Ukraine : entre débrouille et angoisse, deux étudiants racontent leur évacuation de leur “seconde maison”
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Près de trois semaines après le début de la guerre en Ukraine, trois millions de personnes ont fui le pays, parmi lesquelles des étudiants étrangers. Un étudiant indien, qui vivait à Soumy et a pu rentrer dans son pays au bout de l’angoisse, et une étudiante eswatinienne passée en Roumanie par ses propres moyens, racontent leur périple.
Quelques jours après le début de l'invasion russe en Ukraine le 24 février, des étudiants étrangers, bloqués à Soumy, dans le nord de l’Ukraine, avaient lancé des appels à l'aide sur les réseaux sociaux pour demander leur évacuation. Le 4 mars, Mohammad Mahtab Raza, 23 ans, étudiant en médecine à l’université d’État de Soumy, avait ainsi fait part de son inquiétude à notre rédaction. Avec ses camarades, ils craignaient d’être pris entre deux feux ennemis, au point qu'ils n’osaient plus sortir de leur résidence d’où ils entendaient en permanence les frappes aériennes. La mort d’un étudiant indien de 21 ans à Kharkiv le 1er mars n’avait fait qu’accroître leur inquiétude.
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Le 8 mars, Mohammad Mahtab Raza et ses camarades ont finalement pu être évacués lors d’une trêve temporaire permettant l’ouverture d’un corridor humanitaire entre Soumy et Poltava, plus au sud. Selon le gouverneur de la région, ce jour-là, environ 3 500 civils ont quitté Soumy, dont près de 1 700 étudiants étrangers.
#UPDATE | Embassy of India, Kyiv along with Indian World Forum & Ukrainian RedCross are assisting the stranded students through the journey from Sumy to Poltava from where they will board trains to western Ukraine. Flights under #OperationGanga being prepared to bring them home. pic.twitter.com/1hNMvHKbAr
— ANI (@ANI) March 8, 2022
"Le voyage de Soumy à la frontière polonaise nous a semblé très long, et nous avions très peur"
Après plusieurs jours de voyage, Mohammad Mahtab Raza est de retour en Inde. Il raconte :
[Le 6 mars], le personnel de l'université nous a dit que nous allions évacuer le lendemain. Mais le 7 mars, beaucoup de mes camarades filles étaient déjà assises dans le bus venu nous chercher quand elles ont reçu un message indiquant que le plan d’évacuation était reporté. Le 8 mars, à 8 heures du matin, enfin, nous avons pu être évacués de Soumy.
Currently in Poland and we have 3 flights departing today at 4:30,5:30 & 6:30.Gratitude to the INDIAN GOVT.for our safety.Thankful for the support from MEA,INDIAN EMBASSY,RED CROSS,MEDIA for reaching out.Blessed with love from all the loved ones.@PMOIndia @RahulGandhi @JM_Scindia pic.twitter.com/zgaFbdj2Jk
— IamMahtab (@DudeMahtab) March 10, 2022
Nous avons pris un bus de Soumy à Poltava, puis un train pour Lviv. Nous sommes arrivés en Pologne à 5h23 du matin le 9 mars. Le voyage de Soumy à Lviv et de Lviv à la frontière polonaise semblait interminable.
"Les Ukrainiens nous ont aidés à évacuer"
Nous avons eu très peur lors du trajet en bus. Je voyais des milliers de tanks et de soldats tout au long de la route. C’était impossible de dormir. Quand nous sommes arrivés en Pologne, nous étions tous très heureux.
Les Ukrainiens nous ont aidés à évacuer, et ont distribué un peu de nourriture entre Soumy et Poltava. Puis c’est l’ambassade indienne qui a pris en charge nos repas entre Lviv et la Pologne. Je suis très heureux d’être de retour à la maison.
"Nous voulons dès que possible retourner en Ukraine. C’est notre seconde maison"
Certains étudiants résidant dans des villes plus à l'ouest ou au centre avaient, eux, quitté l'Ukraine dans les premiers jours de la guerre. C'est le cas de Vukile Dlamini, 19 ans, originaire d’Eswatini (anciennement appelé Swaziland) et étudiante en médecine à Vinnytsia, une ville relativement épargnée par le conflit pour le moment. Elle a quitté le pays par ses propres moyens le vendredi 26 février :
À Vinnytsia, huit missiles ont ciblé l'aéroport, mais les bâtiments sont relativement épargnés pour l’instant. Quand j’y étais, on entendait souvent les sirènes et nous devions nous rendre dans un bunker. Même s'il n'y avait pas de combat, comme nous étions à trois heures de Kiev, nous avions peur que les Russes arrivent très rapidement.
Nous sommes alors partis le vendredi 26 février en bus avec d’autres camarades d’Eswatini et du Zimbabwe. Nous avons commandé nous-même ce bus, ce qui nous a coûté environ 100 000 hryvnia en tout (2 500 chacun, soit 77 euros).
Après 8 heures de route, le bus nous a déposés à presque 20 kilomètres de la frontière roumaine. Il y avait énormément de bouchons alors nous avons fait la fin du trajet à pied. Sur le trajet, des Ukrainiens nous ont offert du thé et des biscuits.
"J’ai attendu 7 heures avant de passer la frontière"
À la frontière roumaine, la situation est devenue plus compliquée : il y avait une entrée pour les Ukrainiens, et une autre pour les étrangers. Il y avait beaucoup de personnes originaires du continent africain, du Moyen-Orient, ou d’Inde. Les soldats ukrainiens n’ouvraient pas notre entrée, alors qu’ils laissaient passer les nationaux. J’ai attendu 7 heures avant de passer. Quand mon tour est enfin venu, les Ukrainiens ont fermé le passage juste après moi. Derrière moi, on me poussait, tandis que les gardes-frontières retenaient la porte.
Des soldats ont cassé l’épaule d’un jeune du Zimbabwe avec qui je voyageais. Un autre étudiant a reçu un coup de pied au visage et une arme a été pointée sur lui [Vukile n'a pas d'images de cette scène, mais plusieurs scènes de discriminations et de violences aux frontières ont été recensés en Pologne, NDLR]
Arrivés en Roumanie, nous avons pris un bus pour Bucarest, où nous sommes restés dans un hôtel, tout a été organisé par un pasteur en lien avec notre ambassade. Puis j’ai pris l’avion pour rentrer chez moi quelques jours plus tard.
Nous voulons dès que possible retourner en Ukraine, quand la guerre sera finie. C’est notre seconde maison.
Vukile est rentrée chez elle, en Eswatini, le 4 mars. Depuis qu’elle est rentrée, elle gère un groupe de soutien pour aider ceux qui sont toujours en Ukraine.
Des civils ukrainiens et des étudiants étrangers toujours bloqués
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 3 millions de personnes avaient fui l’Ukraine au 15 mars. Environ 157 000 sont des ressortissants d'autres pays.
Mais des civils se trouvent encore dans l’impossibilité de quitter le pays. Dans le sud du pays, à Kherson, ville désormais contrôlée par l'armée russe, des dizaines d'étudiants africains sont bloqués, sans aucune information concrète concernant une possible évacuation.
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