Ces vidéos ne montrent pas des ministres maltraités lors des manifestations au Sri Lanka
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Au moins deux vidéos publiées sur les réseaux sociaux prétendent montrer des exemples d’humiliation ou de maltraitance de ministres sri-lankais dans le cadre de la crise économique que traverse le pays et les manifestations qu’elle a engendrées. Si les attaques contre des biens personnels de ministres ont bien eu lieu et qu’un député a même été tué lors des manifestations, ces deux vidéos ont été sorties de leur contexte initial.
Le Sri Lanka est confronté à sa pire crise économique depuis son indépendance en 1948, subissant depuis des mois la raréfaction de biens essentiels, de longues coupures d'électricité quotidiennes et une inflation record, et également une pénurie d'essence. L'état d'urgence a été décrété le 6 mai, et des soldats patrouillent dans les rues. Au moins neuf personnes ont péri dans des affrontements la semaine dernière et plus 350 personnes avaient été arrêtées lors de manifestations donnant lieu à des violences.
Le Premier ministre Mahinda Rajapaksa, frère du président Gotabaya Rajapaksa, a démissionné le 9 mai après de violentes manifestations antigouvernementales, et un nouveau Premier ministre a été nommé trois jours plus tard. En marge de ces changements politiques, des vidéos ont ainsi émergé sur les réseaux sociaux, principalement en anglais et en hindi, prétendant montrer les manifestants s'en prendre à des ministres sri lankais, accusés d'être responsable de la situation du pays.
Des ministres dénudés et humiliés ? Non, des prisonniers impliqués dans des bagarres
La première vidéo virale apparue notamment sur Twitter montre des hommes dénudés exposés devant une foule les prenant en photo. La légende en anglais prétend qu'il s'agit de "ministres du Sri Lanka" et ajoute "le gouvernement pakistanais a banni toute information venant du Sri Lanka pour qu'ils ne subissent pas le même sort" en faisant référence aux politiciens pakistanais.
All these naked people are ministers of Sri Lanka
— Fareeha Naqvi (@FarihaNaqvi5) May 13, 2022
The Pakistani government has banned all news from Sri Lanka so that the people do not suffer the same fate.#امپورٹڈ__حکومت__نامنظور#amirliaquathussain#ویلڈن_سی_ایم_حمزہ_شہباز#IStandWithImranRiaz pic.twitter.com/IiCCp38C1I
Une recherche de la vidéo avec l'outil InVid Weverify (voir ici comment l'utiliser) permet de retrouver des articles ayant documenté la vidéo comme celui-ci, voire même ce tweet expliquant que les personnes sont des prisonniers de la prison de Watareka, à Colombo, filmés en marge d'une manifestation contre le gouvernement le 9 mai.
Le site IndiaToday a également enquêté sur la vidéo et cite un journaliste sri lankais traduisant les propos des prisonniers. Ces derniers indiquent : "Nous sommes des prisonniers du camp de Watareka. Nous avons été autorisés à travailler sur des chantiers et sur le chemin du retour vers la prison. Un geôlier nous a emmenés sur un site de protestation". Ces prisonniers ont été suspectés par des manifestants d'avoir été enrôlés par des politiciens afin de s'en prendre à des manifestants à Colombo le 9 mai.
Selon le site de la BBC en cingalais, langue du Sri Lanka, le département des prisons du Sri Lanka a nié le 10 mai que les prisonniers aient été emmenés à la manifestation pour attaquer les manifestants. Dans un communiqué, le département a expliqué qu'au moins 180 prisonniers étaient en train d'être transportés de trois chantiers de construction à la prison quand les bus qui les transportaient étaient attaqués par des manifestants. Selon ce même communiqué, les prisonniers auraient été sortis de force de leur bus et agressés par les manifestants, car suspectés d'être favorables au gouvernement.
Aucun d'entre eux n'est dans ces articles présenté comme un ministre ou un ex-ministre démissionnaire.
Le ministre de l'Information tabassé ? Non, un simple conseiller municipal
Une deuxième vidéo montre un homme en sous-vêtements, présenté comme le ministre de l'Information du Sri Lanka, et visiblement totalement groggy après avoir été tabassé par des manifestants.
Une recherche de la vidéo avec l'outil InVid WeVerify (voir ici comment procéder) permet de retrouver l'extrait dans une vidéo du 9 mai sur le compte Twitter du journal Sri Lanka Daily Mirror.
L'homme dans la vidéo est en réalité Mahinda Kahandagama, le président du syndicat des conseillers municipaux et des employés de Colombo. Ce représentant local a organisé un rassemblement en soutien au Premier ministre Mahinda Rajapaksa, avant que celui-ci ne démissionne. Il a alors été confronté à des manifestants de l'opposition qui l'ont attaqué et dépouillé de ses vêtements. Mahinda Kahandagama n'était pas au moment des manifestations, et n'a jamais été, ministre de l'Information du Sri Lanka.
Mahinda Kahandagama fait partie d'une liste de 17 politiciens interdits de voyager dans le cadre des enquêtes sur les attaques contre des manifestants pacifiques. Il est suspecté d'avoir embauché des badauds pour s'en prendre à eux.
L'actuel ministre de l'Information et des Médias est Nalaka Godahewa comme indiqué sur le site du ministère sri lankais. Ce dernier a confirmé à l'AFP ne pas être l'homme dans la vidéo, bien que sa maison ait été attaquée par des manifestants alors qu'il ne s'y trouvait pas le 12 mai.
Un ministre tué par la foule, et des attaques contre les domiciles et des biens de ministres sri lankais
Si ces vidéos ne montrent pas des attaques contre des ministres au Sri Lanka, un député du parti au pouvoir a bien été tué par une foule de manifestants le 9 mai dernier. Amarakeerthi Athukorala a été lynché par la foule après que son garde du corps a tué un manifestant en lui tirant dessus avec une arme.
Des manifestants s'en sont aussi pris à des biens des membres du gouvernement, ou supposés leur appartenir. Ainsi, une voiture appartenant supposément à un ministre a par exemple été jetée dans une rivière de Colombo le 11 mai.
The uprising in Sri Lanka. The former minister's car was thrown into the water by protesters in Colombo. Residences, property and vehicles of members of the ruling party are being attacked all over the island. pic.twitter.com/ijgmnlewUO
— 0V3RG4M3 (@AxlGuidato) May 11, 2022
Des domiciles ont également été visés, comme celui de l'ancien ministre des Transports, Johnson Fernando, tout comme la résidence du Premier ministre démissionnaire, Mahinda Rajapaksa.
Former Minister Johnson Fernando’s residence in Mount Lavinia has been attacked by protestors. pic.twitter.com/3VhNZUlR3w #LKA #SriLanka #SriLankaCrisis
— Sri Lanka Tweet 🇱🇰 💉 (@SriLankaTweet) May 9, 2022
Sri Lanka PM Mahida Rajpaksa's residence in Kurunagala set on fire. #SriLankaCrisis pic.twitter.com/8FSJzhayUc
— Ashoke Raj (@Ashoke_Raj) May 9, 2022