La question des droits des élèves LGBT électrise les écoles américaines
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Habituellement banales, des réunions des conseils scolaires dans des écoles américaines donnent lieu depuis plusieurs mois à de virulents échanges sur les questions relatives aux libertés des élèves transgenres et aux personnes LGBT en général. Interdiction de livres traitant du genre et de la sexualité, demande aux enseignants d’appeler les élèves par leur nom légal : certains districts scolaires ont approuvé des politiques qui présentent des "niveaux de risque extrêmement élevés" pour les élèves transgenres, selon notre Observatrice.
La scène se déroule le 8 novembre, dans une école de Conway, en Arkansas : des élèves ont organisé une grève pour protester contre un ensemble de décisions visant les élèves transgenres. Deux semaines auparavant, le conseil scolaire de Conway avait ainsi décidé de réglementer l'utilisation des toilettes en fonction du sexe attribué aux élèves à la naissance. Pour l'Amercian Civil Liberties Union, cette mesure pourrait "stigmatiser" les élèves et violer les lois fédérales visant à protéger les élèves transgenres dans les écoles.
Le même jour, trois personnes ont été arrêtées alors qu'elles protestaient contre une réunion du conseil scolaire consacrée à ces sujets. Des slogans "Trans lives matter" ("les vies des trans comptent", adapté du slogan "Black lives matter") ont été scandés à l'extérieur de la réunion avant ces arrestations.
@layalaine Protestors at the Conway, AR schoolboard meeting tonight protesting the recent an+i-trans policies and book bans. A number of protestors were arrested. Please support protestors if you're able. #conway #conwayar #cpsd #arkansas #schoolboard #schoolboardmeetings #transrights #transrightsarehumanrights #lgbt #lgbtq #fyp #foryoupage #lgbtrights #trans ♬ original sound - Layalaine
Une autre vidéo, partagée le 12 octobre, montre la réunion du conseil scolaire au cours de laquelle les responsables ont approuvé les nouvelles mesures. Un des intervenants déclare que les personnes LGBTQ "méritent la mort".
“Those who do such things (speaking about gay people) deserve death”. This was spoken tonight at the Conway School Board meeting (and the members let him continue) just before the board chose to implement discriminatory bathroom policies against the trans community. pic.twitter.com/TtmQYcc464
— Jenny Wallace (@JennylovesCam) October 12, 2022
Le conseil scolaire est une instance locale, élue, qui détermine les politiques des établissements publics pour une ville ou un comté selon les cas. Un peu partout aux États-Unis, les réunions des conseils scolaires sont devenues des plates-formes de débats sur les questions LGBTQ, où sont proposées des politiques visant à interdire les contenus LGBTQ dans les écoles et à réglementer la manière dont les enseignants traitent l'identité de genre des élèves.
Certains débats ont dégénéré. Des responsables scolaires ont déclaré avoir reçu des menaces de mort, tandis qu’on dénombre des arrestations de personnes pour coups et blessures et trouble de l'ordre public lors des réunions.
Lors des élections de mi-mandat du 8 novembre, les élus de conseils dans au moins 24 États devaient être renouvelés, en marge d’autres scrutins dont celui visant à renouveler la Chambre des représentants. Les questions relatives aux LGBTQ étaient au centre de ces élections, avec d’un côté, un nombre record de candidats LGBTQ, et de l’autre, des candidats conservateurs qui soutiennent les politiques anti-LGBTQ.
"C'est une question centrale dans les conseils scolaires du pays"
Erin Reed est une chercheuse qui suit les politiques antitrans aux États-Unis.
J’ai suivi dans tout le pays les audiences des conseils d'administration des écoles où des politiques antitrans sont apparues, et où ces questions sont devenues extrêmement litigieuses entre les groupes de Moms For Liberty (une organisation conservatrice qui milite pour les "droits parentaux" dans les écoles et qui, par le passé, a fait campagne contre les livres et les programmes scolaires qui mentionnent les sujets LGBT, NDLR) et les groupes de parents qui soutiennent les personnes LGBT. Cette question a été au centre des débats dans les conseils scolaires du pays.
En septembre, des parents du Connecticut se sont plaints d'une feuille de travail distribuée dans une classe et qui comprenait des termes comme "transgenre", "privilège blanc" et "peuples indigènes".
#ICYMI: A Southington teacher is being questioned about a worksheet that has parents and students upset. https://t.co/wWeuJM5bWZ pic.twitter.com/MQA5eH4t60
— WFSB Channel 3 (@WFSBnews) September 10, 2022
Lors d'une réunion d’un conseil scolaire en Pennsylvanie le 25 octobre, c’est la question de savoir si une école devrait être tenue d'informer les parents si leur enfant demande à être appelé par des pronoms spécifiques à l'école, qui a cristallisé les tensions.
En juin 2021 déjà, une réunion du conseil scolaire du comté de Loudoun, en Virginie, convoquée pour discuter des politiques visant à garantir que les élèves transgenres soient "traités avec dignité et respect", avait viré au chaos. Des participants avaient été arrêtés.
NEW VIDEO from inside the chaotic Loudoun school board meeting. 1/3 pic.twitter.com/tHDyzCz7KE
— Drew Wilder (@DrewWilderTV) June 22, 2021
La controverse dans le comté de Loudoun a laissé des traces : l’élection au conseil scolaire dans un district du comté opposait le 8 novembre notamment un candidat ouvertement gay et une candidate qui veut interdire les livres à contenu LGBTQ, laquelle a été élue. L’autre district du comté a en revanche élu une candidate favorable à la protection des étudiants transgenre.
"Il y a eu un accroissement des règles exigeant que les enseignants appellent les parents s'ils soupçonnent qu'un élève est transgenre"
Erin Reed explique les principales politiques anti-transgenre proposées dans les districts scolaires :
Les principales politiques que nous observons dans les écoles obligent les enseignants à mal nommer leurs élèves transgenres : ils doivent utiliser le nom légal d'un élève, même dans les conversations courantes si l’élève souhaite porter un autre nom. Nous constatons également que de nombreuses politiques interdisent aux étudiants transgenres l'accès aux toilettes correspondant à leur identité de genre. De nombreux étudiants transgenres sont "furtifs", c'est-à-dire que personne ne sait qu'ils sont transgenres, et ces politiques visent également à les exclure.
Nous constatons également une augmentation des politiques visant à interdire les livres sur les questions relatives aux transgenres et aux LGBTQ. Enfin, on assiste à une recrudescence des politiques exigeant des enseignants qu'ils appellent les parents s'ils soupçonnent un élève d'être transgenre - ce qui peut être particulièrement préjudiciable dans les endroits où le fait d'être transgenre n'est pas accepté, exposant ces élèves au risque de violence familiale. Ces politiques exposent les étudiants transgenres à des niveaux de risque extrêmement élevés.
D'autres politiques proposées dans des écoles interdisent aux élèves transgenres de faire du sport ou limitent les discussions ouvertes sur le genre et la sexualité dans les écoles.
Here you can see GHS students walking out to protest the “don’t say trans” school board policy and other discriminatory practices. True Texas Project counterprotestors can also be seen. pic.twitter.com/IpA7qmsca0
— NewFaith46🏴🚩 (@Doomgal46) August 26, 2022
Or , des études montrent que les politiques de ce type ont des effets importants sur les jeunes LGBTQ, notamment leur santé mentale. Une enquête menée en 2022 par The Trevor Project sur la prévention du suicide chez les jeunes LGBTQ estimait que le soutien de la famille et des amis réduit considérablement le taux de suicide chez les jeunes LGBTQ. "Le sentiment d'appartenance à l'école" est aussi considéré comme l'un des principaux facteurs susceptibles de réduire le risque de suicide chez les jeunes transgenres dans une étude de 2022.
Le fait que les étudiants transgenres soient obligés d'utiliser des toilettes ou des vestiaires qui ne correspondent pas à leur identité de genre peut leur faire risquer des agressions sexuelles et contribuer à les faire se sentir en insécurité. Au moins 75 % des étudiants transgenres déclarent ne pas se sentir en sécurité à l'école, et 50 % disent ne pas pouvoir utiliser le nom et les pronoms avec lesquels ils se sentent à l'aise, selon une enquête de 2015.
"Certains signes montrent que se concentrer sur les étudiants transgenres n'est pas une question gagnante à 100 % pour la droite"
Erin Reed estime néanmoins que la situation s’est plutôt améliorée pour les étudiants transgenres après les élections de mi-mandat du 8 novembre. De nombreux candidats conservateurs, présentés par des formations anti-transgenre, n’ont pas été élus. Mais les risques de discrimination existent toujours.
Dans tout le pays, des élections de conseils scolaires ont vu la défaite de candidats anti-transgenre. Ce n'était pas un raz-de-marée, mais des signes indiquent que se focaliser sur les élèves transgenres n'est pas un pari gagnant à 100 % pour la droite. De nombreux districts scolaires sont dans une meilleure situation aujourd'hui qu'hier. Le comté de Wake [Caroline du Nord] a élu sept démocrates sur neuf par exemple. Un important candidat anti-transgenre a perdu à Arlington, en Virginie, et à Lafayette, dans l'Indiana, aucun des candidats anti-transgenre n’a été élue.
Mais en Floride, au Texas, dans le Tennessee ou encore l’Ohio, la situation est plus à risque. Dans ces États, les mesures d’exclusion de force des élèves trans, les politiques visant à leur interdire l'accès aux toilettes choisies, les nommer à tort, ou leur attribuer un mauvais genre continueront probablement à être appliquées.
Lors des élections de mi-mandat, 270 candidats ont été soutenus par Moms for Liberty. Environ la moitié d'entre eux ont été élus. La loi fédérale sur les droits civils interdit la discrimination fondée sur le sexe et le genre dans les écoles publiques américaines. Le ministère américain de l'Éducation a confirmé que cette législation incluait les droits des étudiants transgenres à être appelés par le nom et le pronom de leur choix, ainsi que le droit à la vie privée concernant leur identité de genre.