En Nouvelle-Zélande, le retour des tatouages “moko” pour célébrer la culture maorie

Mokonui-a-rangi Smith fait ses tatouages à la main avec des “uhis”, outils traditionnels maoris et polynésiens, dans son studio à Auckland.
Mokonui-a-rangi Smith fait ses tatouages à la main avec des “uhis”, outils traditionnels maoris et polynésiens, dans son studio à Auckland. © Mokonui-a-rangi Smith

L’art traditionnel du tatouage maori, le “tā moko”, a failli disparaître pendant l’ère coloniale. Mais depuis une vingtaine d’années, il fait un retour sans précédent en Nouvelle-Zélande. Notre Observateur, Mokonui-a-rangi Smith, nous a expliqué que cette renaissance culturelle a été durement gagnée, et qu'elle offre un moyen de faire revivre la culture maorie et de participer à la “décolonisation".

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Dans la culture maorie, recevoir un "tā moko"(tatouage pratiqué traditionnellement par les populations indigènes de Nouvelle-Zélande) constitue une étape importante du passage de l'enfance à l'âge adulte. En plus de signaler, selon la tradition, un rang et un statut, cette pratique était également utilisée pour rendre une personne plus attrayante aux yeux du sexe opposé. Les hommes recevaient généralement des mokos sur le visage, les fesses (raperape) et les cuisses (puhoro), tandis que les femmes portaient des mokos sur les lèvres (kauwae) et le menton.

 

“Les Maoris essayent de retrouver un sentiment d’identité” 

Mokonui-a-rangi Smith fait ses tatouages à la main avec des “uhis”, outils traditionnels maoris et polynésiens, dans son studio à Auckland. C’est l’un des rares artistes qui participent à ce grand retour du moko en Nouvelle-Zélande, art disparu pendant des décennies, réprimé par les colons britanniques. 

C'est une forme d'art qui risquait de disparaître. Ça a été beaucoup découragé dans les années 1900, et le nombre de tatoueurs a considérablement diminué. En l'espace d'une génération, il a presque complètement disparu. Je participe à l’effort pour faire renaître la culture maorie, j'essaie de retrouver ce que nos ancêtres avaient l'habitude de faire.

Je fais ça depuis sept ans. Les premières années, ma clientèle était vraiment faible. Depuis la pandémie de Covid-19, le tourisme a disparu, et d'une certaine manière, les Maoris se sont réveillés et ont voulu en savoir plus sur leurs ancêtres et leur culture. Ils ont eu le temps de faire des recherches.

C’était très porteur de sens de travailler avec des Maoris qui, à travers le "tā moko", essaient de retrouver un sentiment d'identité et de participer à la décolonisation. Ils essaient de guérir ce traumatisme qui découle de la honte de ne pas en savoir beaucoup sur leur culture, de ne pas connaître la langue, par exemple.

 

 

“Le fait que des gens portent des 'tā mokodans la sphère publique a renforcé le sentiment de normalité” 

Alors que les colons anglais arrivaient de plus en plus nombreux en Nouvelle-Zélande, à partir de la fin du 18e siècle, la prévalence des "tā moko"a diminué. Les Maoris qui portaient des "mokos" étaient humiliés par les Britanniques, et pendant un certain temps, les tatoueurs de "tā moko" n’avaient même pas le droit d’exercer.  

Selon Mokonui-a-rangi Smith, les personnalités publiques ont longtemps continué à se faire tatouer, mais elles le cachaient sous leurs vêtements pour ne pas être stigmatisées. Cependant, dans la société néo-zélandaise actuelle, un nombre croissant de personnalités publiques arborent le "moko"sur des parties plus visibles de leur corps.

En 2016, la politicienne néo-zélandaise Nanaia Mahuta s’est fait un "moko" facial. En 2021, la journaliste maorie Oriini Kaipara est devenue la première personne avec des tatouages faciaux traditionnels à animer un programme d'information aux heures de grande écoute sur la télévision nationale en Nouvelle-Zélande.

Un nombre croissant de politiciens et de personnes de la sphère publique portent le "tā moko", ce qui a renforcé le sentiment de normalité que nous nous efforçons de créer depuis 40 ans. Notre espoir, c’est d'atteindre une parité, une représentation égale, d’être représenté d'une manière qui nous ressemble. Au départ, les dirigeants portaient le "tā moko" sous leurs vêtements. Ils le portaient, mais ne le montraient pas publiquement.  

Je pense qu'il est vraiment important que ces leaders portent le "tā moko" et montrent leur fierté au Parlement, à la télévision et dans les postes à responsabilité, pour normaliser notre culture et nos traditions. Cela sert également à montrer aux gens qu'il existe différentes façons de vivre sa culture, différentes façons de considérer la beauté. C’est très important dans un monde qui devient de plus en plus globalisé et homogénéisé.

 

“Il y a plus de sensibilité face aux éléments de notre culture qui sont sacrés pour nous”

L'intérêt pour les tatouages "mokos" en Nouvelle-Zélande ne croît pas seulement chez les Maoris, mais aussi chez les non-indigènes. Pour concilier la demande de motifs maoris d'une manière culturellement sensible, Mokonui-a-rangi Smith utilise des tatouages à "saveur maorie" qui peuvent être appliqués n'importe où, pour n'importe quelle raison et sur n'importe qui, par opposition aux "mokos", chargés d'une signification sacrée.

On fait face à une négociation constante, car le paysage politique change tout le temps. Dans les années 1700 et 1800, la Nouvelle-Zélande était un pays très maori, les chefs avaient la souveraineté sur leurs terres et leur peuple. À cette époque, tatouer des étrangers n'était pas un problème parce que c'était une façon excitante de faire entrer ces étrangers dans notre âme et dans notre monde. 

Le climat est très différent aujourd'hui. Entre temps, des puissances étrangères ont mis en place toute une structure et ont appelé cette terre la Nouvelle-Zélande. Il y a maintenant plus de sensibilité face aux éléments de notre culture qui sont sacrés pour nous. 

Je fais donc de mon mieux pour m'adapter à cela et éviter de donner certains de nos modèles qui sont plus sacrés. Je leur donne des tatouages à saveur maorie, mais qui sont moins chargés de sens - un sens qu'ils ne comprendraient pas nécessairement.

“Les jeunes générations vont continuer à repousser les limites".

La résurgence du "tā moko" est à l’image du grand retour de la langue et de la culture maorie, appelé aussi la “renaissance maorie”.

Je fais partie de la première génération qui a grandi en bénéficiant des fruits des protestations et du travail acharné de nos parents pour pouvoir exprimer pleinement notre culture. Nous sommes désormais en train de reconquérir cette culture qui a été perdue pendant si longtemps. Pour certaines personnes, cela passe par la langue, pour d'autres, par les contes, la médecine ou les arts du spectacle. Pour moi, c'est le "tā moko". 

La culture de la Nouvelle-Zélande change vraiment rapidement, nous avons atteint un tournant et il y a eu une accélération de l'intégration du monde maori dans une Nouvelle-Zélande majoritairement blanche. C'est passionnant. La télévision et la radio grand public se sont réveillées et incluent la langue maorie dans leurs programmes, par exemple. Ces petits moyens d'intégrer notre culture dans le paysage dominant ont rendu tout le monde très enthousiaste pour l'avenir. 

C'est évidemment encore provisoire et il y a encore beaucoup de travail à faire, mais les jeunes générations vont continuer à repousser les limites. 

En juin 2021, 875 300 personnes en Nouvelle-Zélande étaient identifié"s comme étant maories, soit plus de 17 %de la population, selon les chiffres du gouvernement. C’est le plus grand groupe ethnique de Nouvelle-Zélande, après les Néo-Zélandais d’origine européenne. (les “Pākenhā”). 

Tandis que la pratique du moko se répand de plus en plus, les personnes qui portent ces tatouages continuent d’être discriminées et ciblées par des abus racistes. L’année dernière, une pétition a été lancée pour interdire formellement de discriminer les gens qui portent des mokos.