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Bateau ou camion piégé, missiles : attention à ces vidéos sur l’explosion du pont de Crimée

Attribuée par Moscou à un camion piégé, la violente explosion qui a touché le pont de Crimée samedi 8 octobre a donné lieu à de nombreuses intox en vidéo. Bateau piégé, missiles: certaines théories avancées pour expliquer l’incident s’appuient sur des contenus qui ne sont pas authentiques.

Plusieurs vidéos ont été détournées pour prétendre illustrer l'explosion qui a touché le pont de Crimée le 8 octobre 2022.
Plusieurs vidéos ont été détournées pour prétendre illustrer l'explosion qui a touché le pont de Crimée le 8 octobre 2022. © Observateurs
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Des flammes, de la fumée, une route effondrée : dans les instants qui ont suivi l’explosion survenue samedi 8 octobre sur le pont de Crimée, qui relie le territoire russe à la Crimée, de nombreuses images ont circulé sur les réseaux sociaux, montrant l’incident et les dégâts occasionnés.

Si l’explosion a été causée, selon Moscou, par un camion piégé, de nombreux comptes ont avancé des hypothèses alternatives. Mais l’authenticité des contenus sur lesquels ils s’appuient peut être contestée.

 

Le pont de Crimée frappé par des missiles ?

Deux vidéos prétendant montrer le pont de Crimée frappé par des missiles ont été relayées depuis samedi 8 octobre. Point commun de ces images : elles sont filmées en nuances de vert, à la manière d’une caméra nocturne infrarouge.

Une première vidéo, filmée sur un écran de téléphone, a particulièrement circulé sur Telegram, où elle a été vue ici 32 000 fois, et sur Twitter, où elle a atteint jusqu’à 123 000 vues. Elle a notamment été partagée dimanche par l’homme politique français François Asselineau, qui a repris un tweet (depuis supprimé) dont la vidéo avait accumulé des dizaines de milliers de vues. On voit deux faisceaux lumineux se diriger sur le pont puis une fumée noire s’élever dans un bruit de détonation. Un deuxième faisceau se dirige vers le pont juste avant que la vidéo ne se termine.

La deuxième vidéo, à droite.

Une deuxième vidéo ayant également circulé sur Twitter montre aussi ce qui ressemble à deux "missiles" s’abattant sur le pont de Crimée.

On peut comparer ces vidéos aux images satellites partagées par la société de technologie spatiale Maxar montrant le pont de Crimée après l’explosion. Les deux vidéos montrent la même portion du pont, côté ukrainien, où l’on reconnaît la même arche blanche que sur les images de Maxar. Cette arche est également visible ici sur Yandex Map.

 

 

Sur la première image satellite, on voit que la zone touchée semble néanmoins bien plus éloignée de l’arche que la zone d’impact sur les vidéos.

On le voit plus clairement sur la deuxième vidéo, où l’on compte environ six piliers séparant la "zone d’impact’ et l’arche blanche. Cependant, sur cette deuxième image satellite Maxar, on compte 12 piliers d’un côté et 11 de l’autre, sans voir l’arche apparaître.

 

Image de caméra de surveillance montrant l’explosion du pont, le 8 octobre 2022. Il n’y a qu’une seule grosse explosion, qui fait trembler la caméra quand l’onde de choc l’atteint.
Image de caméra de surveillance montrant l’explosion du pont, le 8 octobre 2022. Il n’y a qu’une seule grosse explosion, qui fait trembler la caméra quand l’onde de choc l’atteint. © Observateurs

Plusieurs autres indices visuels et sonores remettent par ailleurs en cause leur authenticité.

Nick Waters, journaliste au site d’investigation Bellingcat, a régulièrement affaire à ce genre de vidéos trafiquées. Il a détaillé à la rédaction des Observateurs de France 24 les indices qui permettaient de voir que ces deux vidéos ne sont pas authentiques.

Le filtre vert sur les deux vidéos suggère qu'il s'agit d'une caméra infrarouge, mais il n'y a aucune lumière visible sur le pont ou la route. S’il s’agissait d’une caméra infrarouge, le pont serait éclairé comme un arbre de Noël. L'ajout d'un filtre comme celui-ci est une tactique relativement courante dans ce genre de vidéos.

La seconde vidéo est évidemment la plus fausse. Elle semble filmée avec un drone. Il y a du son avec la vidéo, ce qui n’est pas le cas sur les images prises par de véritables drones de surveillance, qui n'enregistrent pas de son.

Le son de l'explosion est instantané, alors qu'en réalité le son mettrait plusieurs secondes à atteindre le microphone [de la caméra]. L'"explosion" ne ressemble en rien à une véritable explosion. Le souffle apparaît soudainement sur l'écran et il y a comme une coupe au moment de la détonation. (à 00:06)

La vidéo montre un deuxième "missile" en route vers le pont avant de s'interrompre. Il n'y a pas eu de seconde explosion de taille similaire dans les instants qui ont suivi, si on se base sur les images vérifiées de cet incident.

 

La première vidéo est moins claire visuellement, car filmée sur un téléphone. Elle est donc plus difficile à vérifier.

Cependant, beaucoup de choses dites pour la première vidéo s'appliquent. Il n'y a aucune lumière sur le pont, que ce soit sur la structure elle-même ou sur les voitures. Et encore une fois, il y a un deuxième "missile" juste avant que la vidéo ne s'arrête, mais il n'y a pas eu de deuxième explosion dans ce laps de temps selon les vidéos vérifiables.

Les deux vidéos apparaissent sur une chaîne russophone (ici et ) qui publie régulièrement des contenus censés montrer des ovnis et autres vidéos douteuses de ce genre. Sur la première vidéo, qui n’apparaît plus sur un écran de téléphone, mais en source directe, on voit plus distinctement la base de la détonation qui semble "déborder" en ligne droite sur l’eau, ce qui met encore plus en évidence son côté factice. Il a d’ailleurs publié d’autres vidéos montrant le pont de Crimée avec les mêmes effets sonores et visuels (comme celle-ci, qui ressemble beaucoup à la première vidéo, sans le filtre vert).

La rédaction des Observateurs n’a pas pu établir avec certitude l’origine de ces images, mais tous les éléments indiquent qu’il s’agirait donc d’images de synthèse, provenant du même compte YouTube russophone.

Deuxième vidéo : l’explosion d’un camion

Une autre vidéo est également utilisée pour appuyer l’hypothèse d’une explosion causée par des missiles. Il s’agit d’une séquence prise à travers le pare-brise d’un véhicule roulant sur le pont, jusqu’à ce qu’une détonation retentisse.

Cette séquence a été partagée sur Twitter, notamment dans cette publication en français qui a enregistré plus de 22 000 vues et 300 partages.

Certains internautes se basent notamment sur le son que l’on distingue dans la vidéo avant ce qui semble être un impact de projectile pour affirmer que l’explosion a été déclenchée par un missile. D’autres s’interrogent sur la possibilité d’un camion avec des explosifs.

Capture d’écran d’une publication du 8 octobre utilisant une ancienne vidéo pour documenter l’explosion survenue sur le pont de Crimée.
Capture d’écran d’une publication du 8 octobre utilisant une ancienne vidéo pour documenter l’explosion survenue sur le pont de Crimée. © Observateurs

Or plusieurs éléments nous permettent d’affirmer que cette vidéo ne montre pas ce qu’elle prétend. L’explosion qui a touché le pont de Crimée a eu lieu dans la nuit du 7 au 8 octobre, or la vidéo en question est prise en plein jour.

De plus, on peut, grâce à une recherche d’image inversée, se rendre compte que la vidéo est ancienne. Elle apparaissait par exemple le 9 mai 2022 dans ce canal Telegram russe, qui avertissait déjà que la vidéo était détournée. "La 'destruction du pont [de Crimée]' n'a pas eu lieu, mais cette fausse vidéo est apparue et a même commencé à être partagée", pouvait-on ainsi lire.

L’origine exacte de cet accident n’a cependant pas pu être retrouvée par la rédaction des Observateurs de France 24. Mais la vidéo datant d’il y a cinq mois, elle ne peut donc pas montrer l’explosion du 8 octobre sur le pont de Crimée.

Troisième vidéo : un bateau piégé ?

Autre théorie : celle d’un bateau piégé, qui serait passé sous le pont et aurait déclenché l’explosion.

C’est par exemple ce qu’affirment, sur Twitter, cette publication en anglais visionnée plus de 40 000 fois, ou ce tweet en français cumulant plus de 600 vues. "Il est maintenant clair que cette explosion ne vient pas du camion soi-disant kamikaze mais d’un drone sous-marin ou petit bateau bourré d’explosifs", peut-on ainsi lire en légende de ce dernier.

Capture d’écran d’une publication du 9 octobre 2022 affirmant que l’explosion sur le pont de Crimée a été causée par un bateau.
Capture d’écran d’une publication du 9 octobre 2022 affirmant que l’explosion sur le pont de Crimée a été causée par un bateau. © Observateurs

Ces publications s’appuient sur une vidéo de surveillance. Quelques secondes avant l’explosion, on voit une forme blanche arriver sous le pont. Selon ces internautes, il s’agirait du bateau piégé. Mais en regardant de plus près, il pourrait également s’agir d’une simple vague sans que cela soit parfaitement identifiable.

Surtout, l’explosion ne semble pas venir de l’endroit où est passé le bateau, comme l’a montré le média de vérification italien Open. En utilisant les images suivantes de la caméra de surveillance (disponibles dans cette publication par exemple), on peut se rendre compte que le cœur de l’explosion se trouve un peu plus loin sur le pont. On voit ainsi que la section du pont qui s’effondre est située de l’autre côté du pilier de pont, par rapport à l’endroit où se trouvait le prétendu bateau.

Si vous souhaitez nous signaler d’autres vidéos à vérifier sur le conflit en Ukraine ou sur d'autres événements, n’hésitez pas à contacter nos équipes via le compte @InfoIntoxF24.