Tirs de joie en rafale après les législatives en Jordanie : "Je n’ai jamais vu un tel déferlement"

Captures d'écran de vidéos de tirs de joie relayées ces derniers jours sur les réseaux sociaux en Jordanie.
Captures d'écran de vidéos de tirs de joie relayées ces derniers jours sur les réseaux sociaux en Jordanie. © France 24

Un enfant qui tire en l’air au fusil automatique, une femme qui mitraille à la Kalachnikov vers le ciel depuis son balcon sur fond de roulements de tambours, des tirs fusant d’une foule en liesse et mêlés aux "youyous" : ce sont là quelques-unes des scènes de fête relayées sur les réseaux sociaux au lendemain des élections législatives tenues le 10 novembre en Jordanie. Après l’annonce des résultats, de nombreux partisans de candidats qui venaient d’être élus se sont adonnés à des tirs de célébration, provoquant la colère de nombreux Jordaniens, à l’instar de notre Observateur.

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Le jour et le lendemain du scrutin en Jordanie, plus de 50 000 membres des forces de sécurité étaient déployés dans les 12 gouvernorats pour s'assurer du bon déroulement des élections, et surtout pour veiller au respect des règles sanitaires en pleine crise du Covid-19, notamment l’interdiction des rassemblements de plus de 20 personnes. Mais ces mesures n’ont pas dissuadé les nombreux fêtards armés de fusils automatiques et autres armes de poing de s’en donner à cœur joie.

Parmi les candidats figuraient des représentants des principaux clans tribaux, des indépendants, ainsi que de riches hommes d'affaires.

Sur cette vidéo, on voit plusieurs hommes tirer des rafales de Kalachnikov, tandis que sur le capot et le pare-brise de l’une des voitures peintes en camouflage militaire, on aperçoit des banderoles au nom du candidat qu’ils soutiennent, "Mahmoud", issu du clan tribal Al-Mahamid, dans le gouvernorat de Ma'an, dans le sud du pays.

Traduction : "J’ai cru que c’était Jabhat al-Nosra", ironise cet internaute en référence à un groupe jihadiste en Syrie.

Sur cette autre vidéo, un enfant tire en l’air au fusil automatique.

Sur des airs de debka jordanienne, cette femme retire le cran de sécurité de sa Kalachnikov et tire une rafale.

Traduction : "L’émancipation de la femme", raille cet internaute.

Cette vidéo, relayée par notre Observateur Kadhim Amine, montre une foule portant un des candidats élus, alors qu'on entend des tirs de fusil automatique au milieu des youyous de femmes en liesse.

Traduction : "[...] Le gouvernement a décrété quatre jours de couvre-feu pour éviter ce genre de spectacle, mais en vain."

Sur ces images montées à la manière d’un vidéoclip, des partisans d’un des candidats paradent sur des pick-up, fusil à la main. La bande-son qui l’accompagne a eu beaucoup de succès les jours précédant le scrutin. "La cible est désignée et la Kalachnikov est prête... Préparez les cercueils", annonce le refrain. L’auteur de la chanson, un jeune Palestinien de Gaza, Abdallah al-Saaïda, a essuyé une volée de critiques, de nombreux Jordaniens l’accusant d’incitation à la violence. Le chanteur a dû s'excuser publiquement à la télévision, expliquant cependant que sa chanson était sortie bien avant ces élections et qu’elle n’avait rien à voir avec le scrutin. Sa vidéo a été vue plus de 6 millions de fois sur YouTube.

Traduction : "Si ce n’étaient pas les élections, j’aurais pensé que Daech avait envahi le pays."

Notre Observateur Kadhim Amine, un vendeur de parfum de 29 ans à Amman, s'est indigné sur Twitter de ces pratiques. Il explique cependant que ces scènes sont rares dans la capitale jordanienne :

Ces scènes de manifestation de joie ne sont pas issues de la capitale Amman, mais des autres gouvernorats où l'influence des clans tribaux est plus importante, comme le gouvernorat d'Irbid, celui de Ma’ane, le district de Badiah Shamaliyah et celui de Badiah Janoubiyah, en somme, parmi les populations bédouines.

Les armes à feu circulent parmi les clans tribaux depuis longtemps en Jordanie, c’est une tradition. Et il arrive que des gens tirent en l’air lors des fêtes de mariage ou quand un étudiant obtient son diplôme.

En revanche, je n’ai jamais vu autant de déferlement de tirs que durant ces derniers jours et de nombreux Jordaniens sont très étonnés et inquiets, comme moi. C’est d’autant plus incompréhensible que le permis de port d’arme est normalement encadré par la loi. Pour obtenir une arme, il faut notamment obtenir l’accord des services de sûreté générale et des services de renseignement.

En plus de l'interdiction des rassemblements de plus de 20 personnes, les autorités ont instauré un couvre-feu de quatre jours, entre 22 heures et 6 heures, à partir du 11 novembre, justement pour éviter ce genre de spectacle. Mais ces consignes ont été largement enfreintes comme le documentent les vidéos.   

Le roi Abdallah de Jordanie avait mis en garde il y a cinq ans déjà contre ce genre de pratiques, et avait promis des sanctions contre les contrevenants. Il avait déclaré : "Même si mon fils venait à tirer des coups de feu, des mesures seraient prises contre lui." Visiblement, il n’a pas été entendu.

Le 12 novembre, il a de nouveau condamné ce genre de célébrations dans un tweet, affirmant que la loi sera appliquée à tous, sans exception."

La Sûreté nationale a en effet annoncé sur sa page Facebook qu'elle allait arrêter toutes les personnes aperçues en train de tirer des coups de feu sur les vidéos qui ont circulé sur Internet ces derniers jours. Le porte-parole de la Sûreté générale a en outre indiqué, samedi 14 novembre, que 98 armes avaient été saisies, en majorité des armes automatiques.

Le chef de la Sûreté générale, Hussein Hawatmeh, a en outre indiqué à la chaîne de télévision jordanienne Al-Mamlaka TV que 18 parlementaires et 324 citoyens avaient été arrêtés. Selon les médias jordaniens, aucune victime de balle perdue n’est à déplorer.

Al-Mamlaka TV estime qu’entre 2013 et 2018, entre 1500 et 1869 personnes sont mortes dans des accidents de tirs de célébration.