République dominicaine : une "chasse" aux migrants Haïtiens, expulsés "dans des voitures en forme de cage"

Capture d'écran d'une vidéo circulant sur les réseaux sociaux et montrant des camions des services migratoires de la République dominicaine.
Capture d'écran d'une vidéo circulant sur les réseaux sociaux et montrant des camions des services migratoires de la République dominicaine. © Capture d'écran / TikTok

Près de 15 000 Haïtiens ont été expulsés de République dominicaine en octobre 2022, malgré l'appel du Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme demandant l’arrêt de ces renvois de force compte tenu de la situation sécuritaire et humanitaire en Haïti. Selon le Groupe d'Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR), une organisation haïtienne, tous les Haïtiens sont visés, quelle que soit leur situation administrative en République dominicaine. 

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"Tous les camions sont remplis. Tous. Trois, quatre, remplis !". Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux le 5 novembre, un homme filme depuis son véhicule une rangée de sept camions du service migratoire de la République dominicaine, alignés sur le bord d’une route. Plusieurs dizaines de personnes semblent avoir été entassées dans chacun de ces camions aux portes grillagées. 

Sur les réseaux sociaux et dans la presse locale dominicaine, d’autres images de ces rapatriements ont circulé. 

"Il suffit que vous ayez un visage qui laisse penser que vous êtes haïtien et on vous met dans des voitures en forme de cages"

Le Groupe d'Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR), une organisation haïtienne, a comptabilisé un total de 14 800 Haïtiens rapatriés sur le seul mois d’octobre. Sam Guillaume en est le responsable de communication et de plaidoyer :

Ces derniers jours, comme tout le monde peut le constater à travers les réseaux sociaux, les Haïtiens connaissent une situation lamentable en République dominicaine : le pays a décidé de chasser tous les migrants haïtiens. Non seulement la République dominicaine les rapatrie, mais il faut voir le traitement accordé aux Haïtiens : ils sont battus, maltraités, mis dans des prisons. 

Au niveau du GARR, nous apportons de l’aide aux migrants que la République dominicaine a décidé de rapatrier. Nous faisons de notre mieux pour apporter un minimum d’aide à certains d’entre eux, notamment dans la ville de Belladère, près de la frontière. Nous hébergeons ceux qui ont du mal à rentrer chez eux, à reprendre contact avec leurs familles. Nous distribuons également des vêtements, car certains d’entre eux nous arrivent parfois dans des tenues de nuit. Certains doivent aussi aller à l’hôpital. 

"On a même reçu un Dominicain. Il était noir : il a été pris pour un Haïtien"

Il n’y a pas de vérification des documents des migrants haïtiens : certaines personnes sont expulsées alors qu’elles ne sont pas en situation irrégulière. Il suffit que vous ayez un visage qui laisse penser que vous êtes haïtien et on vous met la main dessus pour vous conduire dans les voitures en forme de cages. En octobre, on a même reçu un Dominicain. Il était noir : il a été pris pour un Haïtien, il a donc subi les mêmes traitements que les Haïtiens. Sur la seule journée du 17 novembre, nous avons également reçu 60 mineurs, non accompagnés de leurs parents.

Des déclarations de l'ONU "inacceptables et irresponsables" pour le président dominicain

L'ONU a appelé jeudi 10 novembre la République dominicaine à cesser de renvoyer de force les Haïtiens. 

"Il y a une semaine, j'ai demandé que les expulsions vers Haïti cessent, étant donné les crises humanitaires et des droits de l'homme auxquelles le pays est confronté. Je suis troublé de constater que les retours forcés d'Haïtiens depuis la République dominicaine vers Haïti se poursuivent", a indiqué le Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Volker Türk, dans un communiqué. Selon lui, "la violence armée incessante et les violations systématiques des droits de l'Homme en Haïti ne permettent pas actuellement le retour sûr, digne et durable des Haïtiens dans le pays". 

Le président dominicain Luis Abinader a répondu à l'ONU le jour même. Il estime que "la politique migratoire de chaque pays" relève "de la compétence de chaque gouvernement", ce qui rend selon lui les déclarations de l’ONU "inacceptables et irresponsables". Le président dominicain a assuré que les "rapatriements" allaient continuer, et qu'ils seraient même "renforcés". 

Le directeur général des migrations de République dominicaine, Venancio Alcántara Valdez, a ajouté que la République dominicaine était un pays "souverain" avec le "droit de rapatrier tout étranger qui se trouve illégalement dans le pays".

"La communauté internationale ne doit pas garder le silence"

Pour Sam Guillaume, la communauté internationale doit réagir : 

Le président Luis Abinader a balayé d’un revers de main la demande de l’ONU de cesser les rapatriements. Il dit non seulement que les rapatriements vont continuer, mais aussi qu’ils vont se multiplier. La communauté internationale ne doit pas garder le silence, l’ONU doit continuer à faire pression sur les autorités dominicaines pour que les rapatriements puissent effectivement cesser parce qu’en Haïti, les conditions ne sont pas réunies pour un retour.

Du côté d’Haïti, il faut que la paix revienne. Parce que si les Haïtiens quittent le pays pour aller en République dominicaine, c’est parce qu’il y a beaucoup d'insécurité en raison des gangs qui occupent les différents recoins du pays. Il y a aussi la vie chère. Les Haïtiens cherchent donc à vivre mieux ailleurs. 

Le 10 novembre, le porte-parole du gouvernement dominicain, Homero Figueroa, a publié sur Twitter un bilan des expulsions. Selon ses chiffres, entre août et octobre 2022, 60 204 personnes de nationalité haïtienne ont été "rapatriées" dans leur pays. Le total pour l'ensemble de l'année 2022 s'élève à 108 436 personnes.

Le 20 février, la construction d’un mur le long de la frontière entre la République dominicaine et Haïti a été lancée pour "contrôler" l'immigration clandestine et les trafics, selon le président dominicain.

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En Haïti, plus de 150 gangs imposent leur loi face à un État impuissant. Notre rédaction a enquêté sur les violences de ces groupes armés à Port-au-Prince, la capitale. Notre enquête, "Haïti : dans l'enfer des gangs", est à retrouver ci-dessous. 

"Haïti : dans l'enfer des gangs", une enquête de la rédaction des Observateurs de France 24.
"Haïti : dans l'enfer des gangs", une enquête de la rédaction des Observateurs de France 24. © Observateurs