Guerre en Ukraine : retour en chiffres sur un an de désinformation
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Le 24 février 2022, la Russie déclenchait en Ukraine une guerre sur le terrain, mais aussi une guerre de l’information, en ligne. La rédaction des Observateurs de France 24 a vérifié 115 contenus manipulatoires partagés dans le début de l'invasion. Mais quels narratifs ces publications alimentent-elles ? Et quelles sont les techniques utilisées pour tromper ? Retour sur une année de désinformation.
Si les contenus manipulatoires sur la guerre en Ukraine ont été nombreux sur les réseaux sociaux depuis l’invasion russe, nombre d’entre eux ont appuyé les mêmes rhétoriques ou ont eu recours à des techniques similaires pour tromper.
Pour mieux comprendre cette désinformation, la rédaction des Observateurs de France 24 a classifié les 115 contenus trompeurs qu’elle a vérifiés dans 96 articles publiés entre le 24 février 2022 et le 24 février 2023. Parmi eux, 91 contenus manipulatoires ont été identifiés comme favorables à la Russie, et 17 comme favorables à l’Ukraine.
La démarche ne prétend pas rendre compte de manière exhaustive et scientifique de la propagande déployée par Kiev et Moscou, mais elle permet de mettre au jour les principaux narratifs et procédés utilisés. Par ailleurs, elle se limite aux sujets traités par la rédaction des Observateurs de France 24 autour des fausses informations impliquant des images, photos ou vidéos.
Accusations de nazisme ou de mise en scène, diabolisation de l’ennemi... Des narratifs redondants
En diffusant des images trompeuses, pro-russes et pro-ukrainiens cherchent souvent à alimenter des narratifs bien précis, qui reflètent leurs convictions et leur vision de la guerre et visent à légitimer leur combat et à manipuler leurs troupes.
La rédaction des Observateurs de France 24 a identifié dix narratifs mobilisés dans le cadre de ce conflit. En bleu sont listées des intox pro-russes, et en noir des intox pro-ukrainiennes.
Contenus pro-russes
Associer Ukraine et nazisme
Des images montrant de prétendues croix gammées, des vidéos incluant de supposés chants nazis,... parmi les contenus trompeurs vérifiés par la rédaction des Observateurs de France 24, 22 sont présentés comme des preuves que l’Ukraine est acquise à l’idéologie nazie.
Un narratif qui fait écho au discours de Vladimir Poutine, qui utilise l'argument d'une prétendue "dénazificiation" de l'Ukraine pour justifier l'invasion.
Glorifier l’armée et la population russes
La rédaction des Observateurs de France 24 a vérifié 14 contenus manipulatoires qui mettaient en avant de prétendus succès de l’armée russe.
Ici, une vidéo prétend montrer la destruction d’une embarcation ukrainienne, alors qu’il s’agit d’un pilier d’un ancien pont ; là, des images affirment présenter une explosion provoquée par un missile hypersonique russe, alors que la vidéo a été réalisée avec des effets spéciaux.
L’objectif ? Faire croire que la Russie est en train de gagner la guerre, et ainsi mobiliser ses troupes et sa population.
Présenter cette guerre comme une guerre de l'OTAN contre la Russie
Derrière 14 des contenus analysés par notre rédaction, on peut voir une volonté de mettre en évidence l'implication des pays occidentaux dans la guerre. En filigrane se trouve également le narratif selon lequel l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) utiliserait l’Ukraine pour attaquer la Russie. Un discours qui pourrait permettre de préparer la population russe à de nouvelles vagues de mobilisation et d’accroître l’implication de ses troupes.
Quatre de ces contenus accusent ainsi des pays occidentaux (le Royaume-Uni, les États-Unis ou la Finlande, par exemple) d’envoyer ou d’être sur le point d’envoyer du matériel militaire. Six de ces contenus prétendent documenter l’implication de militaires ou de mercenaires occidentaux en Ukraine.
Accuser l’Ukraine de “mettre en scène” la guerre
Une guerre mise en scène de toutes pièces par Kiev ou les puissances occidentales : tel est le narratif alimenté par 14 des contenus vérifiés par notre rédaction. Parmi ces publications, certaines prétendent par exemple prouver que le massacre de Boutcha ou que le charnier d’Izioum ont été mis en scène, ou que Volodymyr Zelensky tourne ses vidéos depuis un studio, loin des combats.
Documenter un prétendu sentiment anti-ukrainien dans les pays occidentaux
Neuf autres contenus assurent documenter l’émergence d’un fort sentiment anti-Ukrainien dans les pays occidentaux, et ainsi montrer que la Russie dispose d’alliés. Trois d’entre eux entendent par exemple montrer une prétendue hostilité des Européens envers les réfugiés ukrainiens, tandis que d’autres mettent en scène de faux graffitis, de fausses couvertures de magazines ou de fausses publicités qui témoigneraient d’une supposée aversion pour le président ukrainien.
Présenter l’armée ukrainienne comme une menace
Sept des contenus vérifiés par la rédaction des Observateurs de France 24 ont pour effet de diaboliser ou de discréditer les forces armées ukrainiennes, et d’ainsi légitimer l’invasion russe.
C’est le cas par exemple d’un faux reportage attribuant la responsabilité de certaines frappes à l’armée ukrainienne ou de contenus l’accusant de préparer une “bombe sale” ou de demander des “frappes préventives” contre la Russie.
Discréditer Volodymyr Zelensky
On peut également relever 4 contenus pro-russes ciblant précisément le président ukrainien. En l’accusant de consommer de la cocaïne ou enaffirmant à tort le montrer en train de danser alors que la guerre fait rage, ces images cherchent ainsi à nuire à sa réputation.
Contenus pro-ukrainiens
Glorifier la résistance ukrainienne
Six autres contenus pro-ukrainiens visent pour leur part à glorifier les forces armées ou la population ukrainienne. Certains prétendent par exemple montrer de actes de résistance face à l’armée russe, en utilisant en réalité des images issues d’un tout autre contexte.
Diaboliser l’armée russe en l’accusant d’exactions
Côté ukrainien aussi, l’arme de la désinformation est utilisée dans cette guerre. Parmi les contenus trompeurs pro-ukrainiens, 5 accusent l’armée russe de crimes ou d’exactions en s’appuyant sur des contenus trompeurs. Des images anciennes ont par exemple été utilisées comme preuves de l’organisation d’autodafés ou de massacres par l’armée russe.
Accuser Vladimir Poutine de mises en scène
Comme du côté russe, des accusations de mise en scène sont avancées par des comptes pro-ukrainiens.
La rédaction des Observateurs de France 24 s’est penchée sur 3 contenus de ce type, qui affirment par exemple prouver que Vladimir Poutine a recours à des figurants lors de ses déplacements, démarche qui illustrerait la paranoïa du président russe.
Photomontages, images hors contexte... Les ressorts des intox
Au-delà de ces narratifs, ces contenus manipulatoires se ressemblent également parfois sur le plan des techniques utilisées.
Si la moitié de ces intox reposent sur des contenus sortis de leur contexte, d’autres s’appuient sur des contenus créés de toutes pièces, via des manipulations graphiques, par exemple.
Des contenus sortis de leur contexte initial
Près de la moitié des 115 intox traitées – 57 contenus – s’appuient sur des images détournées.
Parmi celles-ci, 45 partagent des images issues d’événements réels mais prises dans un tout autre contexte (images anciennes, d’un autre lieu ou d’une autre personne,...).
Six d’entre elles s’appuient sur des vidéos issues de tournages de films ou de clips vidéo. Deux partagent des vidéos créées à l’aide du jeu vidéo Arma-3.
Des contenus fabriqués
Parmi les contenus vérifiés, 32 sont des créations graphiques de toute pièce, témoignant d’un réel effort et d’un objectif de manipulation.
Sept correspondent à des photomontages, à l’instar de cette image prétendant montrer des autocollants anti-Russes dans le camp d’Auschwitz. Parmi les vidéos, 10 sont des vidéo-montages ou présentent des séquences tronquées. Deux ont eu recours aux effets spéciaux.
La rédaction des Observateurs de France 24 s’est également penché sur 6 créations correspondant à de faux contenus médiatiques. En utilisant le logo de médias et respectant leur charte graphique, ils ont pour effet de donner un caractère officiel à l’information partagée.
On retrouve notamment des faux reportages de la BBC (ici ou ici) ou d’Al-Jazeera, ou des fausses couvertures de magazine – par exemple, de Charlie Hebdo.
Des contenus authentiques, mais accompagnées de légendes trompeuses
D’autres images s’avèrent pour leur part être authentiques et prises lors de la guerre mais les légendes qui les accompagnent se révèlent être trompeuses.
Dans certains cas, c’est la mauvaise qualité de l’image qui est mise à profit. C'est le cas de cette image qui présenterait un général ukrainien portant un bracelet avec une croix gammée. Ces contenus sont ainsi bien souvent utilisés comme preuve de faits dont ils ne peuvent en fait pas attester.
Méthodologie
Cet article s'appuie sur une analyse des articles rédigés par la rédaction des Observateurs de France 24 entre le 24 février 2022, date de l'invasion de l'Ukraine, et le 24 février 2023.
La rédaction des Observateurs de France 24 choisit les sujets qu’elle traite selon le degré de viralité des contenus, du caractère visuel des publications et de l’intérêt du sujet au regard de l’actualité.
La ligne éditoriale se concentre sur les contenus manipulatoires impliquant des images, qu’elles soient photographiques ou vidéo. La rédaction des Observateurs ne traite pas les déclarations politiques erronées.
En un an, notre rédaction a rédigé 96 articles traitant d’intox autour de la guerre en Ukraine, vérifiant un total de 115 contenus.
Les catégories ont été créées sur la base des observations des journalistes de notre rédaction, et des échanges menés avec différents spécialistes de la propagande dans le cadre de nos articles.
Dans le cas de contenus correspondant à plusieurs catégories, les narratifs et procédés estimés comme étant prédominants ont été privilégiés.