amphétamines peuvent s’acheter à des tarifs similaires dans les rues de Téhéran. Si le prix de la drogue est bien moins élevé que dans d’autres pays, sa consommation représente un coût certain en Iran, où le salaire minimum est d'environ 2,6 millions de tomans – soit près de 100 euros. "Pour gagner cet argent, les hommes volent ou organisent de faux accidents de voiture. Les femmes peuvent se tourner vers la prostitution", souligne Mona.

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Des vidéos montrent des individus feindre des accidents de voiture afin de collecter de l'argent auprès des conducteurs.

Selon les chiffres officiels, l'Iran a saisi plus de 1 200 tonnes de drogue en 2020, établissant un record mondial.

 

CORRECTION le 01/06 : FRANCE 24 a décidé de flouter les visages de toutes les personnes présentes dans cette vidéo pour protéger leur identité.