"Même les animaux ne devraient pas vivre dans ces conditions" : au Royaume-Uni, un étudiant documente le mal-logement
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Au Royaume-Uni, Kwajo Tweneboa s’est fait connaître sur les réseaux sociaux avec ses vidéos alertant sur le mal-logement partout à travers le pays. Pendant plusieurs années, il a lui-même vécu dans un logement social insalubre à Londres avec son père mourant et ses deux sœurs. Il témoigne de son parcours.
En janvier 2020, Kwajo Tweneboa a vu mourir son père, atteint d'un cancer de l'œsophage en phase terminale. C’est dans le sud de Londres, dans leur logement familial infesté de cafards, de souris, de rats et d’amiante que son père a passé ses derniers jours, accompagné tant bien que mal par une équipe soignante.
L’étudiant de 24 ans se souvient de la pièce principale de cet appartement aux murs moisis sans lumière. Pendant près de 18 mois, Kwajo Tweneboa a sollicité le propriétaire de l’immeuble, le groupe Clarion - le plus grand bailleur social du Royaume-Uni et d'Europe - pour demander des réparations au sein de l’appartement.
Pour accélérer les démarches, il décide également de publier sur Twitter des photos de son appartement et d’autres logements de son quartier. Clarion a finalement effectué des travaux de rénovation dans 500 logements, dont celui où a vécu Kwajo Tweneboa.
"Même les animaux ne devraient pas vivre dans ces conditions"
Depuis, sur son compte TikTok, le jeune britannique continue d’alerter sur les conditions de vie dans les logements sociaux ou les logements privés à loyer modéré partout au Royaume-Uni.
@kwajohousing The sad state of Housing in the U.K. 🇬🇧 can you relate? #fyp #poorhousing ♬ original sound - Kwajohousing
Contacté par notre rédaction, le jeune homme explique :
J’ai visité des maisons inondées par des eaux d'égout, j'ai vu d'innombrables logements infestés de rats et de cafards et des centaines de logements envahis par les moisissures. Des milliers de personnes m'ont contacté dans tout le pays, m'envoyant des photos de leurs logements et m’expliquant les expériences terribles qu'elles ont vécues en essayant de demander des rénovations.
Même les animaux ne devraient pas vivre dans de telles conditions. C'est inhumain. Je me bats sans relâche pour que les locataires soient traités comme des êtres humains. Mais ça ne devrait pas être à un militant de 24 ans de dénoncer cette honte : les propriétaires devraient savoir faire la différence entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas.
This is the state of mums bedroom. Belongings destroyed from an on going leak and black mould 👇🏽🧵
— KWAJO- Social Housing (@KwajoHousing) November 27, 2022
She’s slept on the sofa in the front room for the last year.
Workmen and ‘surveyors’ have seen it but nothing ever done to fix it. pic.twitter.com/aCQRfpKzAP
🚨 MTV Housing Association - ⚠️ 🕷️ Green Fanged Tube Web Spiders have burrowed into the walls of the property in South London. pic.twitter.com/EJbq4tAnuO
— KWAJO- Social Housing (@KwajoHousing) November 28, 2022
Grâce à ses publications, Kwajo Tweneboa a réussi à faire réagir certains bailleurs et propriétaires. En février 2022, une famille a ainsi été relogée d’urgence dans un hôtel après la diffusion d’une vidéo de leur appartement - géré par L&Q, une association de logements opérant dans le Grand Londres - infesté de cafards. Un nouveau logement permanent a depuis été attribué à la famille.
@kwajohousing 🚨 Lewisham Homes property infested with cockroaches for over 10 years 🪳 neighbours complain of the same #poorhousing #fyp #foryou ♬ original sound - Kwajohousing
"Les gens meurent et les propriétaires ferment les yeux"
Selon le Service national de santé britannique (NHS), les personnes vivant avec de l'humidité ou des moisissures dans leur maison sont plus susceptibles de contracter des maladies respiratoires, des infections ou de l'asthme.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, près de 130 000 décès, associés à des conditions de logements inadéquates, sont comptabilisés chaque année en Europe.
Pour Kwajo Tweneboa, des milliers de locataires de logements sociaux vivent dans des conditions dangereuses pour leur santé :
Depuis des décennies, certains locataires demandent à leurs propriétaires de remplir leurs obligations contractuelles en matière de santé et de sécurité. Des résidents meurent, mais les propriétaires continuent de fermer les yeux. Leurs plaintes sont ignorées et ils sont toujours obligés de payer.
Une fois, j'ai dû emmener à l'hôpital des personnes blessées dans leur propre maison : le plafond s’était partiellement effondré sur les locataires alors qu'ils cuisinaient. Ils s'étaient plaints de fissures dans le plafond, mais rien n'avait été fait. L'un des locataires était handicapé et il avait passé près d'un an sans toilettes fonctionnelles dans son logement parce que personne n'était venu les réparer. J'ai alors mis en lumière cette histoire sur les médias sociaux, et le lendemain, quelqu'un est venu la réparer.
@kwajohousing Tenant ignored and left with collapsed ceiling🤦🏽♂️ #fyp #foryou #housing ♬ original sound - Kwajohousing
En novembre 2020, selon une enquête, un enfant de deux ans, Awaab Ishak, est décédé en raison de son exposition prolongée à de la moisissure dans l'appartement où il vivait dans le nord de l'Angleterre.
Le père de l'enfant, Faisal Abdullah, s'était pourtant plaint de l'état du logement à plusieurs reprises, mais aucune mesure n'avait été prise.
BREAKING: Coroner has ruled that
— Darshna Soni (@darshnasoni) November 15, 2022
Awaab Ishak, aged just two, died as a result of severe respiratory condition caused due to prolonged exposure to mould in his home.
The coroner said this “should be a defining moment for the housing sector”- will it be? pic.twitter.com/jzolxQykno
Here’s a reminder of the conditions Awaab Ishak and his family were living in for over 2 years.
— Inzamam Rashid (@inzyrashid) November 17, 2022
There was inadequate ventilation and was not suitable for day to day living according to the coroner. @SkyNews pic.twitter.com/FWnh7PSp2E
La mort d'Awaab Ishak est loin d'être la première tragédie liée aux mauvaises conditions de vie dans les logements sociaux au Royaume-Uni.
En 2017, 72 personnes sont décédées dans l'incendie de la tour Grenfell, un immeuble d'habitation de l'ouest de Londres. Des inquiétudes avaient été soulevées des années avant l'incident concernant les matériaux utilisés pour le revêtement extérieur du bâtiment.
Plus de cinq ans plus tard, la situation des locataires les plus pauvres du Royaume-Uni n'a guère changé. Avec la crise du coût de la vie et les basses températures de l’hiver, la situation ne fait qu'empirer, comme l’explique Kwajo Twenebo :
C'est une véritable honte. Les politiciens parlent des "leçons apprises" depuis Grenfell, mais il est clair qu'aucune leçon n'a été tirée. Je crains que des tragédies similaires ne se produisent et que d'autres locataires ne meurent dans leur logement.
Below -0 outside and tenants are having to use their ovens to heat their homes?..
— KWAJO- Social Housing (@KwajoHousing) December 11, 2022
whilst paying rent and bills😕
You see my issue? pic.twitter.com/Xt9voOdudo
Des visites de logements dans d'autres pays
Les racines de la crise du logement en Grande-Bretagne remontent au gouvernement de l'ancienne Première ministre Margaret Thatcher et à la loi sur le logement de 1980, qui donnait aux locataires le droit d'acheter leurs logements sociaux à un prix réduit.
Au fil du temps, les sommes d'argent que les bailleurs pouvaient conserver pour créer de nouveaux logements ont été réduites et le nombre de logements de remplacement a diminué. Les personnes qui avaient encore besoin d’un logement social ont eu d’autant plus de mal à en trouver un.
Lorsque Margaret Thatcher est arrivée au pouvoir en 1979, le locataire moyen d'un logement social payait l'équivalent de 7,50 € de loyer par semaine. Lorsqu'elle a quitté le pouvoir en 1990, les locataires payaient 30 euros par semaine, soit une augmentation de 370 %.
Au cours des dernières décennies, la situation s’est également compliquée : l'austérité a entraîné de nombreuses coupes budgétaires au sein des services du logement. Et le délai d’attente des personnes demandant un logement social s’est allongé.
Le manque de logements sociaux a contraint de nombreux ménages à faibles revenus à se tourner vers le bas de gamme du marché locatif privé, où ils ont encore moins de droits que les locataires du parc social.
Selon Kwajo Tweneboa, de nombreux locataires vivant dans de mauvaises conditions dans des logements privés n’osent pas se plaindre, de peur que leur propriétaire émette un avis d’expulsion sans donner de raison.
@kwajohousing Wandsworth Council kicking a tenant out after her mum died 🤦🏽♂️😥🇬🇧 #fyp #housing #poorhousing ♬ original sound - Kwajohousing
Le logement social n'est pas seulement en crise au Royaume-Uni. Et Kwajo Tweneboa reçoit également des photos de logements d’autres pays. En janvier 2023, il se rendra même aux États-Unis pour rencontrer des interlocuteurs au sujet des logements sociaux américains. Il prévoit également un voyage à Paris plus tard dans l’année.