Afghanistan : "faire profil bas et rester chez soi", la seule option pour les militants ciblés par les Taliban
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Plus d'une semaine après que les Taliban ont pris le contrôle de Kaboul, la capitale afghane, des milliers de personnes désespérées tentent toujours de trouver le moyen de quitter le pays, que ce soit par voie terrestre ou aérienne. Pour les militants des droits humains ciblés par les nouveaux maîtres de l’Afghanistan, la perspective de quitter le pays s’éloigne de plus en plus.
Se rendre à Kaboul, obtenir une lettre d’un gouvernement étranger donnant une place sur un vol d’évacuation, puis se rendre physiquement à l’aéroport : c’est le triple défi auquel sont confrontés les Afghans ayant travaillé pour des ONG ou des associations de promotion de la démocratie et des droits humains, notamment ceux des femmes, des minorités ethniques et des personnes handicapées.
Cette semaine, l'aéroport international Hamid Karzai de Kaboul a été le théâtre d’un grand chaos alors que plusieurs pays étrangers continuent d'évacuer le personnel de leur ambassade et leurs auxiliaires afghans. Les États-Unis affirment avoir évacué – ou aidé à évacuer – environ 37 000 personnes depuis la prise de contrôle des Taliban. Mais des milliers de personnes continuaient d’affluer vers l'aéroport, essayant frénétiquement de prendre un vol hors d'Afghanistan avant la date limite du retrait total des troupes américaines, le 31 août. Ils ont dû faire face à des troupes armées, à des barbelés et à des postes de contrôle taliban.
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Mais si les Américains et d'autres gouvernements alliés ont mis en place des procédures d'évacuation pour les Afghans qui travaillaient directement pour eux, les militants doivent user de leurs propres relations à l’étranger pour obtenir des papiers leur donnant des places dans les avions au départ de Kaboul. Sur place, ces derniers sont exposés à de plus grands risques, alors que les Taliban ont commencé à cibler des individus considérés comme une menace pour leur régime.
Certains activistes ont signalé que des combattants talibans effectuaient des recherches en faisant du porte-à-porte pour retrouver des personnes inscrites sur leur liste noire. Les fondamentalistes se rendent même dans les mosquées locales et échangent avec des policiers pour recueillir des informations.
Par crainte de représailles, les militants afghans sont donc obligés de se cacher parce que les chances de fuir le pays s’amenuisent.
"Tous les postes de contrôle sont fermés"
Shahin, un militant des droits humains, a fait le voyage de sa ville dans le nord de l'Afghanistan pour Kaboul.
Jusqu'à la semaine dernière, je ne voulais même pas quitter ma ville natale pour Kaboul, mais maintenant, la seule chose à laquelle je pense, c'est comment quitter l'Afghanistan. Peu importe où je vais, je ne peux pas rester ici. Je ne veux pas donner aux Taliban le plaisir de me tuer.
J'ai demandé un visa à plusieurs pays, mais aucun d'entre eux ne m'a encore répondu. J'ai même vérifié les routes avec des amis qui habitent près des frontières avec le Pakistan et l'Iran. Mais tous les postes de contrôle aux frontières sont fermés. Seules les marchandises peuvent entrer ou sortir d'Afghanistan. Il y a des gens qui sont allés aux postes frontières et s'y retrouvent coincés.
De plus, aller à l'aéroport de Kaboul est également inutile. Personne ne peut monter dans un avion, et c'est le chaos autour de l'aéroport : vous pouvez être blessé, voire tué. En plus de cela, il y a des postes de contrôle talibans sur la route.
La seule option que je vois maintenant est de faire profil bas et de rester à la maison.
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"Ma seule alternative à l'époque était d'aller à Kaboul"
Zafar, un autre militant, se cache à Kaboul après avoir fait le voyage depuis sa ville natale.
Lorsque les Taliban ont occupé ma région, j'ai dû m'enfuir. J'étais bien connu dans ma ville pour mon travail en faveur des droits humains et pour parler ouvertement contre les Taliban. Ma seule alternative à l'époque était d'aller à Kaboul car je pensais que le gouvernement de Ashraf Ghani et les États-Unis feraient n'importe quoi pour le défendre. Je pensais que je serais en sécurité là-bas, mais non, un jour plus tard, les Taliban ont pris Kaboul.
Maintenant, je me sens naïf d’avoir fait confiance aux autorités. Si j'avais su qu'ils nous trahiraient comme ça, je serais allé dans l'autre sens, près de la frontière, et j'aurais trouvé un passeur pour me faire sortir du pays, comme beaucoup d'autres l'ont fait. Mais maintenant, je suis coincé ici et je ne peux même pas quitter la maison de mon ami.
Les Taliban contrôlent désormais tous les principaux postes frontaliers, les aéroports régionaux et les routes de patrouille. Et il est presque impossible pour les militants et les journalistes ciblés de se déplacer à travers le pays dans l'espoir d'atteindre l'aéroport.
Mais si certains ont pu atteindre Kaboul avant que la capitale ne tombe, d'autres sont toujours piégés dans leur ville, craignant d’être repérés par des combattants talibans.
"Ça fait plus d'une semaine que je me cache ici. Je suis à court de nourriture et d'argent"
C’est le cas d'Ariana, qui n'a pas pu quitter sa ville dans l'est de l'Afghanistan avant l'arrivée des islamistes :
J'ai un handicap, donc dès que je sortirai de ma cachette, les Taliban me reconnaîtront et m'arrêteront. Je suis malade, je ne peux donc pas demander aux gens de venir m'aider car c'est dangereux, non seulement pour moi si les Taliban me suivent, mais aussi pour eux aussi. Cela fait plus d'une semaine que je me cache ici. Je suis à court de nourriture et d'argent. Même si je prends le risque de sortir de la clandestinité, les banques sont fermées et je n’ai aucun moyen d’obtenir l'argent dont j'ai besoin pour faire des courses urgentes. Je ne peux pas voir de médecin non plus. J'attends juste de mourir ici.