Pervers et voyeurs visés par une loi au Japon : “Ici on blâme toujours les victimes”

Pour la première fois au Japon, un projet de loi vise à sanctionner les auteurs de photos à caractère sexuel prises sans consentement, un phénomène récurrent dans les transports en commun qui cible avant tout les jeunes femmes. Une avancée considérable, même si le pays a encore beaucoup de retard, notamment en matière d’éducation sexuelle, selon notre Observatrice.

Sur cette affiche, il est écrit “les chikan (voyeurs) sont partout, pensez à regarder derrière vous”. Ces affiches sont fréquentes dans les gares au Japon, ici à Yokohama. Photo prise par notre Observatrice.
Sur cette affiche, il est écrit “les chikan (voyeurs) sont partout, pensez à regarder derrière vous”. Ces affiches sont fréquentes dans les gares au Japon, ici à Yokohama. Photo prise par notre Observatrice. © Maki Abe/ Les Observateurs
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Au Japon, les transports en commun peuvent constituer un véritable cauchemar pour les femmes. Dans les rames bondées, couloirs ou escalators, elles peuvent tomber sur des “chikan”, mot qu’on pourrait traduire du japonais par “pervers”, et qui qualifie des hommes qui tentent de prendre des photos sous leur jupe sans leur consentement- ou dans certains cas qui leur font subir des attouchements.  

Un projet de loi qui cible le “voyeurisme photographique” prévoit de condamner la prise et la diffusion d’images à caractère sexuel prises sans consentement, y compris donc des photos réalisées par des chikan. Ce projet s'inscrit dans une série de mesures contre les violences sexuelles, qui prévoient également d'élargir la définition du viol ou encore de condamner le “grooming”, soit la demande de faveurs et d’images sexuelles d’un adulte à un mineur, un phénomène qui se produit en majorité sur les réseaux sociaux. 

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS :Voici à quoi ressemblent les "chikan", les pervers frotteurs des transports en commun japonais

“Les victimes sont souvent des jeunes filles en tenue d’écolières.” 

Dans ce pays où le corps des jeunes filles est fréquemment représenté de façon très sexualisée, certaines des victimes ne sont encore que des adolescentes, comme le dénonce notre Observatrice Maki Abe, qui a fondé une association qui vise à alerter et éduquer sur les violences sexuelles faites aux jeunes. Elle se bat depuis plus de 20 ans contre les violences sexuelles commises sur les mineurs :

La sexualisation des femmes au Japon est très problématique, on peut le voir dans les mangas, les animés, mais aussi les images partout dans la ville, les couvertures de magazines, dans les supermarchés, nous y sommes exposés tout le temps, y compris les plus jeunes.  

Au Japon, les transports en commun sont extrêmement bondés, beaucoup de personnes sont obligées de le prendre pour aller au travail, ou à l’école.

C’est souvent là que les “chikan” agissent. Les victimes sont souvent des jeunes filles en tenue d’écolières. 

En 2018, on comptait environ 3 000 condamnations, [5 000 en 2021, NDLR]   mais le véritable nombre de victimes est bien plus haut : toutes les plaintes ne sont pas enregistrées, ou parfois les victimes ne portent pas plainte car elles pensent que ça ne changera rien. 

Dans les métros de la région du Kansai, des affiches indiquent le numéro d’urgence à contacter et invitent les usagers à dénoncer au personnel de la gare ou aux policiers s’ils sont victimes ou témoins de “chikan”.

“Le Japon est très en retard dans la prévention des abus sexuels”

Ce phénomène existe depuis plusieurs années dans le pays, au point qu’aux heures de pointe, certaines rames sont même réservées aux femmes. Jusqu’à maintenant, des lois locales, qui varient de région en région, sanctionnaient ce genre d’acte.

Pour la première fois, ce projet de loi présenté au parlement japonais début mai prévoit de modifier le Code pénal afin de sanctionner la prise et diffusion d’images non consenties d’une personne à des fins sexuelles, ce que salue avec prudence notre Observatrice :

J’ai d’abord pensé que c’était un grand pas en avant. On parle de changer un Code pénal qui a plus de 100 ans [le code pénal japonais a été adopté en 1907, NDLR] . Mais il y a tellement de défis à relever, à commencer par le fait que nombre de femmes ne portent pas plainte.

À mon avis, le plus grand problème, c’est que la victime est toujours blâmée. On lui dit “pourquoi vous habiller avec une jupe si courte ?” ou “pourquoi vous marchez de cette façon ? C'est votre faute.” 

Photo prise par notre Observatrice dans une gare à Yokohama, où elle vit.
Photo prise par notre Observatrice dans une gare à Yokohama, où elle vit. © Maki Abe/ Les Observateurs

Dans toutes les gares du Japon, il y a des affiches comme celle-ci pour alerter les femmes des “chikan”. Mais le message, c'est souvent, comme sur cette photo que j’ai prise : “vous devez faire attention”, “vous devez regarder derrière vous”.

Pour Maki Abe, c’est sur l'éducation sexuelle qu’il faut accentuer les efforts.  

Au Japon, les élèves n'ont pas assez d'éducation sexuelle, surtout en ce qui concerne la notion de consentement.

Comme le Japon est très en retard dans la prévention des abus sexuels, les personnes qui travaillent dans le domaine de la prévention, de l'éducation, ou même dans la police ne sont pas toujours suffisamment sensibilisées.

Nous avons besoin d'une éducation préventive, mais aussi d'un système qui traite mieux les [femmes qui rapportent ce genre d’actes]. Car même quand les filles sont capables de parler, si la personne qui écoute n'a pas les bonnes connaissances, l'affaire ne sera pas traitée.

Le projet de loi prévoit des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans ou une amende pouvant atteindre 3 millions de yens (environ 20 000 euros).