Un distributeur de viande de baleine, dernier “gadget” au Japon pour relancer la consommation

Capture d’écran d’un vlog promotionnel devant un distributeur de produit à base de viande de baleine, à Tokyo, réalisé par “Kujira Japan”, un site qui promeut la viande de baleine.
Capture d’écran d’un vlog promotionnel devant un distributeur de produit à base de viande de baleine, à Tokyo, réalisé par “Kujira Japan”, un site qui promeut la viande de baleine. © Youtube / @KujiraJapan

Deux distributeurs automatiques de produits à base de viande de baleine ont été inaugurés à Tokyo le 24 janvier 2023. L’objectif : relancer la consommation, en pleine perte de vitesse au Japon. Au grand damne des défenseurs du cétacé, comme nos Observateurs, qui dénoncent ce nouveau “gadget” des baleiniers japonais, qui ont repris la chasse en 2019. 

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En sashimi, en steak ou en conserve : il y a l’embarras du choix dans les distributeurs automatiques “Kujira store” (kujira signifie “baleine” en japonais) qui viennent d’ouvrir à Tokyo, le 24 janvier. Sur les réseaux sociaux, amateurs et curieux partagent des photos des produits à l’emballage soigné.

Des conserves de viande de baleine, dans un troisième point de vente qui a ouvert dans la ville de Yokohama (1/2).
Des conserves de viande de baleine, dans un troisième point de vente qui a ouvert dans la ville de Yokohama (1/2). © @HuyunanoniSWDC / Twitter
Des conserves de viande de baleine, dans un troisième point de vente qui a ouvert dans la ville de Yokohama (2/2).
Des conserves de viande de baleine, dans un troisième point de vente qui a ouvert dans la ville de Yokohama (2/2). © HuyunanoniSWDC / Twitter

Depuis plusieurs années, l’industrie de la vente de baleine est en perte de vitesse au Japon. Décriée internationalement car considérée comme cruelle et menaçante pour la survie de plusieurs espèces, elle avait été bannie pendant plus de 30 ans, en 1986, après une campagne historique de l’ONG Greenpeace. Sauf qu’en 2019, le Japon s’est finalement retiré de la Commission baleinière internationale (CBI) et a relancé la pêche industrielle.

La pratique n’avait cependant jamais vraiment cessé. En 2014, la Cour internationale de justice avait ainsi condamné le Japon pour le massacre de près de 900 baleines par an sous couvert de “missions scientifiques” en Antarctique.  En quittant la CBI, le pays s’est néanmoins engagé à limiter son activité dans une zone d’environ 200 miles marins (370 km) des côtes nippones, correspondant à sa zone économique exclusive. L’entreprise Kyodo Senpaku, ancien fleuron de la flotte baleinière japonaise et principal acteur du secteur, mise énormément sur ces distributeurs, dont les ventes auraient déjà “dépassé leurs attentes” selon leur porte-parole. Ils prévoient d’ouvrir en tout 100 points de vente.

Un distributeur "Kujira store" à Yokohama.

"Les jeunes générations préfèrent les baleines "vivantes" à la viande de baleine"

Nanami Kurasawa fait partie d’un réseau japonais de défense des cétacés, le “Iruka & Kujira Action Network”. Elle dénonce l’installation des distributeurs, même si elle estime que la question ne risque pas de déchaîner les passions au Japon.

 C’est l'une des nouvelles tentatives pour faire vivre son industrie, mais honnêtement je pense que cela n'augmentera pas la demande de viande de baleine. En général, le sujet de la chasse aux baleines ou de l’animal en lui-même ne passionne pas les Japonais.  Mais il me semble tout de même que les jeunes générations préfèrent les baleines "vivantes" à la viande de baleine.    

En 2021, les Japonais ont consommé 1 000 tonnes de viande de baleine contre 233 000 tonnes en 1962 selon le ministère de l’Agriculture, des forêts et de la pêche, qui souligne qu’à l’époque, la consommation du cétacé dépassait celle du bœuf et du poulet.

Tentatives “désespérées” de l’industrie baleinière 

Petite mascotte enfantine en peluche, recette de sashimi : les promoteurs de la viande de baleine ne manquent pas d’idées pour encourager la consommation. 

Publication de “Kujira Town”, un site d’information sur les baleines qui invite à les connaître pour “rendre la nourriture plus amusante”. Le site est rattaché au centre de recherche sur les baleines, financé par le ministère de l’Agriculture.

 

Notre Observatrice dénonce l’argument principal des défenseurs de la consommation de baleine :  présenter cela comme une tradition ancestrale.

Ils avancent que "les étrangers s’opposent à notre culture, ils font de la discrimination à l'encontre des Japonais". Le gouvernement insiste aussi sur le fait que les baleines font partie des ressources halieutiques. Il dit que c'est notre tradition d'utiliser toutes les vies marines.” Les baleines sont gérées par l'Agence de la pêche [liée au ministère de l’Agriculture : NDLR], et non du ministère de l'Environnement. Leur objectif principal, c’est de promouvoir l'industrie de la pêche. Ils ne se soucient pas de l'environnement ou de la biodiversité.  Avec les défenseurs de l'environnement, nous faisons pression pour que cela change.

 

“Vlog” promouvant un des distributeurs automatiques à Tokyo

"Toute une génération a donc grandi en mangeant de la viande de baleine à la cantine"

Mark J. Palmer est le directeur adjoint de l’International Marine Mammal Project (IMMP), qui œuvre pour la protection des mammifères marins dans le monde entier. Il résume la stratégie des baleiniers au Japon, qu’il suit de près depuis plusieurs dizaines d’années :  

 Depuis des années, ils essaient d'institutionnaliser la chasse commerciale à la baleine et d'amener les Japonais à manger davantage de viande de baleine. Il est vrai qu’après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une période où le Japon était très dépendant des baleines parce qu'il était affamé. Toute une génération a donc grandi en mangeant de la viande de baleine à la cantine. Mais c’est une époque révolue. Même avant cela, si les Japonais mangeaient déjà parfois ponctuellement de la viande de baleine dès le Moyen-Âge, cela restait peu répandu. 

Le gouvernement japonais, en collaboration avec l'industrie baleinière, a mis au point plusieurs gadgets et produits pour encourager les gens à manger de la viande de baleine. Ils créent des restaurants, ils publient des recettes, ils vendent de la viande de baleine séchée. Ces magasins avec leurs distributeurs automatiques, c’est leur nouveau gadget.

Vidéo montrant “Baleine-chan”: la mascotte qui encourage la consommation de baleine, en train de danser.

En réalité, ils ont beaucoup de mal à se débarrasser des réserves de viande de baleine existantes au Japon et encore moins à les développer pour les rendre plus viables économiquement. Ils essayent désespérément de vendre de la viande (...) Les baleiniers font toujours pression pour augmenter les quotas, car c'est la seule façon de rendre l'activité rentable. 

 

Au Japon, les chasseurs de baleine doivent respecter chaque année un quota, fixé en 2023 à 347 baleines de trois espèces différentes : les baleines de Minke, les rorquals de Bryde, et les rorquals boréals.

 

 

Selon notre Observateur, ces trois baleines ne sont pas les seules à être consommées, ube autre espèce au moins est importée :

Les rorquals boréals sont considérés comme une espèce menacée C’est moins le cas des deux autres. Les rorquals communs, qui sont chassés en Islande, par exemple, constituent une grande partie de la viande qui est exportée vers le Japon.

Kyodo senpaku, l'entreprise, à l’origine des distributeurs automatiques, prévoit d’ailleurs d'importer chaque année près de 3 000 tonnes de viande de rorqual commun en provenance d'Islande à partir de février 2023. Néanmoins, le pays nordique avait annoncé début 2022 qu’il mettrait fin à la chasse à la baleine à l’horizon 2024, alors que la demande s’effondre.  Nos Observateurs espèrent que le Japon finira par prendre la même direction.