Ligne Directe

Migration vers les Canaries : l'Atlantique, traversée de tous les dangers (3/3)

Roberto Basterreche, chef du centre de coordination des secours du Salvamento Marítimo à Las Palmas, explique les dangers des traversées vers les Canaries dans notre dernier numéro de Ligne Directe.
Roberto Basterreche, chef du centre de coordination des secours du Salvamento Marítimo à Las Palmas, explique les dangers des traversées vers les Canaries dans notre dernier numéro de Ligne Directe. © Ligne directe, Les Observateurs de France 24.

Depuis le début de l’année, plus de 18 000 migrants sont arrivés sur les îles Canaries, six fois plus qu’en 2019. Depuis les côtes africaines, ils ont traversé l’océan Atlantique dans l’espoir d’un avenir meilleur en Europe. Maëva Poulet, journaliste pour la rédaction des Observateurs de France 24, est allée à leur rencontre.  

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Pour les migrants, le voyage vers les îles Canaries se fait à bord d'embarcations appelées "cayucos", ou "pateras" en espagnol. Les "cayucos" sont des pirogues sénégalaises, souvent colorées, qui peuvent transporter plus d'une centaine de personnes à leur bord. Les "pateras" sont des embarcations de pêche marocaines ou mauritaniennes, plus petites, transportant entre vingt et cent personnes. 

Une embarcation de type "patera" partie de Dakhla.

Des embarcations de type "cayucos" au large du Sénégal.

En fonction des zones depuis lesquelles se fait la traversée, les prix varient : selon le journal espagnol La Vanguardia, le tarif maximum fixé depuis le Sénégal est de 600 euros. Ce sera entre 700 et 900 euros pour un départ de Mauritanie, et près de 1 500 euros depuis les villes de Dakhla ou Laâyoune, dans le sud du Maroc. Cette différence s'explique notamment par le temps de trajet. Les bateaux partis du Sénégal peuvent mettre jusqu'à dix jours avant de rejoindre les Canaries, parcourant près de 1 400 km en plein océan Atlantique, contre quatre à cinq jours depuis Dakhla. 

>> Retrouvez ci-dessous notre reportage Ligne Directe :

Dans notre dernier épisode de Ligne Directe aux îles Canaries, nous évoquons les dangers de ces voyages en mer avec Roberto Basterreche , chef du centre de coordination des secours du Salvamento Marítimo à Las Palmas. 

"À bord, les passagers n'ont aucun moyen de sauvetage"

Nous lui avons notamment demandé de commenter une vidéo envoyée à notre rédaction au mois d'octobre (voir captures d'écran ci-dessous), et montrant une pirogue sénégalaise se diriger vers les îles Canaries : 

C'est un "cayuco". Ce sont des embarcations solides. Le principal problème, c'est que la traversée est très longue, plus de 9, 10 jours. À bord, les passagers n'ont aucun moyen de sauvetage, ni de se signaler s'ils ont un problème parce qu'il n'y aucune couverture téléphonique, il n'y a rien."

Captures d'écran d'une vidéo envoyée à la rédaction des Observateurs de France 24 le mercredi 21 octobre (la rédaction des Observateurs ne la publie pas pour ne pas exposer les personnes qui apparaissent sur les images). Selon nos Observateurs, ces jeunes sont partis de Thiaroye-sur-mer aux alentours du 16 octobre.
Captures d'écran d'une vidéo envoyée à la rédaction des Observateurs de France 24 le mercredi 21 octobre (la rédaction des Observateurs ne la publie pas pour ne pas exposer les personnes qui apparaissent sur les images). Selon nos Observateurs, ces jeunes sont partis de Thiaroye-sur-mer aux alentours du 16 octobre. © Les Observateurs de France 24.

Roberto Basterreche a également expliqué à notre rédaction que certaines embarcations pouvaient, à cause d'une panne de moteur ou de GPS, se retrouver à la dérive. 

Vidéo d'une intervention du Salvamento Marítimo au large des îles Canaries. 

Le 19 novembre, dix corps ont été découverts sur l'une des îles du Cap-Vert, un archipel situé à quelque 500 km du Sénégal. Ce seraient très probablement des migrants clandestins ayant essayé de rallier l'Europe par la mer selon les autorités. Fin octobre, la vidéo d'une pirogue prenant feu au large de M'bour, au Sénégal, a également suscité un vif émoi : des dizaines de personnes seraient mortes dans cet accident. 

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Au large du Sénégal, une pirogue pour les Canaries prend feu : "Cette route offre deux possibilités, mourir ou réussir"

Les chiffres sont difficiles à obtenir, mais selon l'Organisation internationale pour les Migrations (OIM) au moins 500 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre les Canaries depuis le mois de janvier. 

Au Sénégal, le 13 novembre, des internautes ont organisé une journée de "Deuil national" en ligne pour rendre hommage aux jeunes décédés en effectuant la traversée vers les îles Canaries. 

Des artistes ont également répondu à l'appel, comme le chanteur Dip Doundou Guiss dont le clip "Deuil National" cumule plus de 600 000 vues. 

Traduction du refrain : Je n'en peux plus d'attendre un avenir meilleur, ma tête est pleine à craquer. / Je n'en peux plus d'attendre un meilleur avenir, j'ai choisi de ramer et je suis resté en mer. / Je suis mort mais j'ai enduré, la souffrance est maintenant finie. / Un espoir fini seul comme une bouteille à la mer, quand la mer a soif c'est moi qui meurs.

Le cas de Doudou Faye, un adolescent de 14 ans décédé en mer

Le cas du jeune Doudou Faye, 14 ans, a particulièrement bouleversé les Sénégalais : cet adolescent qui rêvait de jouer au foot en Europe est mort fin octobre pendant sa traversée vers les îles Canaries. Selon les médias locaux, l'enfant est tombé malade à bord de la pirogue, avant de décéder. Son corps a alors été jeté en mer. 

Le père de Doudou Faye, accusé de "mise en danger d'autrui" et "complicité de trafic de migrants" pour avoir payé la traversée à son fils, a comparu le 1er décembre devant le tribunal de grande instance de M'bour. Le tribunal a requis contre lui deux ans de prison ferme.

Un navire humanitaire pour la première fois au large des Canaries

Au large des îles Canaries, le Salvamento Marítimo tente d'éviter ces drames. Mais la zone de recherche et de sauvetage (SAR) est immense : elle représente presque deux fois la superficie du territoire espagnol. Les secours maritimes sont alertés sur des cas d'embarcations en détresse par des radars, des ONG ou des navires marchands. 

Pour Roberto Basterreche, les secouristes doivent être préparés à toutes les situations : 

Parfois, certaines personnes arrivent malades, déshydratées ou inconscientes. Il y a également eu des cas de naissances dans les pirogues et les équipes des secours maritimes ont déjà eu à couper un cordon ombilical.

Depuis mi-novembre, une ONG allemande a décidé d'envoyer un bateau sillonner les côtes de l'archipel espagnol pour secourir les embarcations de migrants. C'est la première fois qu'un navire humanitaire est présent dans cette zone au côté du Salvamento Marítimo. 

>> RELIRE SUR LES OBSERVATEURS : 

Espagne : les îles Canaries, nouvelle impasse pour les migrants ? (1/3)

Témoignages de migrants aux îles Canaries : "Si tu n'as pas de passeport, tu ne vas nulle part" (2/3)