Pourquoi peut-on douter de l’existence de ce graffiti anti-Zelensky en banlieue parisienne
Un graffiti de Volodymyr Zelensky, représenté comme un trou noir “absorbant l'argent des Européens”, est-il apparu en banlieue parisienne ? C'est ce que montrerait une photo partagée depuis le 29 novembre sur Instagram, Twitter et Telegram. Mais aucune autre trace de ce graffiti n'a été retrouvée par la rédaction des Observateurs de France 24, ni sur place, ni documentée sur internet. Une analyse forensique de l'image révèle des "indications de manipulation" et des spécialistes de street-art ont détecté plusieurs incohérences sur le cliché.
Publié le : Modifié le :
La vérification en bref
- Depuis le 29 novembre 2022, des comptes partagent une image d'un graffiti en trompe l'œil représentant le visage du président ukrainien Volodymyr Zelensky. On le voit absorber des billets de banques, à la manière d'un trou noir.
- L'œuvre, qui aurait été réalisée à Saint-Mandé à l'est de Paris, serait la preuve que les Européens sont “de plus en plus insatisfaits” du soutien de leurs pays à l’Ukraine.
- La photo a d'abord été partagée sur un compte Instagram qui se présente comme un groupe de street-art polonais, et qui avait partagé le 2 novembre une image d'un graffiti similaire, prétendument réalisé à Varsovie.
- La rédaction des Observateurs de France 24 s'est rendue sur place et n'a observé aucune trace de ce graffiti. Contactée, la mairie de Saint-Mandé a affirmé que ce graffiti n’avait jamais existé. Aucune autre image ni aucune autre mention de cette fresque n'a par ailleurs été retrouvée sur internet.
- Une analyse forensique de l'image réalisée par un spécialiste de l’analyse d’images a révélé des "indications de manipulation".
- Plusieurs spécialistes de street-art ont mis en doute l'authenticité de l'image, relevant notamment des incohérences entre le matériel utilisé et le graffiti réalisé.
Le détail de la vérification
Une caricature de Volodymyr Zelensky est-elle apparue sur les pavés de la banlieue parisienne ? Une photo, partagée depuis le 29 novembre 2022 sur Instagram, Twitter, Facebook et Telegram, le prouverait.
On y voit un graffiti au sol, en trompe-l'œil, représentant le visage du président ukrainien comme sortant du bitume, et absorbant des billets de banques et des lingots d'or, à l’image d’un trou noir. Sous le regard d’un passant, une personne semble être en train de finir de réaliser l'œuvre. Quatre bombes de peinture et une boîte de craies se trouvent à côté de lui.
A l’arrière-plan, on peut observer la bouche de métro de la station Saint-Mandé, située à l’est de Paris, sur la ligne 1.
La photo a d’abord été publiée sur le compte Instagram typicaloptical, le 29 novembre 2022, où elle a reçu plus de 300 mentions “J’aime”. "Salut la France. Donne-moi tout ton argent. Désolé, mais pas désolé. @zelensky_official", indique la légende, selon laquelle la photo aurait été prise le vendredi 18 novembre 2022.
L’image a ensuite été partagée sur Twitter par des comptes anglophones, francophones ou hispanophones avec relativement peu de résonance.
Elle a également été relayée par Ramon Fonseca Mora, homme politique panaméen et fondateur de Mossack Fonseca, cabinet spécialisé dans la domiciliation de sociétés offshore s’étant retrouvé au cœur du scandale des Panama Papers.
La publication a toutefois été beaucoup plus populaire dans les sphères russes. Elle a par exemple été partagée sur ce compte Telegram qui compte plus de 500 000 abonnés où elle a été vue 70 000 fois ou sur celui-ci, suivi par plus de 150 000 personnes.
On la retrouve également sur plusieurs sites d'informations russes, et notamment dans cet article du 30 novembre 2022 de RIA FAN, une agence de presse russe, qualifiée par Conspiracy Watch d’ “usine à trolls financée par le Kremlin”. “Les contribuables européens sont de plus en plus insatisfaits de la question du soutien à l'Ukraine. Les citoyens blâment la détérioration du niveau de vie sur leurs gouvernements, qui dépensent des sommes importantes pour maintenir le régime de Kiev" peut-on y lire.
Aucunes traces d’un tel graffiti
Grâce à la bouche de métro apparente, la rédaction des Observateurs a pu localiser l’image prétendument prise à Paris. Le supposé graffiti aurait été réalisé sur la place du Général Leclerc à Saint-Mandé, dans le Val-de-Marne. Nous nous sommes rendus sur place et n’y avons pas trouvé le graffiti, ni aucune trace d’une fresque ancienne.
Selon la publication initiale postée le 29 novembre sur Instagram, le graffiti aurait été effectué le 18 novembre. Contacté par notre rédaction, la mairie de Saint-Mandé a affirmé que ce graffiti n’avait jamais existé. De telles fresques déclenchent normalement l’intervention des services techniques, qui n’ont pas été appelées dans ce cas.
Nous avons également interrogé plusieurs commerçants travaillant sur cette place. Les cinq employés de la Florangerie, le magasin de fleurs qui apparaît à l’arrière-plan de l’image, nous ont affirmé n’avoir jamais vu, ni entendu parler d’un tel graffiti.
Aucune trace d’une telle œuvre sur Internet non plus. Des recherches avec différents mots clés (comme par exemple “Zelensky Saint-Mandé”) sur Google, Twitter ou Facebook n’ont pas permis pas de trouver d’autres images de ce graffiti, qui auraient pu êtres prises par d’autres personnes ou sous un autre angle, ou aucun article de média le documentant.
Des “indications de manipulation”
Afin de repérer une éventuelle manipulation de l’image, la rédaction des Observateurs de France 24 a présenté ces deux images au Dr. Hannes Mareen, chercheur au laboratoire IDLab-MEDIA de l’Université de Gand et de l’Imec, en Belgique. Celui-ci a réalisé une analyse forensique de l’image (voir ici comment procéder), grâce aux outils MeVer et Invid WeVerify.
Si une telle analyse ne peut prouver avec une certitude absolue que l’image a été retravaillée, certaines méthodes ont révélé des “indications de manipulation”. Le chercheur a notamment détecté que le graffiti de Saint-Mandé et le reste de l’image avaient été compressés différemment.
Incohérences artistiques
L’authenticité de l’image a par ailleurs été mise en doute par plusieurs spécialistes de street-art, avec qui la rédaction des Observateurs de France 24 s’est entretenue.
Guirec Le Verge, président de l’agence GLV, spécialisée dans les arts urbains visuels, explique par exemple :
“On ne voit que quatre bombes, ce qui correspond à quatre couleurs différentes. Or il y en a beaucoup plus sur la fresque. Il y a au moins trois ou quatre verts différents, plusieurs jaunes.”
Un constat partagé par un membre de Graffeur Paris, une autre agence spécialisée dans le street-art :
“Les bombes sont totalement propres, et ses vêtements impeccables. C’est peu probable que l’artiste ait pu réaliser cette fresque sans tâcher ses vêtements ou ses bombes. Elle est également presque trop bien faite pour être crédible, il est très rare de n’avoir aucune trace d’une quelconque erreur ou incident. Les billets au premier plan sont extrêmement lisses, ce n’est pas cohérent avec la réalité du grain du bitume que l’on voit tout autour.”
Tous deux estiment à au moins deux journées de travail le temps nécessaire pour réaliser une telle œuvre. Difficile, donc, d’imaginer qu’elle ait pu passer inaperçue. “Le street-art parisien, c’est un microcosme. On en aurait entendu parler, il y aurait eu d’autres photos”, estime aussi Guirec Le Verge.
Les spécialistes interrogés pointent également du doigt l’importance de la météo. “Si le sol est mouillé, la peinture ne tient pas”, nous a par exemple expliqué Bénédicte Pilet, de l’agence Fresh Street Art Paris, spécialisée dans l’événementiel Street Art.
Or des averses ont été enregistrées en fin de matinée et dans la soirée du 17 novembre, puis dans la soirée du 18 novembre 2022, rendant la fenêtre d'opportunité étroite étant donné l’ampleur de la fresque.
Un graffiti similaire à Varsovie ?
Ce n'est pas la première fois qu'une mystérieuse photo d'une caricature du président ukrainien dessinée au sol apparaît sur les réseaux sociaux.
Au début du mois de novembre, une image d'une œuvre similaire, mais prétendument réalisée à Varsovie, en Pologne, avait émergé sur les réseaux sociaux (par exemple en français, en anglais ou en espagnol). L’artiste y était habillé de manière similaire, utilisait des bombes semblables et le président ukrainien y était aussi caricaturé sous les traits d’un trou noir.
Là encore, la photo avait été partagée dans des comptes Telegram (notamment dans le canal de Vladimir Soloviev, suivi par plus d’un million de personnes) et des médias russes (voir cet article du 3 novembre 2022).
Interrogé également par la rédaction des Observateurs de France 24 sur cette image, le Dr Hannes Mareen a, comme pour le graffiti de Saint-Mandé, détecté des “indications de manipulation”, et ce selon trois méthodes différentes.
Cette photo provient aussi du même compte Instagram que l’image partagée récemment. Un compte qui se présente en tant que “Typical Optical”, “un groupe artistique pas encore célèbre de PL [Pologne]”, correspondant selon lui à un “nouveau rayon de lumière dans le royaume de l'obscurité.” Au 2 décembre 2022, il était suivi par 126 abonnés.
Le média Polish News avait également infirmé l'existence de ce supposé graffiti réalisé en Pologne, aucune trace n’ayant été détectée sur le lieu de l'œuvre et la municipalité de Varsovie n’ayant eu écho d’aucune fresque de ce genre.
Trou noir
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la propagande pro-russe a plusieurs fois eu recours à des contenus manipulatoires comparant Volodymyr Zelensky à un trou noir, insinuant que les populations européennes en auraient assez de fournir une aide matérielle à l’Ukraine.
La rédaction des Observateurs de France 24 avait par exemple montré que cette une allemande présentant le président ukrainien Volodymyr Zelensky aspirant des armes et des billets de banque n’était pas authentique.
Ce narratif du “trou noir” fait également écho à une intox réalisée avec des images de la chaîne de télévision américaine WDIV le 17 Octobre 2022. Des images de Volodymyr Zelensky apparaissaient dans un montage alors que les présentateurs avaient annoncé diffuser le son d’un trou noir enregistré par la Nasa. La séquence originale révélait en réalité juste une photo de trou noir diffusée par la Nasa.