INTOX

Non, cette vidéo ne prouve pas que la nouvelle vague de Covid-19 à Shanghai est un mensonge

Plusieurs tweets s'appuient sur cette vidéo pour affirmer que les hôpitaux de Shanghai fonctionnent normalement, malgré la nouvelle vague de Covid-19. En réalité, elle est sortie de son contexte.
Plusieurs tweets s'appuient sur cette vidéo pour affirmer que les hôpitaux de Shanghai fonctionnent normalement, malgré la nouvelle vague de Covid-19. En réalité, elle est sortie de son contexte. © Observateurs

Pour certains comptes Twitter, le reportage de ce journaliste d’un média d’État montrerait des urgences loin d’être saturées, et prouverait que le rebond épidémique en Chine est faux. Mais les images ne montrent pas les hôpitaux de Shanghai.

Publicité

La vérification en bref

  • Depuis le 29 décembre, plusieurs comptes relayant de fausses informations autour du Covid-19 partagent le reportage d’un journaliste du Shanghai Daily, un des médias d'État anglophones de la ville.
  • Tourné le 20 décembre, il montre des files d'attente relativement peu nombreuses dans différentes cliniques : ses relais l'utilisent pour affirmer que les images montrant des hôpitaux débordés à Shanghai sont fausses, et la reprise de l’épidémie en Chine, un mensonge.
  • Mais ce reportage montre en fait des dispensaires destinés aux cas de Covid-19 les moins graves. L’auteur reconnaît aujourd’hui que la situation s’est dégradée dans les hôpitaux.

Le détail de la vérification

“Shanghai, Andy Boreham, journaliste : il n'y a pas de files d'attente aux urgences, de gens qui meurent dans les rues.”  Sur Twitter, le 29 décembre, un compte qui partage régulièrement de la désinformation autour de la pandémie de Covid-19 pense avoir trouvé des images qui montreraient le caractère mensonger de la reprise épidémique en Chine.

Sur Twitter, ce compte anti-vaccins partage ce reportage, qui contredit selon lui les "tonnes d'images catastrophes" sur la reprise épidémique en Chine.
Sur Twitter, ce compte anti-vaccins partage ce reportage, qui contredit selon lui les "tonnes d'images catastrophes" sur la reprise épidémique en Chine. © Twitter

Sur celles-ci, on peut voir Andy Boreham, un journaliste du média étatique Shanghai Daily, parcourir sa ville, d’un centre médical à l’autre, le 20 décembre. “J’ai vu des rumeurs en ligne selon lesquelles des gens meurent partout [...], alors ce que je vais faire, c’est aller voir par moi même”, assure-t-il. Devant les établissements qu’il montre, peu de personnes semblent attendre.

La vidéo originale provient du compte d'Andy Boreham, un journaliste du média étatique Shangai Daily

Ces derniers jours, de nombreuses images montrant les hôpitaux de Shanghai débordés par un afflux massif de patients circulent pourtant sur les réseaux sociaux. Elles proviennent parfois de comptes de journalistes.

Les médias ont également traité le sujet. Ce reportage de France 24 diffusé le 29 décembre, par exemple, montre un hôpital de la ville où les malades doivent attendre dehors pendant plusieurs heures pour recevoir des soins.

Depuis l’assouplissement par Pékin de la politique sanitaire “zéro Covid”, le nombre de cas en Chine est reparti très fortement à la hausse. Une augmentation aujourd’hui difficile à quantifier, puisque les autorités chinoises ont cessé la publication des statistiques quotidiennes sur la maladie depuis le 25 décembre.

Alors, la vidéo d’Andy Boreham prouve-t-elle que le retour du Covid-190en Chine est un “mensonge”, comme l’affirme cet internaute ?

Pour cet internaute, Andy Boreham démonterait le "mensonge" selon lequel "le Covid repart à nouveau". Par ailleurs, il se trompe de date : le reportage a été filmé le 20, et non le 22.
Pour cet internaute, Andy Boreham démonterait le "mensonge" selon lequel "le Covid repart à nouveau". Par ailleurs, il se trompe de date : le reportage a été filmé le 20, et non le 22. © Twitter

À Shanghai, l’épidémie progresse bel et bien

La vidéo, datant du 20 décembre, a été partagée à partir du 29 décembre par les internautes qui remettent en cause la réalité de la crise sanitaire en Chine, comme si la situation n’avait pas évolué entre ces deux dates.

Pourtant, celle-ci s’est fortement dégradée durant ces neuf jours. Le 19, soit la veille du tournage de la vidéo, les autorités de Shanghai renvoyaient la plupart des écoliers chez eux pour suivre les cours à distance, comme le rapporte cet article de la BBC.

Peu avant Noël, elles appelaient les habitants à rester chez eux pour contenir l’avancée du virus. Le nombre de Chinois contaminés en 24 heures aurait atteint 37 millions durant cette période, selon des estimations gouvernementales révélées par Bloomberg.

Le 24 décembre, les files d'attente à l’entrée de services d’urgences saturés sont filmées par les médias internationaux, comme on peut le constater dans cet autre reportage de France 24. 

Des images récentes, publiées le 2 janvier par le journaliste Frédéric Schaeffer, montrent des scènes similaires à l'hôpital Zhongshan, l’un des plus grands établissements publics de la ville.

Des images de dispensaires, et pas d’hôpitaux

Par ailleurs, les images d’Andy Boreham ne montrent pas les hôpitaux de la ville, comme le prétendent ceux qui les relaient. Le journaliste précise lui même dans la vidéo à quels établissements de santé il s’intéresse : “je suis devant une ‘fever clinic’, comme vous pouvez le voir il n’y a presque personne qui attend.”

Les “fever clinics” sont des dispensaires accueillant les “résidents locaux souffrant de fièvres”, comme le précise ce communiqué du gouvernement de Shanghai, qui a annoncé en avoir ouvert plus de 2 500. Il y assure l’approvisionnement de médicaments, en rupture dans les pharmacies.

Les "fever clinics" sont des structures distinctes des hôpitaux, conçues pour accueillir les patients atteints d'un Covid léger.
Les "fever clinics" sont des structures distinctes des hôpitaux, conçues pour accueillir les patients atteints d'un Covid léger. © Twitter/@AndyBxxx

Souvent aménagées à partir des anciens sites de test, les “fever clinics” doivent soulager les urgences hospitalières des cas de Covid-19 les plus bénins. À l’entrée des hôpitaux, des files d'attente importantes se formaient déjà le 20 décembre, date de de sortie de la vidéo : “au moins trois à quatre heures” dans l’un d’entre eux, de l'aveu même des autorités.

Les établissements filmés par Andy Boreham ne sont donc pas des hôpitaux. De faibles files d'attente à l’entrée ne constituent pas une preuve que les urgences de Shanghai fonctionnent normalement.  

Un discours proche de celui des autorités

Contacté par notre rédaction, Andy Boreham ne nie pas la situation difficile des hôpitaux dans la ville, mais suggère que les malades en seraient en partie responsables. “Les Chinois sont extrêmement sensibles à la fièvre, et courent à l’hôpital même si celle-ci est souvent normale”, assure-t-il. “Cela sature les hôpitaux, au détriment des personnes dans des situations plus urgentes”.

Il affirme également, vidéo à l’appui, que les “fever clinics” de Shanghai restent peu utilisées. “J’aimerais pouvoir dire qu’[elles] sont plus animées, car cela voudrait dire que les gens suivent les conseils du gouvernement, mais ce n’est pas le cas.”

Récemment décoré par une médaille officielle, le journaliste tient un discours en phase avec celui des autorités de la ville, qui appellent régulièrement les habitants à davantage utiliser les “fever clinics”. “Les patients atteints de fièvre et dans un état stable peuvent aller dans les ‘fever clinics’ par eux-mêmes, au lieu d’appeler une ambulance”, peut-on ainsi lire dans un communiqué sur le site officiel de la ville, daté du 26 décembre.

Travaillant pour un groupe de presse supervisé par le Parti communiste chinois, Andy Boreham a récemment été décoré par les autorités de Shanghaï.
Travaillant pour un groupe de presse supervisé par le Parti communiste chinois, Andy Boreham a récemment été décoré par les autorités de Shanghaï. © Twitter/@AndyBxxx

Mais ces établissements ne sont pas équipés pour recevoir les personnes souffrant de formes sévères ou de complications et ne peuvent répondre qu’à une partie de la demande de soins, dans une ville où 36 % de la population a plus de 60 ans. Ces cas graves doivent toujours se rendre dans les hôpitaux, où tous les lits sont parfois occupés, et certains soignants contaminés par le virus, comme le raconte ce reportage du journal Les Echos.