Têtes de cochon, barbecue au porc : en Corée du sud, des actes islamophobes contre un projet de mosquée
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Des étudiants musulmans dénoncent des actes islamophobes perpétrés par des opposants à un projet de mosquée à Daegu, troisième plus grande ville de Corée du Sud. Des images publiées en ligne ou transmises à notre rédaction montrent, entres autres, des pancartes aux propos haineux envers l’islam ainsi que des têtes de cochons disposées devant la mosquée en construction.
Jeudi 15 décembre, le "comité anti-mosquée de Daegu" a organisé un grand barbecue à base de porc, à seulement quelques mètres d'une mosquée en construction, dans un quartier où se retrouvent régulièrement des dizaines d’étudiants musulmans qui fréquentent l’université Kyungpook, à proximité.
The pork BBQ party has started in front of the mosque construction site in Daegu's Daehyeon-dong. Pig heads are on display, and a whole pork roast is being cooked. The meat is being carved and distributed to locals for lunch. pic.twitter.com/DmUP7xTWEM
— Raphael Rashid (@koryodynasty) December 15, 2022
Quelques jours plus tôt, le 6 décembre, une tête de porc avait été déposée sur une chaise au même endroit. C’était la troisième fois en deux mois que des étudiants musulmans étrangers retrouvaient cette installation macabre - une référence douteuse à l’interdiction de la consommation de porc de l’islam.
Depuis 2014, les étudiants musulmans se retrouvaient pour prier dans une maison de deux étages faisant office de centre culturel et religieux qui faisait office de mosquée. Fin 2020, ils ont obtenu le feu vert administratif pour faire des travaux et transformer ce centre en véritable mosquée. Mais depuis, ils font face à l’opposition d’un groupe de voisinage qui vient manifester régulièrement pour bloquer les travaux.
Ces manifestations ont pris à plusieurs reprises une tournure islamophobe, comme en attestent plusieurs vidéos et photos transmises à notre rédaction par l’un des étudiants.
"Ils mettent la musique très fort pendant notre temps de prière"
Muaz Razaq a quitté le Pakistan en 2019 pour l’université de Kyungpook à Daegu, fréquentée selon lui par une centaine d’étudiants musulmans. Il affirme que les relations avec les voisins étaient plutôt bonnes avant le début de la construction de la mosquée.
Au début, certains d'entre nous se sont fait traiter de terroristes quand ils croisaient les manifestants. Ils recouvraient le site de pancartes anti-islams et distirbuaient des flyers aux messages islamophobes dans les rues. Les choses se sont un peu calmées après que la commission des droits de l'homme sud-coréenne a jugé ce mode de manifestation discriminatoire [en octobre 2021, NDLR].
Mais ces derniers mois, les opposants au projet de la mosquée se sont mis à mettre de la musique très fort à plusieurs reprises pendant notre temps de prière, ou encore à placer ces têtes de porcs devant la mosquée.
Depuis environ deux mois, trois têtes de porcs ont été placées devant le portail.
3 Pig heads placed outside our Mosque in Daegu, South Korea. The first one was placed on 27th October, 2nd on 14th November, and now 3rd on 6th of December.
— Muaz Razaq (@MuazRazaq) December 8, 2022
Police & District Office isn't helping.
Religious Freedom?@ROK_Mission @UNrightsSeoul#SouthKorea #islamophobia pic.twitter.com/LQaa6jke3D
Les étudiants qui sont tombés sur les têtes de porcs ont été choqués. Ce n’est pas juste parce que c’est une tête de cochon, ça aurait pu être n’importe quel animal, en dehors de la dimension religieuse, c’est assez violent de se trouver face à cela, de mettre cela devant chez quelqu’un.
Les opposants ont argué dans la presse coréenne que c’était une tradition, mais pourquoi le font-ils devant la mosquée ? Et si c’est une tradition si répandue, comment se fait-il que je n’ai jamais vu ça depuis trois ans que je vis en Corée du Sud ?
Un rituel shamanique qui fait appel à une tête de porc existe effectivement bien en Corée, mais pour inaugurer les nouveaux commerces. Plusieurs habitants interrogés par la presse coréenne ont rejeté toute accusation d’islamophobie, avançant qu’ils ne veulent simplement pas voir un bâtiment religieux en plein cœur de leur quartier, car cela menacerait leur vie privée à cause du passage et du bruit générés. Une voisine explique ainsi au Korea Time qu’elle se serait aussi opposé au projet s’il s’agissait d’une église. Mais pour Muaz Razaq , c’est bien, un problème de religion :
Même s’ils disent que ce n’est pas de l’islamophobie, leurs actions parlent d’elles-mêmes. Pourquoi alors ne disent-ils rien de l’immense église juste à côté ? Ils se plaignent aussi beaucoup de l’odeur et du bruit, [notamment pendant les fêtes religieuses musulmanes, NDLR]. Mais justement, avoir une mosquée finie et moderne, contrairement à ce qu’on a aujourd’hui, ça permettrait de changer tout cela.
"Avant cette mosquée, on avait de bonnes relations avec les voisins"
Après plusieurs procédures judiciaires intentées par les habitants pour faire arrêter la construction, l’affaire est allée jusqu’à la Cour suprême sud-coréenne, qui a statué en faveur de la construction de la mosquée en septembre 2022. Mais le conflit est loin d’être réglé et Muaz Razaq a peu d’espoir d’un retour au dialogue.
Nous avons vraiment tout essayé, mais à partir du moment où c’est devenu plus violent, notamment vis-à-vis de notre religion, le dialogue a été brisé. C’est difficile de parler avec eux car ils veulent juste qu’on parte de là.
En Corée du Sud, le cas alimente le débat du "multiculturalisme" dans une société encore conservatrice. La ville de Daegu, située au centre du pays, est en outre moins exposée aux autres cultures que la capitale Séoul. Malgré cette situation compliquée à Daegu, Muaz Razaq affirme qu’il n’a pas connu d’autres difficultés en tant que musulman en Corée du Sud.
Avant qu’il ne soit question de reconstuire une mosquée, on avait même de bonne relation avec les voisins, et je n’ai pas subi de discrimination vis-à-vis de ma religion. Je ne veux pas généraliser et j’ai rencontré dans ce pays également beaucoup de personnes très tolérantes. Je pense que certains partis politiques et religieux encourageant juste un sentiment de peur chez nos voisins.
En 2022, 200 000 Musulmans vivaient en Corée du Sud, la majorité de nationalité étrangère, ce qui représente moins de un pour cent de la population, contre environ 30 % de chrétiens et 17 % de bouddhiste en 2021. Le pays compte une dizaine de mosquées et centres culturels pour accueillir les fidèles, notamment la grande mosquée de Séoul, construite en 1976.