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Attention à cette fausse offre d’emploi proposant aux Africains du Nord d’aller combattre en Ukraine

Depuis le 21 mai, plusieurs comptes relaient une annonce invitant les habitants des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à participer "à la contre-offensive ukrainienne", en échange d’un accès facilité à des nationalités occidentales. L’annonce est un faux, usurpant l’apparence d’un programme gouvernemental.

Dans sa publication du 21 mai, Silvano Trotta affirme qu’une offre d’emploi diffusée sur le site britannique Adzuna prouve que les pays occidentaux recrutent des mercenaires en Afrique et au Moyen-Orient au profit de l’Ukraine. Mais tout indique en réalité que cette annonce est une imposture.
Dans sa publication du 21 mai, Silvano Trotta affirme qu’une offre d’emploi diffusée sur le site britannique Adzuna prouve que les pays occidentaux recrutent des mercenaires en Afrique et au Moyen-Orient au profit de l’Ukraine. Mais tout indique en réalité que cette annonce est une imposture. © Observateurs
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La vérification en bref

  • Plusieurs comptes francophones s’indignent depuis le 21 mai d’une annonce qui semble recruter des combattants pour l’Ukraine dans des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, contre un accès garanti aux nationalités occidentales.
  • Cette annonce existe bien mais est un faux : elle a été publiée le 12 mai dernier sur le site britannique de recherche d’emploi Adzuna, et prétend provenir d’un "Programme de citoyenneté européenne" basé à Londres qui n’existe pas.
  • Les coordonnées données aux candidats sont fantaisistes, et les administrations britanniques et européennes nient qu’il soit possible d’acquérir la nationalité par de tels moyens.

Le détail de la vérification

Sur son compte Twitter, le blogueur complotiste Silvano Trotta pense avoir trouvé un indice montrant que les pays occidentaux recrutent des mercenaires pour l’Ukraine.

"Les Mondialistes passent des annonces en Afrique, pour attirer des pauvres gens à venir se battre pour l'Ukraine avec un fort salaire, et des papiers pour l'UE garantis après", affirme-t-il dans cette publication du 21 mai, retweetée plus de 2 600 fois.

Silvano Trotta est l'un des premiers francophones à avoir partagé cette offre publiée sur un site britannique.
Silvano Trotta est l'un des premiers francophones à avoir partagé cette offre publiée sur un site britannique. © Twitter

Sa preuve ? Une capture d’écran montrant une offre d’emploi sur un site nommé Adzuna. Si le titre de l’annonce évoque un emploi de "technicien de maintenance militaire", son texte, lui, est beaucoup plus étrange. "Nous invitons les citoyens du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à un programme volontaire pour aider l’Ukraine", explique l’annonce.

Le profil recherché : "des spécialistes militaires [...] pour participer à la contre-offensive ukrainienne", qui se verront proposer un "paiement contractuel élevé", mais aussi la "citoyenneté accélérée en Union européenne ou au Royaume-Uni", toujours selon l’annonce. Une description qui évoque clairement des activités de mercenaire, associées à un contrat de 20 000 livres, soit 23 000 euros.

La même capture d’écran a rapidement été relayée par plusieurs comptes. L’ancien candidat à l’élection présidentielle François Asselineau, qui relaie régulièrement de la propagande prorusse, s’en est ainsi fait l’écho le 23 mai, dans une publication vue plus de 100 000 fois. "Cette annonce pour recruter discrètement des mercenaires au Moyen-Orient, en leur faisant miroiter 23 000 euros et la citoyenneté européenne, est pathétique", s’insurge-t-il.

Pour l'homme politique François Asselineau, relais régulier de thèses conspirationnistes, l'Ukraine se cacherait directement derrière cette annonce, et chercherait par ce biais à recruter des mercenaires.
Pour l'homme politique François Asselineau, relais régulier de thèses conspirationnistes, l'Ukraine se cacherait directement derrière cette annonce, et chercherait par ce biais à recruter des mercenaires. © Twitter

Mais l’offre est aussi parvenue à sortir des cercles conspirationnistes : le compte Tajmaât, qui se présente comme une "plateforme collaborative pour les Maghrébins" et publie régulièrement du contenu d’investigation, la partage le 22 mai.

Dans ce post, il s’en prend aussi violemment à une association britannique de soutien à l’Ukraine, selon lui derrière l’annonce : "Cette offre est intolérable et illégale", assène-t-il. "Nous ne sommes pas vos tirailleurs, cessez de vouloir ramener des individus qui ne [sont] pas concerné[s] par votre guerre."

Après avoir relayé cette offre, le compte Twitter Tajmaât interpelle l'association "Support Ukraine", qu'il accuse d'être derrière la publication. "Nous ne sommes pas vos tirailleurs", déclare-t-il, faisant référence à l'attitude des pays occidentaux vis-à-vis des soldats issus de leurs colonies durant les deux conflits mondiaux.
Après avoir relayé cette offre, le compte Twitter Tajmaât interpelle l'association "Support Ukraine", qu'il accuse d'être derrière la publication. "Nous ne sommes pas vos tirailleurs", déclare-t-il, faisant référence à l'attitude des pays occidentaux vis-à-vis des soldats issus de leurs colonies durant les deux conflits mondiaux. © Twitter

 

Vraie annonce, faux employeur

Qui se cache vraiment derrière cette annonce ? Pour en savoir plus, il suffit de suivre le lien donné par certains comptes qui la partagent, comme celui de Silvano Trotta. On y découvre une offre bien réelle, en anglais, effectivement hébergée sur le site britannique de recherche d’emploi Adzuna.

Lorsqu'on consulte le lien donné par certains comptes relayant l'offre, on constate que celle-ci existe bien sur le site de recherche d'emploi britannique Adzuna.
Lorsqu'on consulte le lien donné par certains comptes relayant l'offre, on constate que celle-ci existe bien sur le site de recherche d'emploi britannique Adzuna. © Observateurs

En inspectant le code source de la page, on apprend qu’elle a été postée le 12 mai dernier.

Il est possible de retrouver la date de publication dans le code de la page, en effectuant une simple recherche avec les touches "Ctrl" et "F", puis en tapant le mot "date" dans la barre de recherche.
Il est possible de retrouver la date de publication dans le code de la page, en effectuant une simple recherche avec les touches "Ctrl" et "F", puis en tapant le mot "date" dans la barre de recherche. © Observateurs

Son auteur est un certain "EU Citizenship Program" ("Programme de citoyenneté de l’UE"), un nom qui semble indiquer une initiative officielle de l’administration européenne. Modifiée depuis, l’annonce mentionnait initialement une personne chargée du recrutement : Sofya Romanyuk, dont le patronyme évoque une origine ukrainienne. Cette version de l’annonce est disponible à ce lien, dans une archive réalisée par la rédaction des Observateurs.

Sur la version originale de l'offre, on pouvait voir apparaître l'identité de l'employeur (en rose) et le nom de la personne chargée du recrutement (en bleu).
Sur la version originale de l'offre, on pouvait voir apparaître l'identité de l'employeur (en rose) et le nom de la personne chargée du recrutement (en bleu). © Observateurs

L’adresse donnée, le 7 Bagleys Lane à Londres, est celle d’un centre d’aide à la population ukrainienne. Il est géré par l’association Support Ukraine, visée par la publication du compte Tajmaât, dont on retrouve également le nom comme en-tête de l’annonce.

L'adresse donnée comme celle de l'employeur est celle du Support Ukraine Fulham Hub, un centre de collecte géré par l'association Support Ukraine. C'est pour cette raison que cette structure a été prise pour cible par plusieurs comptes relayant l'offre, à l'image de Tajmaât.
L'adresse donnée comme celle de l'employeur est celle du Support Ukraine Fulham Hub, un centre de collecte géré par l'association Support Ukraine. C'est pour cette raison que cette structure a été prise pour cible par plusieurs comptes relayant l'offre, à l'image de Tajmaât. © Observateurs

Plusieurs détails interpellent pourtant dans cette offre.

D’abord, le fait qu’un "Programme de citoyenneté européenne" soit hébergé dans les locaux d’une association située au Royaume-Uni, non membre de l’Union, n’est pas vraiment cohérent.

L’anglais utilisé est peu naturel, indiquant que le texte a probablement été rédigé par une personne dont ce n’est pas la langue maternelle. L'e-mail où les personnes intéressées sont invitées à candidater, lui, est une simple adresse Gmail. 

L'e-mail pour candidater à cette offre n'est qu'une simple adresse Gmail, un détail inhabituel pour un programme officiel, une administration, une entreprise ou une grosse association.
L'e-mail pour candidater à cette offre n'est qu'une simple adresse Gmail, un détail inhabituel pour un programme officiel, une administration, une entreprise ou une grosse association. © Observateurs

Toutes les institutions européennes disposent pourtant d’adresses professionnelles, se terminant en général par "europa.eu". Même chose pour Support Ukraine, qui détient son propre nom de domaine : "supportukraine.uk". Il est donc peu probable que les candidatures envoyées à cette adresse parviennent à une véritable institution, ou à l’association Support Ukraine.

En effectuant une recherche Google sur le nom de l’employeur supposé ("EU Citizenship Program"), on constate qu’il n’existe aucune mention de cette structure, qui semble tout simplement fictive. L'e-mail fourni n’apparaît nulle part, et le nom de Sofya Romanyuk n’est lié à aucune institution ou entreprise dont les activités s’approchent de celles décrites dans l’annonce.

Pour tenter de découvrir qui se cache derrière l'offre, la rédaction des Observateurs a tenté de contacter l'e-mail indiqué. Ce message a rapidement été suivi d’une réponse, rédigée par une personne prétendant être "Sofya Romanyuk".

Par échange d'e-mails, cette personne a maintenu que ce recrutement de combattants pour l’Ukraine existe bien, et qu’elle en a la charge. "Nous avons beaucoup de candidatures, notamment en provenance du Moyen-Orient ou de pays d’Afrique francophone", poursuit-elle.

En réponse à notre e-mail de contact, "Sofya Romanyuk" maintient que son programme de recrutement est réel. "Nous regrettons déjà d'avoir posté l'annonce de manière publique, au vu des réactions mitigées", ajoute-t-elle.
En réponse à notre e-mail de contact, "Sofya Romanyuk" maintient que son programme de recrutement est réel. "Nous regrettons déjà d'avoir posté l'annonce de manière publique, au vu des réactions mitigées", ajoute-t-elle. © Observateurs

"Sofya Romanyuk" n’a pas souhaité répondre à nos propositions d’interview par téléphone, selon elle pour des raisons de confidentialité, proposant plutôt "une rencontre en personne à Londres". La rédaction des Observateurs n'a pu vérifier ni son identité, ni son pays de résidence.

 

Une campagne de dénigrement contre une association pro-ukrainienne ?

Pourtant, ce programme censé permettre aux candidats étrangers d’accéder facilement à la citoyenneté britannique ou européenne est parfaitement inconnu des institutions concernées. Contacté, le Home Office, équivalent du ministère de l’Intérieur au Royaume-Uni chargé entre autres de l’attribution de la nationalité, explique n’avoir aucun lien avec cette annonce. "Cela ressemble à une offre frauduleuse, le 'EU Citizenship Program' n’existe pas", commente-t-il.

Même discours du côté de la Commission européenne, dont une porte-parole rappelle qu’"il n’y a pas de 'programme de citoyenneté européenne' centralisé", celle-ci étant associée à la détention de la citoyenneté d’un État membre. "C’est la compétence des États membres de déterminer les critères d’acquisition ou de perte de nationalité", ajoute-t-elle. "Les pays tiers ne peuvent pas accorder la citoyenneté européenne, et les entités privées [...] non plus."

De son côté, l’association Support Ukraine, dont un des bureaux de Bagleys Lane a été donné comme adresse du "EU Citizenship Program", ignore également tout de cette offre. "Je ne pense pas que ça vienne de chez nous, je ne connais pas cette Sofya Romanyuk", assure un membre joint par téléphone.

Le lendemain de notre appel, l’association a officiellement réagi sur ses réseaux sociaux, dénonçant une "usurpation d’identité professionnelle" et assurant que "la police a été contactée".

“Nous pouvons vous assurer qu’il s’agit d’une publicité frauduleuse qui n’a rien à voir avec notre organisation, et qui vise très probablement à discréditer de manière délibérée notre ONG et le travail que nous faisons pour aider les Ukrainiens”, commente l'association Support Ukraine sur sa page Facebook.

Bien que Support Ukraine y voit un "bon exemple de propagande russe", impossible pour le moment de dire avec certitude qui est derrière cette opération. Mais une chose est certaine : cette offre manipulatoire n’a aucun lien avec les administrations européenne ou britannique, contrairement à ce que prétendent les comptes qui la relaient.

Contactée par la rédaction des Observateurs, la plateforme Adzuna n’a pas souhaité communiquer les informations supplémentaires qu’elle détient sur les auteurs de l’annonce, malgré son caractère frauduleux. Elle affirme cependant avoir bloqué toute possibilité de candidature, et se tenir prête à "coopérer avec la police et les autorités".

De fausses campagnes publicitaires en lien avec l’Ukraine ont récemment émergé et ont été documentées par la rédaction des Observateurs de France 24, comme vous le retrouverez dans le lien ci-dessous.

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