Non, cette affiche demandant aux Ukrainiens de rentrer chez eux n’est pas apparue dans le métro parisien
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L'image d’une prétendue affiche du Secours populaire français demandant aux réfugiés ukrainiens de rentrer chez eux, qui aurait été affichée dans le métro parisien, circule depuis le 19 décembre 2022 dans des groupes Telegram et des médias russes. Contactés par la rédaction des Observateurs de France 24, la RATP et le Secours populaire ont nié l’existence de cette affiche. Pour la chercheuse russe Alexandra Arkhipova, il s’agit d’un nouvel exemple de désinformation visant à démontrer que la population européenne est hostile aux réfugiés ukrainiens.
La vérification en bref
- Le 19 décembre 2022, deux images montrant une prétendue affiche du Secours populaire dans le métro parisien ont été partagées dans plusieurs chaînes Telegram russes comptant plus de 200 000 abonnés.
- On y voit le drapeau ukrainien, des traces de pas et l’inscription "Avancez".
- Selon les publications en russe, elle aurait été perçue par les résidents locaux comme une indication "qu’il est peut-être temps pour les réfugiés ukrainiens de rentrer chez eux".
- Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, le Secours populaire a nié être à l’origine de cette affiche. Depuis le début du conflit, l’association soutient activement les populations ukrainiennes.
- Également interrogée, la RATP, qui exploite le métro parisien, a affirmé que l’affiche n’avait "pas été affichée dans le métro parisien".
Le détail de la vérification
C’est une affiche prétendument parisienne qui a vraisemblablement été vue davantage en Russie que dans la capitale française.
Elle apparaît, accrochée au-dessus des rails du métro de Paris, sur deux photos partagées le 19 décembre 2022 dans le canal Telegram du média russe Ura.ru, qui compte plus de 200 000 abonnés.
Sur l’affiche, qui possède un fond bleu et jaune correspondant aux couleurs de l’Ukraine, on peut voir des traces de pas et le slogan "Avancez". On y distingue également le logo du Secours populaire, une association française qui lutte contre la précarité et l’exclusion.
Selon la publication, les photos auraient été prises dans "le métro parisien" par "un lecteur de Ura.news".
"Les traces de pas sur le drapeau ukrainien peuvent être un indice que les réfugiés ont déjà franchi la frontière et qu'il est peut-être temps pour eux de rentrer chez eux. C'est ainsi que l'affiche a été perçue par les résidents locaux", prétend également décrypter le média.
Les photos ont ensuite été partagées sur d’autres chaînes Telegram (par exemple dans le canal Ukraina.ru qui compte plus de 200 000 abonnés).
On les retrouve aussi dans des articles de médias russes, comme Ria Fan, une agence de presse russe qualifiée par Conspiracy Watch d’"usine à trolls financée par le Kremlin".
"Les immigrants d'Ukraine, qui ont inondé les pays d'Europe, provoquent depuis longtemps une réaction négative parmi les résidents locaux. De nombreux Européens refusent de plus en plus d'aider les réfugiés, exhortant leurs gouvernements à régler les problèmes intérieurs", peut-on aussi lire dans cet article.
Aucune trace de cette affiche
Ces images ont été signalées à la rédaction des Observateurs de France 24 par l’équipe de Provereno.media, un média russe indépendant de vérification.
Pour vérifier ces images, il faut d’abord chercher à déterminer si celles-ci montrent bien le métro parisien. Selon ces recherches, la photo aurait été prise à la station Nation, sur le quai de la ligne 6.
Plusieurs éléments (notamment le carrelage présent sur le mur et les cadres gris autour des affiches) apparaissent en effet également sur des images de la station disponibles sur Internet.
On ne trouve en revanche aucune autre trace de cette affiche sur Internet. En réalisant des recherches avec des mots-clefs tels que "affiche Secours populaire métro Paris" sur des moteurs de recherche, des médias locaux ou les réseaux sociaux, on s’aperçoit qu’aucune source ne s’est fait le relais de cette campagne d’affichage. L’affiche n’a d’ailleurs pas été prise sous des angles différents.
Les outils d’analyse forensique utilisés par la rédaction des Observateurs de France 24 n’ont pas détecté de traces de photomontage, mais la qualité dégradée des images peut expliquer que les modifications graphiques ne soient plus détectées.
Démentis de la RATP et du Secours populaire
Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, la RATP (Régie autonome des transports parisiens) a affirmé que cette affiche était "fausse" et n’avait "pas été affichée dans le métro parisien comme le tweet voudrait le faire croire".
Également interrogé, le Secours populaire a affirmé "ne pas avoir produit ces affiches" et "ne pas avoir de campagne d’affichage dans le métro".
Le site officiel et le compte Twitter du Secours populaire ne font pas non plus mention de cette campagne.
Depuis le début du conflit, le Secours populaire aide les populations affectées, en France mais aussi en Ukraine et dans les pays frontaliers, comme l’indiquait l’association dans un bilan publié en septembre 2022. 6,1 millions d’euros de dons ont ainsi été collectés par l’association pour atténuer les conséquences de la guerre en Ukraine, et l’équivalent de 800 000 euros en dons matériels.
Le Secours populaire a notamment participé à la distribution de kits d’hygiène et alimentaires en Pologne, à la mise en place d’un accueil de jour en Roumanie ou encore à la création de "Villages Copain du monde" où peuvent se rencontrer des enfants déplacés ukrainiens et moldaves. L’aide est aussi matérielle ou administrative, permettant aux réfugiés de partir en vacances ou d'apprendre le français.
Aucune trace de l’existence de cette affiche n’a donc été documentée, en dehors des photos diffusées par ces médias russes. L’hypothèse d’une affiche installée durant la nuit par de potentiels explorateurs urbains dans le but de faire la photo n’est pas à exclure, bien que très improbable.
La vérification a été menée conjointement avec le média Provereno, qui a également publié un article en russe à ce sujet.
Faux graffiti anti-Zelensky
Ce n’est pas la première fois que des images prétendant prouver l’existence d’un sentiment anti-ukrainien dans les pays occidentaux circulent sur les réseaux sociaux.
En novembre 2022, l'image d’un graffiti anti-Zelensky qui aurait été réalisé à Saint-Mandé, à l’est de Paris, avait été partagée. La rédaction des Observateurs de France 24 avait expliqué pourquoi l’on pouvait douter de l’existence de celui-ci.
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Pourquoi on peut douter de l’existence de ce graffiti anti-Zelensky en banlieue parisienne
Depuis, des images de graffitis similaires à Madrid, New York ou Berlin ont également été publiées. Plusieurs médias ont montré que ceux-ci n’avaient en fait jamais existé (voir les vérifications du média géorgien Myth Detector ici ou ici).
"Donner l’impression d’une opinion publique européenne hostile aux Ukrainiens"
Quel est donc l’objectif de ces images ?
Pour répondre à cette question, la rédaction des Observateurs de France 24 a contacté Alexandra Arkhipova, anthropologue russe qui travaille actuellement au Laboratoire d'anthropologie sociale de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris et étudie les légendes urbaines et la désinformation.
Ce narratif d’un prétendu rejet des Ukrainiens par les Européens est alimenté de deux façons.
D’une part, il est utilisé par les officiels russes, qui affirment que l’Ouest meurt de froid, que les habitants ne veulent pas aider les réfugiés ukrainiens…
D’autre part, il est nourri par ces photos soi-disant prises par des personnes ordinaires, qui sont censées être la preuve que la situation à l’Ouest est mauvaise, et que personne ne veut aider les réfugiés.
Selon la chercheuse, ces photos sont avant tout créées pour une audience russe.
Ces images visent à montrer que les réfugiés ukrainiens ne sont pas les bienvenus en Europe, mais surtout que c’est ce que pensent les gens, et que la population européenne est confrontée à une telle position.
L’objectif, c’est aussi qu’en Russie, les personnes qui pensent que les Européens soutiennent l’Ukraine aient l’impression qu’elles sont seules dans cette situation, que l’opinion majoritaire est différente.
Aujourd’hui, la Russie a peu d’alliés. La Russie essaie donc de proposer une autre version de la réalité.
La propagande veut montrer que les pays européens ont deux faces : d’un côté, ils promettent de l’aide, mais en réalité, ils ne veulent pas vraiment soutenir les Ukrainiens. L’idée, c’est aussi que la population européenne ne soutient pas la position pro-ukrainienne de ses gouvernements.
La chercheuse explique que ce narratif n’est pas nouveau, mais que l’on a récemment observé de plus en plus d’intox de ce genre.
Elle souligne notamment que de nombreuses intox ont visé à démontrer une prétendue hostilité de la population européenne envers les réfugiés ukrainiens. La rédaction des Observateurs de France 24 s’était d’ailleurs penchée sur certaines d’entre elles.
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Quant à l’efficacité d’une telle stratégie, celle-ci est difficile à évaluer selon Alexandra Arkhipova, car les sondages réalisés en Russie ne sont pas fiables. Mais pour elle, l’isolement que connaît la Russie augmente l’impact de ces contenus. "Plus la population est isolée, plus elle aura tendance à croire ces intox", explique-t-elle.