En Russie, les habitants de la République des Komis excédés par les marées noires à répétition

Ekaterina Diachkova filme les dégâts causés par l’exploitation pétrolière près de la rivière de la Kolva et alerte sur la situation écologique sur les réseaux sociaux.
Ekaterina Diachkova filme les dégâts causés par l’exploitation pétrolière près de la rivière de la Kolva et alerte sur la situation écologique sur les réseaux sociaux. © Comité de sauvetage de la Petchora

La rivière Kolva dans le nord de la Russie est en proie à une marée noire depuis trois semaines. Mais le 26 mai, les habitants ont découvert une deuxième fuite dans un puits de pétrole. Les villageois isolés et marqués par la précarité demandent une solution durable aux marées noires récurrentes dans la région.

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Les premières nappes de pétrole dérivant le long de la rivière Kolva ont été remarquées le 11 mai 2021. Les habitants du village du même nom, situé dans la République des Komis, ont filmé des blocs de glace recouverts de pétrole qui descendaient le cours de la rivière. La République des Komis est une région du nord-ouest de la Russie, dont un quart des habitants font partie du peuple autochtone des Komis.

Cette vidéo publiée le 13 mai sur Telegram montre des blocs de glace recouverts de pétrole qui descendent la rivière près du village Kolva.

L'entreprise pétrolière Lukoil a annoncé le 17 mai que 100 tonnes d'hydrocarbures s'étaient échappées de l'un de ses pipelines, dont neuf s'étaient déversés dans la rivière Kolva.

Trois semaines plus tard, alors que les équipes de Lukoil et les habitants s'activaient encore pour nettoyer les dégâts, une institutrice russe, Ekaterina Diachkova a découvert une nouvelle fuite. Cette habitante du village de Novikbozh a remarqué le 26 mai qu'un liquide d'une couleur de plomb grisâtre s'était accumulé dans un ruisseau de forêt. Elle a posté une vidéo sur le réseau social Vkontakte, où on la voit prendre un échantillon d'eau pour l'analyser.

 

Dans la vidéo, Ekaterina Diachkova met dans une bouteille un échantillon du mélange grisâtre qui a envahi le ruisseau. Elle indique qu'il est 22h le 26 mai.

En remontant le cours du ruisseau, elle a découvert que la fuite provenait d'un puits de pétrole, duquel s'écoulait un liquide gris foncé. Le puits défectueux avait été recouvert par un baril pour éviter d'asperger le terrain tout autour :

"Si on cherche bien, on trouve toujours quelque chose qui fuit"

Ekaterina Diachkova est membre du Comité de sauvetage de la Petchora, une organisation qui défend depuis près de 30 ans la nature dans la vallée du fleuve du même nom. Cette institutrice, qui a aussi été élue au conseil d'État de la République des Komis pendant deux ans, essaie depuis plusieurs années d'alerter sur la situation écologique de sa région.

Cela fait longtemps que plus personne ne boit l'eau de la rivière, comme nous le faisions traditionnellement. La qualité de l'eau du robinet dans les villages est très mauvaise aussi. On y trouve souvent des concentrations trop élevées en fer et en manganèse. Même si Lukoil a installé une station de traitement des eaux, on ne voit pas la différence pour l'instant.

Les puits de pétrole sont très vieux, et personne n'y fait attention. Nous demandons à ce qu'il soit interdit d'exploiter les oléoducs de plus de 20 ans, qui fuient tout le temps. Si on cherche bien, on trouve toujours quelque chose qui fuit.

Lukoil propose des petites choses : de construire un terrain de jeu pour enfants, des saunas… Vous savez combien de saunas il faudrait construire pour se laver de cette crasse ? À part de l'eau propre et de l'air, on n'a besoin de rien. Un environnement dans lequel on puisse vivre normalement et paisiblement.

"Une partie des habitants des villages vit de la pêche et de la chasse. Pour eux, c'est dramatique"

Ivan Ivanov est président du Comité de sauvetage de la Petchora. Selon lui, de nombreux habitants des villages environnants dépendent des ressources de la nature pour vivre :

Les habitants des villages travaillent soit dans l'industrie pétrolière, soit sont retraités, soit vivent de la pêche, de la chasse, de la cueillette de baies et de champignons dans la forêt. Pour eux, cette pollution est dramatique.

C'est compliqué de faire de l'agriculture dans ces régions. Les prairies ont été inondées par l'eau avec le pétrole. C'est dangereux pour les troupeaux, qui peuvent s'empoisonner, tomber malades ou mourir. Les vaches qui mangent cette herbe polluée donnent ensuite du lait qui sera bu par les habitants…

Le 31 mai, le procureur de la République des Komis a initié des poursuites pénales au sujet de la fuite de pétrole du 11 mai.

Le ministère des Ressources naturelles de la région a confirmé qu'une deuxième fuite de liquide contenant du pétrole avait eu lieu le 27 mai. Le service fédéral de supervision de l'environnement a cependant affirmé que cette seconde fuite ne provenait pas d'un oléoduc. Lukoil a indiqué qu'il s'agissait d'un phénomène naturel par lequel du sable et de l'eau sortent de la terre. Des experts auraient affirmé, selon un article de RG.ru, que “ce phénomène naturel ne constitue pas une menace pour l'environnement, puisque la roche est peu toxique”.

C'est loin d'être la première fois que la région est frappée par une fuite de pétrole : en 1994, elle avait vécu l'une des catastrophes écologiques les plus graves de l'histoire russe, lorsque des dizaines de milliers de tonnes d'hydrocarbures se sont répandues dans les rivières et la toundra. D'autres fuites de pétrole moins importantes ont eu lieu en 2013, et pas plus tard qu'en automne dernier.