Quand le fiasco des Autolib’ devient une intox pour des Américains anti-voitures électriques

Selon ce post Facebook, partagé près de 400 fois, ces images montrerait une "décharge" de voitures électriques près de Paris.
Selon ce post Facebook, partagé près de 400 fois, ces images montrerait une "décharge" de voitures électriques près de Paris. © Observateurs

Une série de photos, diffusée sur Facebook aux États-Unis, est censée montrer un cimetière de véhicules électriques dont les batteries, défaillantes, n’ont pu être remplacées. Il s’agit en réalité de BlueCars issues du service Autolib’, déployé dans la capitale française de 2011 à 2018, et qui a pris fin en raison d’un lourd déficit.

Publicité

“Pensez-vous toujours qu’il faille passer au vert ?”, interroge une publication Facebook dont l’auteur est texan. “Je pense que je vais m'en tenir aux voitures à essence, car je n'aime pas l’idée de vivre dans un futur certifié vert”, renchérit un autre utilisateur Facebook, qui semble vivre en Floride. Un troisième évoque quant à lui des “voitures électriques Joe Biden”, en référence à l’âge avancé du président américain. Tous s’appuient sur des photos montrant des rangées de voitures entreposées sur un terrain vague.

“Voici une décharge près de Paris, en France, où se trouvent des centaines de voitures électriques”, indique la légende. Raison avancée de leur présence ici : “Les systèmes de stockage de la batterie ont lâché et doivent être remplacés.” Or, selon les publications, ces systèmes ne seront pas remplacés parce qu’ils “coûtent presque le double de ce que le véhicule a coûté à l'état neuf”, mais aussi car “aucune décharge ne permet de s’en débarrasser”. Leurs auteurs accusent par ailleurs ces voitures de générer une importante pollution : “leurs batteries se vident de leurs toxines dans le sol”. 

 

Pas n’importe quels véhicules électriques

Une recherche d’image inversée à partir des trois photos (on vous explique ici comment faire) permet de retrouver leur origine et d’en comprendre le contexte exact. Elles avaient été partagées au début du mois de mars 2021 sur plusieurs réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, dans des publications d’une association française spécialisée dans les véhicules électriques, ou encore d’habitants de Paris.

Ces messages dénonçaient eux aussi le stockage - qualifié de “cimetière” - de ces voitures électriques. Qui ne sont d’ailleurs pas n’importe quelles voitures, puisqu’il s’agit des “BlueCars” d’Autolib’, ces véhicules dits “en libre-partage” qui étaient disposés dans la capitale française et des villes alentour, entre 2011 et 2018. Un autocollant les identifiant comme telles est d’ailleurs visible sur les photos. 

Un autocollant permet d'identifier les véhicules du service Autolib'.
Un autocollant permet d'identifier les véhicules du service Autolib'. © Observateurs

La gestion d’Autolib’ avait été confiée par la mairie de Paris au groupe de l’homme d’affaires Vincent Bolloré. Ce service comptait en 2018 quelque 150 000 abonnés se partageant près de 4 000 véhicules répartis dans 103 communes de l'agglomération parisienne. Mais après sept ans d’existence, il n’était toujours pas rentable, du fait de l’offre trop réduite par rapport au nombre d’utilisateurs. Les voitures étaient souvent laissées sales et abîmées, et l’évolution des modes de déplacement - avec notamment le vélo électrique, les VTC, la location de véhicules privés - ne plaidait pas pour leur maintien.

Le 21 juin 2018, face aux dettes accumulées par Autolib’ (233 millions d’euros), Paris et les communes partenaires ont voté la fin du dispositif d’auto-partage. Et le contrat conclu avec le groupe Bolloré a officiellement pris fin le 25 juillet suivant. Mais que sont devenus les véhicules mis à disposition des abonnés, les fameuses “BlueCars” ?

 

Un millier de voitures stockées au sud de Paris

Dès novembre 2018, une centaine de BlueCars avait été mise en vente sur le parking d’un supermarché de Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher), à 200 kilomètres au sud de Paris. Les voitures étaient affichées au prix de 3 700 à 4 700 euros. Selon Actu Paris, la ville avait accueilli environ 3 000 de ces voitures. Par la suite, “d’autres ventes de véhicules ont eu lieu, par paquet de 50, à des prix très abordables”, écrit le média en ligne.

Toutes les BlueCars n’ayant pas encore connu une seconde vie, un millier d’entre elles sont stockées “sur deux sites proches : un parking et une aire défrichée d’une zone industrielle de Romorantin”. C’est sur ce second emplacement qu’ont été prises les images diffusées sur les réseaux sociaux. Le devenir de ces véhicules n’est pas connu, on sait juste qu’ils ont été vendus par le groupe Bolloré à la société qui gère le site.

La présence de centaines de voitures électriques sur un terrain vague n’a donc rien à voir avec une quelconque défaillance des batteries utilisées pour alimenter ces véhicules, car ces derniers fonctionnent toujours. Elle illustre plutôt l’échec d’une initiative lancée en France par des pouvoirs publics avec le concours d’un grand groupe industriel. Quant à la question de savoir si ce stockage engendre une pollution des sols, les batteries - potentiellement polluantes - ont été, selon les informations d'Actu Paris, retirées des BlueCars et aucune n’est restée sur le site de Romorantin.