Isolés dans des “porcheries”, plus censurés que jamais : les Tibétains face à la politique “zéro Covid”
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Depuis la mise en confinement de la ville de Lhassa dans la région autonome chinoise du Tibet, le 9 août dernier, des résidents dénoncent en masse la gestion de l’épidémie de Covid-19 par les autorités locales, via des vidéos filmées depuis les centres de quarantaine surpeuplés et insalubres, surnommé “porcheries”. Vite censurés, les Tibétains pensent que le Covid-19 est une nouvelle occasion pour Pékin de les discriminer.
Des centres d’isolement surpeuplés, au point où des gens doivent dormir sur le sol, de la nourriture avariée et des files d’attente interminables dans le froid : de plus en plus d’images témoignent d’une situation très préoccupante dans plusieurs villes tibétaines.
La capitale de la région autonome du Tibet, Lhassa, ainsi que deux autres districts tibétains sont confinés depuis le 9 août, après que 22 cas de Covid-19 ont été détectés. Dans le cadre de sa politique “zéro Covid” les autorités chinoises ont mis en place un protocole très strict qui consiste à réaliser des tests PCR sur toute sa population et à placer les personnes positives dans des centres d’isolement. De nombreuses vidéos ont témoigné des abus de cette politique à travers la Chine. Mais au Tibet, les conditions de confinement paraissent particulièrement indignes.
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Des habitants tentent de dénoncer en masse sur les réseaux sociaux la gestion désastreuse de l’épidémie dans des vidéos et témoignages qui apparaissent brièvement avant d’être absorbés par la censure, puis sont republiés sur d’autres réseaux sociaux comme Twitter. Dans cette région où la liberté d’expression est extrêmement limitée par le régime central, il est rare que la contestation résonne autant, malgré la censure : une preuve de l’ampleur de l’appel à l’aide sur les réseaux sociaux.
To get more views on the cries for help from Lhasa under lockdown, some people have started “squatting” on a hashtag about mega-celebrity Angelababy 杨颖 smoking… pic.twitter.com/qPvA47wq3v
— Alexander Boyd (@alexludoboyd) September 15, 2022
TW: SFT has received reports and videos from sources inside Tibet about the current situation Tibetans are facing. These are egregious violations of the basic human rights of Tibetan people and no one can turn a blind eye to this. Please share widely. #Lhasa #ZeroCovidPolicy pic.twitter.com/SYpGxT7JqP
— Students for a Free Tibet (@SFTHQ) September 15, 2022
“Si on vous demande d’aller dans un centre de quarantaine, même si vous n’avez pas le Covid, vous ne pouvez pas vous y opposer”
Ngawang Lungtok fait partie du “Tibetan Centre for Human Rights and Democracy” (ou "TCHRD"), une association qui documente les violations des droits de l’Homme au Tibet depuis Dharamsala, ville du nord de l’Inde qui accueille le Dalaï-Lama et un grand nombre de Tibétains en exil. Il explique que les images et témoignages en ligne et qui leur sont transmis décrivent une situation “extrêmement grave” à Lhassa :
De nombreux résidents, qu’ils soient contaminés ou non par le Covid, sont placés dans des centres de quarantaine.
Ces centres sont essentiellement de vieux bâtiments, des tentes ou des bâtiments encore en construction, avec des murs incomplets et sans peinture. La nourriture qui y est distribuée est parfois avariée, ce qui n’arrange pas les choses.
[À cause de ces conditions et de la proximité dans les lieux de quarantaine] beaucoup de personnes qui n'avaient pas initialement le Covid le contractent. Et si on vous demande de vous rendre dans un centre de quarantaine, même si vous n’avez pas le Covid, vous ne pouvez pas vous y opposer.
Des vidéos filmées dans les lieux de quarantaine à Lhassa montrent ainsi des locaux insalubres ou encore en construction, des dortoirs immenses où les gens dorment dans une proximité extrême et sans aucune intimité. Les Tibétains ont surnommé ces lieux “phaktsang”, qui signifie “porcherie” en tibétain, une déformation de “‘fangcang’ (qui désigne les cellules d’isolement de quarantaine en Mandarin).
Les personnes dans les centres de quarantaine et abris temporaires ne disposeraient pas de suffisamment de nourriture et de soins médicaux, selon plusieurs témoignages en ligne, tandis que d’autres sont confinés chez eux, dans des conditions similaires.
Des images montrent également de la nourriture complètement avariée distribuée aux personnes confinées, et des longues queues sous la pluie battante pour faire un test PCR ou accéder à un lieu de quarantaine.
“La crise du Covid est un cadeau fait aux autorités pour faire taire la dissidence”
Face aux témoignages qui s’accumulaient pour dénoncer la situation, un vice-maire de Lhassa a présenté le 17 septembre 2022 des excuses publiques, reconnaissant une mauvaise gestion de l’épidémie. Ce n’est qu’une façade pour notre Observateur :
Le vice-maire a présenté ses excuses non pas parce qu'il se soucie du Tibet, et des Tibétains mais parce que beaucoup de Chinois d'autres ethnies vivent à Lhassa ou ont vu ce qu’ils s’y passait. Cela l'a obligé à faire cette mise en scène d'excuses. Mais depuis cet épisode, les restrictions et la censure ont doublé. Ça devient très difficile pour nous [depuis l’Inde] de savoir ce qui se passe actuellement.
Dès le début de l’épidémie, de nombreux habitants du Tibet central expriment leur mécontentement à l'égard de la gestion de l’épidémie. Et ils ont vu leur compte se faire bloquer ou supprimer.
Sous le motif très flou en droit pénal chinois de “répandre des fausses rumeurs”, les autorités restreignent la liberté d'expression, en particulier sur Internet.
De manière générale, la crise du Covid offre en quelque sorte à la Chine un cadeau pour faire taire la dissidence [notamment au Tibet].
Les Tibétains souffrent d’être traité différemment depuis tellement d’années maintenant. Je pense que c’est lié, selon moi, à une discrimination ethnique. Des membres de l'ethnie Han [ethnie de 91 % des Chinois, NDLR] estiment que les Tibétains leur sont inférieurs.
Dès le début de l’épidémie en août, les autorités locales ont menacé de poursuivre ceux qui “répandent de fausses rumeurs” pour les crimes d'"incitation au séparatisme", de "destruction de l'unité ethnique", de "destruction de l'unité nationale" et d'"incitation à la subversion de l'État".
Le 18 septembre, trois personnes ont été sanctionnées pour avoir publié en ligne "des rumeurs liées au Covid, incité à la confrontation et appelé à se rassembler “ au sujet de l’épidémie, selon la police de Lhassa.
Les Tibétains subissent depuis des dizaines d'années de nombreuses restrictions de leurs libertés individuelles, face à la volonté du pouvoir central de faire taire ceux qui réclament un Tibet indépendant ou plus autonome. La politique “zéro Covid” de la Chine permettrait d’aller encore plus loin, selon notre Observateur, qui explique que ces restrictions liées au Covid pourraient également être un moyen de faire taire une possible contestation tibétaine à l’approche du 20e sommet du Parti communiste chinois, à la mi-octobre.