Klaxons, concerts de casseroles et mobilisation en ligne : des Birmans s’opposent au coup d’État

Photo publiée le 3 février dans un tweet et montrant des membres du personnel soignant tenir leur téléphone avec la lampe allumée et chanter un chant révolutionnaire contre le coup d'État du 1er février en Birmanie.
Photo publiée le 3 février dans un tweet et montrant des membres du personnel soignant tenir leur téléphone avec la lampe allumée et chanter un chant révolutionnaire contre le coup d'État du 1er février en Birmanie. © Twitter

Peu de manifestations publiques ont eu lieu en Birmanie pour s’opposer au coup d’État militaire du 1er février. Cependant, chez eux ou sur les réseaux sociaux, des Birmans organisent des actes de désobéissance civile et de résistance. L'une d'entre eux a expliqué comment à la rédaction des Observateurs de France 24.

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L’armée birmane a pris le pouvoir le 1er février, déclarant l’état d’urgence et imposant une coupure d’Internet d’une journée. Plusieurs membres du gouvernement, dont la cheffe de facto du gouvernement, Aung San Suu Kyi, sont depuis détenus. Vingt-quatre ministres et députés ont été démis de leurs fonctions et remplacés par onze nouveaux ministres, notamment aux ministères des Finances, de la Santé, des Affaires étrangères ou de la Défense.

>> Pour en savoir plus : "Birmanie : l'armée tient fermement le pays, pas d'accord au Conseil de sécurité de l'ONU"

Cette vidéo publiée sur Twitter le 1er février montre la professeure de gym Khing Hnin Wai danser devant le Parlement birman dans la capitale Naypyidaw, ignorant apparemment qu'un coup d'État militaire est en train de se produire derrière elle. Sur Facebook, elle a expliqué qu'elle filme souvent des vidéos à cet endroit. Elle a également expliqué avoir réalisé la vidéo avant d'entendre les nouvelles du coup d'État quelques heures plus tard.

La chaîne anglophone de France 24 a pu joindre "Brenda" (pseudonyme), une activiste birmane sur place, pour parler de son ressenti sur le coup d’État et le mouvement de résistance qui se développe à travers le pays. Nous avons retranscrit ses propos ci-dessous.

"Tout le monde n’a pas réalisé qu’un coup d’État était en cours"

Lundi matin [le 1er février, NDLR], tout semblait normal, et tout le monde n’a pas réalisé qu’un coup d’État était en cours. Les militaires ont coupé les télécommunications aux environs de 6 heures du matin, et il était impossible de contacter qui que ce soit. Je pense que les militaires ont tenté de rendre ce coup d’État aussi normal que possible… mais nous sommes tous effrayés par ce qui pourrait se passer car nous avons déjà vécu d’autres coups d’État [comme en 1962, NDLR] où ils avaient coupé l’électricité et arrêté les gens pendant la nuit. Cette nuit du coup d’État, je n’ai pas pu dormir.

La rédaction des Observateurs de France 24 a également pu joindre "Brenda" pour en savoir plus sur la mobilisation en ligne à laquelle elle participe :

Nous avons répondu par un mouvement de désobéissance civile en ligne. Depuis hier (mardi 2 février, NDLR], nous avons lancé une campagne invitant les internautes à taper sur des casseroles tous les soirs à 20 heures, et à entonner notre hymne national. Dans notre tradition, taper sur des casseroles éloigne les mauvais esprits et dans ce cas, nous considérons les militaires comme des démons. D’autres personnes ont aussi allumé des bougies devant leur maison. Les conducteurs de véhicules ont aussi participé à cette mobilisation en klaxonnant de concert dans les rues.

Nous prévoyons de faire cela jusqu’à ce que le pouvoir soit rendu au peuple. Cela nous rappelle qu’il ne faut pas normaliser ce coup d’État dans notre vie quotidienne.

 

Une vidéo postée sur Twitter le 2 février montre des habitants de Rangoun, en Birmanie, tapant sur des casseroles à leurs fenêtres pour protester contre le coup d'État.

Une vidéo postée sur Twitter le 3 février montre des habitants de Rangoun tenant des bougies et chantant la chanson révolutionnaire intitulée "Ka Bar Ma Kyay Buu" ("Nous ne pardonnerons jamais avant la fin du monde", en français).

 

"Le nombre de personnes ayant rejoint la désobéissance civile est en constante augmentation"

Au-delà de ces manifestations pacifiques bruyantes, des fonctionnaires ont quitté leur poste en signe de désobéissance. Des Birmans ont aussi organisé une mobilisation en ligne sur des groupes de discussion.

"Brenda" poursuit :

Le nombre de personnes ayant rejoint la désobéissance civile est en constante augmentation. Des médecins participent également à cette désobéissance civile et ont arrêté de travailler dans les hôpitaux publics, allant plutôt exercer dans des cliniques privées ou consultant en ligne.

Nous avons lancé des opérations de levées de fonds en ligne pour permettre à ces gens d'avoir un salaire. Des hôpitaux privés ont aussi pris le relais pour aider des patients traités dans les hôpitaux publics sans les faire payer. Tout le monde participe autant qu'il le peut pour être solidaire.

 

Capture d’écran d’une publication Facebook du 3 février concernant une initiative de financement participatif par des ingénieurs civils, soutenue par quatre entreprises birmanes qui affirment qu’elles couvriront les salaires des ingénieurs pendant trois mois s’ils choisissent de ne pas travailler pour protester contre la junte. On lit sur l’image : “Nous sommes ici avec tous les fonctionnaires en désobéissance civile”. Notre observatrice affirme que des initiatives similaires de financement participatif existent également pour d'autres fonctionnaires.
Capture d’écran d’une publication Facebook du 3 février concernant une initiative de financement participatif par des ingénieurs civils, soutenue par quatre entreprises birmanes qui affirment qu’elles couvriront les salaires des ingénieurs pendant trois mois s’ils choisissent de ne pas travailler pour protester contre la junte. On lit sur l’image : “Nous sommes ici avec tous les fonctionnaires en désobéissance civile”. Notre observatrice affirme que des initiatives similaires de financement participatif existent également pour d'autres fonctionnaires. © Facebook
Capture d’écran d’un groupe Facebook “Nous soutenons nos héros” organisée par le chanteur birman Lin Lin pour distribuer de la nourriture et fournir un abri aux fonctionnaires qui ont quitté leur poste et qui sont dans le besoin.
Capture d’écran d’un groupe Facebook “Nous soutenons nos héros” organisée par le chanteur birman Lin Lin pour distribuer de la nourriture et fournir un abri aux fonctionnaires qui ont quitté leur poste et qui sont dans le besoin. © Facebook
Une des photos dans la publication Facebook ci-dessus montre une route nommée “Dr Kan Zaw” avec le graffiti “traitre” en birman écrit à côté. Dr Kan Zaw est un des membres de la junte militaire à l’origine du coup d’Etat.
Une des photos dans la publication Facebook ci-dessus montre une route nommée “Dr Kan Zaw” avec le graffiti “traitre” en birman écrit à côté. Dr Kan Zaw est un des membres de la junte militaire à l’origine du coup d’Etat. © Facebook

Le 4 février, le ministre birman des Communications a expliqué que l’accès à Facebook serait bloqué jusqu’au dimanche 7 février, affirmant que ses utilisateurs tentaient de "troubler la stabilité du pays" et d’utiliser la plateforme pour diffuser des fausses informations. L’accès à Instagram et WhatsApp a aussi été restreint.

"On attend un signe"

Le 4 février, une petite manifestation a eu lieu à Mandalay, la deuxième ville du pays. Environ vingt personnes se sont rassemblées devant l’université médicale avec des bannières, chantant des slogans contre le coup d’État. Un rare exemple de manifestation de rue depuis le 1er février.

Si les manifestations publiques contre le coup d’État sont donc extrêmement rares, "Brenda" pense que cela pourrait évoluer.

Au-delà des manifestations avec les casseroles, il n'y a pas beaucoup de manifestations dans les rues… pour l’instant. Nous avons des idées pour descendre dans la rue. Depuis qu’Aung San Suu Kyi et le président sont détenus, nous attendons toujours un signe d’un leader.

La campagne est à ce stade menée par des citoyens. Cela fait simplement quatre jours, donc on discute toujours d’une stratégie à plus long terme. Mais s’il n’y a pas de signal venant des leaders, on va continuer par nous-même.

Le 4 février, une vidéo publiée sur Twitter par un groupe de manifestants réunis à Mandalay montre les manifestants en train de chanter : "Relâchez nos leaders, que le régime militaire tombe, on veut la démocratie, on se bat pour la justice".