Attention à cette vidéo censée montrer Volodymyr Zelensky demandant des “frappes préventives” contre la Russie
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Depuis le 2 février, plusieurs comptes francophones et anglophones relaient une vidéo du président ukrainien en l’accusant de demander à l’Otan des frappes nucléaires préventives sur la Russie. En réalité, ce discours de Zelensky date d’octobre 2022 : ambigu, il avait rapidement été précisé par des officiels ukrainiens.
La vérification en bref
- Plusieurs comptes francophones, dont celui d’une sénatrice française, partagent depuis le 2 février une vidéo de Volodymyr Zelensky s’exprimant en ukrainien. D’après les sous-titres, il demanderait à l’Otan “d’utiliser des armes nucléaires sur la Russie” et de “lancer des frappes préventives”.
- En parallèle, cet extrait a également été partagé par des comptes anglophones proches de l’extrême droite, qui y voient un risque de “guerre nucléaire”.
- Mais ces images sont anciennes : elles datent en fait du 6 octobre 2022. Les sous-titres, inexacts, déforment légèrement les propos du président ukrainien, qui avaient déjà suscité une polémique à l’époque.
Le détail de la vérification
“Zélensky demande à l’Otan une ‘frappe préventive’ contre la Russie. Combien de temps des médias et politiciens français vont-ils continuer à soutenir ce malade ?”, s’insurge le 2 février l’essayiste Laurent Ozon, invité occasionnel de la chaîne CNews.
Vues près de 350 000 fois, les images qu’il partage montrent le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’exprimer sur le rôle de l’Otan dans le conflit de son pays avec la Russie.
“Que devrait faire l’Otan ?”, lui font dire les sous-titres anglais de son allocution, en langue ukrainienne. “Ils peuvent utiliser des armes nucléaires sur la Russie.” “Nous devons éliminer la possibilité que la Russie utilise des frappes nucléaires”, continue la traduction. “Nous devons lancer des frappes préventives pour que [les Russes] sachent ce qui leur arrivera s’ils les utilisent.”
Plusieurs comptes relayant régulièrement de la propagande pro-russe ont partagé ces images, mais également celui de la sénatrice de l’Ain Sylvie Goy-Chavent, affiliée au groupe Les Républicains.
Dans sa version, publiée le 5 février, l’intervention de Zelensky porte la date du 1er février, entretenant la confusion sur le jour véritable de l’intervention. Elle comporte également le logo d’une “traductrice”, Jocelyne Pauliac, spécialisée dans le sous-titrage de vidéos très relayées dans les cercles complotistes.
On retrouve également cette vidéo partagée en anglais à partir du 2 février par des comptes américains proches de l’extrême droite. Ici, elle a été vue plus de 35 000 fois.
De vieilles images, et des sous-titres manipulés
En tapant “Zelenskyy preventive strikes” (“Zelensky frappes préventives” en anglais) sur Google, on retrouve un article du média Politico, en date du 7 octobre 2022.
Il évoque des propos “mal interprétés” du président ukrainien, lors d’un échange avec le groupe de réflexion australien Lowy Institute.
Grâce à ces informations, on peut retrouver à la fois la captation de l’événement réalisée par le Lowy Institute, et celle effectuée par la présidence ukrainienne. C’est de cette dernière qu’est tiré l’extrait relayé par de nombreux comptes le 2 février 2023. On peut le voir à partir de 22 minutes et 1 seconde.
L’échange entre le Lowy Institute et le président ukrainien s’est tenu le 6 octobre 2022 : ces images ne datent donc pas du tout du 1er février, comme le prétend la version relayée récemment.
La rédaction des Observateurs a pu également constater avec la rédaction de RFI en ukrainien que les sous-titres fournis sont approximatifs, en anglais comme en français.
À la suite de la phrase “Que doit faire l’Otan ?”, le président ukrainien ne dit pas “ils peuvent utiliser des armes nucléaires contre la Russie”, mais “empêcher la Russie d'utiliser des armes nucléaires”, c'est-à-dire exactement l’inverse.
Derrière la récupération pro-russe, les propos ambigus de Zelensky
Mais cette phrase n’est pas la seule à avoir fait réagir dans l’interview de Volodymyr Zelensky. Juste après, le président ukrainien poursuit : “J'en appelle à nouveau à la communauté internationale comme je l’ai fait avant le 24 février : [il faut] produire des frappes préventives, afin qu'ils sachent ce qui leur arrivera s'ils utilisent [les armes nucléaires].”
Dans la captation de ce passage réalisée par le Lowy Institute (à partir de 25 minutes et 30 secondes), on peut voir que l’interprète en direct se corrige, et remplace “frappes préventives” par “actions préventives”. Pourtant, Volodymyr Zelensky utilise bien le mot удари, signifiant “frappe”.
À quoi le président ukrainien fait-il référence ? Il désigne la période “avant le 24 février”, donc avant le début de l’entrée russe en Ukraine. Si le mot utilisé peut prêter à confusion, il est également possible que le président ukrainien évoque des sanctions économiques ou diplomatiques visant à dissuader la Russie d’utiliser ses armes nucléaires.
C’est en tout cas la version confirmée par la suite par des officiels ukrainiens, comme Mykhailo Podolyak, le conseiller de Volodymyr Zelensky. Interrogé par la presse ukrainienne le 6 octobre 2022, il avait précisé : "Zelensky a rappelé le chantage nucléaire russe et a suggéré que le monde devrait exposer en amont les conséquences pour la Russie [en cas d’usage des armes nucléaires] et intensifier les frappes contre la Fédération de Russie, comme des sanctions et l’assistance armée [à l’Ukraine].”
Malgré tout, quelques heures après la prise de parole du président ukrainien, son choix de mots a été critiqué par les autorités russes, qui l’ont interprété comme une incitation à frapper la Russie. Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a ainsi qualifié les propos de Volodymyr Zelensky d’appel "au déclenchement d'une guerre mondiale aux conséquences désastreuses imprévisibles".
Remises dans leur contexte, ces images ne montrent donc pas le président ukrainien appelant l’Otan à frapper le territoire russe à l’aide d’armes nucléaires début 2023. Il s’agit d’images anciennes, dont la traduction approximative déforme le propos de Zelensky pour le rendre plus menaçant.