Des prisonniers russes se sont-ils fait tirer dessus par des soldats ukrainiens ?
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Une vidéo relayée par plusieurs canaux dès le 27 mars 2022 affirme montrer, selon une légende sur YouTube, des "soldats ukrainiens tirer dans les jambes de prisonniers de guerre russes". La rédaction des Observateurs a analysé le contenu de la vidéo et a pu géolocaliser la scène. Si des suspicions de mise en scène ont été avancées par certains analystes sur les réseaux sociaux, aucun élément probant ne permet de remettre en question l'authenticité de la scène à ce stade.
Dans sa totalité, la vidéo dure 3 minutes et 38 secondes. On y voit des hommes en uniforme avec brassards blancs allongés sur le sol, les bras attachés dans le dos, visiblement blessés grièvement. L’un des hommes blessés a un sac blanc qui lui recouvre la tête. La personne qui filme lui dégage le visage : on peut alors y voir l’homme blessé, dont le visage est abîmé, vraisemblablement à l’agonie. À la fin de la séquence filmée, trois nouveaux prisonniers descendent d’un véhicule civil. C’est alors qu’un des hommes avec des brassards bleus tire dans les jambes des trois prisonniers à bout portant. Les hommes s’écroulent, blessés. La vidéo est terminée.
Le chef des forces armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, a affirmé le 27 mars que la Russie "filmait et diffusait des fausses vidéos", avec pour objectif de discréditer le traitement ukrainien des prisonniers de guerre russes.
Cependant, Oleksiy Arestovych, un conseiller de Volodymyr Zelensky, a annoncé dans une interview diffusée sur Telegram le même jour que le gouvernement ukrainien allait enquêter sur ces actes. Dans une publication sur son compte Instagram, il a ajouté : "Je voudrais rappeler à nos soldats, civils et forces de défense que maltraiter des prisonniers de guerre est un crime de guerre."
De son côté, le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, a annoncé, le 28 mars, demander une enquête, en parlant d'images "monstrueuses".
Si ces images s'avèrent authentiques, elles seraient contraires à la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, adoptée en 1949 et interdisant aux soldats de maltraiter des hommes captifs en temps de combats.
La vidéo a été tournée près de Kharkiv, en Ukraine
Un internaute a proposé une géolocalisation de la séquence vidéo. La rédaction des Observateurs de France 24 a indépendamment vérifié la localisation et est en mesure d’affirmer qu’elle a bien été tournée dans une usine laitière à Malaya Rohan, un petit village à moins de 10 km à l’est de Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, assiégée par les forces russes depuis le début de leur invasion le 24 février. Selon l'AFP, les forces ukrainiennes ont repris le village de Malaya Rohan aux Russes le 28 mars.
Même si le lieu où la vidéo a été tournée est connu, la date exacte ne l'est pas en revanche. La première occurrence de la vidéo en ligne est dans un tweet du 27 mars. Sur la séquence vidéo, aucune trace de neige n’est visible au sol ou sur les objets environnants. Les archives de la météo à Kharkiv indiquent que la région était couverte de neige entre le 24 février et le 11 mars. La vidéo a donc vraisemblablement été filmée entre le 11 et le 27 mars 2022.
Brassards bleus et brassards blancs
La présence dans la vidéo de brassards bleus et blancs suggère qu'elle date du conflit de 2022, pendant lequel les forces russes portent souvent des brassards blancs et les Ukrainiens des brassards bleus ou jaunes, visiblement pour se reconnaître entre eux. Parmi les hommes blessés au sol, les mains dans le dos, presque tous portent des brassards blancs. Quant aux soldats qui les maltraitent et leur tirent dessus, ils portent des brassards bleus.
Pour autant, aucun de ces éléments ne constitue une preuve de l’implication de soldats ukrainiens dans cette affaire, les brassards pouvant avoir été portés juste pour la scène.
Les prisonniers sont questionnés en russe. Selon la BBC, qui a demandé à ses linguistes d’analyser la vidéo, l’accent des personnes au brassard bleu est "concordant avec une personne ukrainienne qui parle russe". La chaîne britannique explique également qu’un homme au sol est accusé "d’avoir bombardé Kharkiv".
Des internautes doutent de l'authenticité de la vidéo
Le 28 mars, un compte Twitter pro-ukrainien poste un extrait de dix secondes de la même vidéo, de qualité nettement meilleure, avec la légende suivante en russe : "Ces hommes méritent un Oscar ! Vous vous souvenez de la vidéo avec les tirs dans les jambes ? Voilà une répétition de la performance."
Le 30 mars, le même compte poste un montage des parties de la même vidéo avec une légende en anglais : "Prêts pour les détails ? Partie 2." Il affirme démontrer, preuves à l’appui selon lui, que c’est une mise en scène russe. Balles à blanc, fausses blessures et acteurs : pour l’internaute, c’est une opération de propagande de la part de la Russie, qui viserait à discréditer l’armée ukrainienne.
Pourtant, des experts interrogés par la BBC affirment que le manque de sang est parfois caractéristique de blessures par balle (en plus avec un garrot). Aussi, ils expliquent qu’il est possible que des hommes touchés par balle ne gémissent ou ne crient pas, par effet de choc.
Des soldats ukrainiens aperçus dans la zone de Kharkiv quelques jours avant avec des prisonniers russes
Nos confrères de CheckNews du quotidien français Libération ont également enquêté sur ces vidéos. Ils expliquent avoir trouvé une vidéo postée par des soldats de l'unité Kraken, le bras armé d’un parti extrémiste ukrainien (proche du bataillon Azov).
Dans une vidéo publiée le 26 mars sur une chaîne Telegram liée à Azov, on voit que des combats ont lieu entre Ukrainiens et Russes dans la région de Kharkiv. Des prisonniers sont faits par les soldats ukrainiens. Libération a géolocalisé au moins un endroit où les combats se sont déroulés, à environ 5 kilomètres de l'usine laitière de Malaya Rohan.