Brésil : dans l’État de Roraima, l'invasion continue des terres indigènes par les mineurs illégaux
Publié le :
Photos aériennes à l’appui, le 3 mars dernier, le Conseil indigène de Roraima a dénoncé la présence de plus en plus importante d’orpailleurs et de mineurs clandestins sur la terre indigène Raposa Serra do Sol. Alors que l’exploitation minière est encouragée par le président Jair Bolsonaro, les communautés autochtones continuent de se battre pour défendre leurs terres de ces activités illégales et des intrusions en pleine période de pandémie.
Située au nord du Brésil, dans l'État de Roraima, à la frontière entre le Venezuela et le Guyana, la terre indigène Raposa Serra do Sol, délimitée en 2005, s’étend sur 1,7 million d'hectares, sur lesquels vivent près de 20 000 autochtones. Cette zone est convoitée pour ses gisements d’or, de diamants, d’uranium et d’autres minerais.
Au Brésil, la législation interdit pour l’instant toute exploration minière au sein des territoires indigènes. Mais avec l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro début 2019, la pression visant à exploiter les ressources de ces terres s’est accentuée. Le président, qui promet de faire bénéficier de cette expansion économique les peuples indigènes, a signé en février 2020 un projet de loi visant à ouvrir leurs terres à l'exploitation des ressources minérales.
Le texte n’a pas encore été approuvé, mais selon plusieurs activistes, cette promesse intensifie les ruées vers l’or et les intrusions dans les territoires protégés. C’est en tout cas ce qu’a dénoncé le 3 mars sur les réseaux sociaux le Conseil indigène de Roraima (CIR), images à l’appui.
{{ scope.legend }}
© {{ scope.credits }}Ces photos permettent d’identifier des cabanes couvertes de bâches bleues au niveau de la localité de Raposa II, dans la municipalité de Normandia. Selon le CIR, qui a signalé cette situation auprès de l’ONU, la zone a été transformée en une favela où logent de façon précaire près de mille orpailleurs.
Cette vidéo, envoyée à notre rédaction par le CIR, montre l'installation des orpailleurs sur le site de Raposa II, sur la terre Raposa Serra do Sol, en février 2021. Crédit : CIR.
Edinho Batista de Souza, du peuple Macuxi, est le coordinateur du CIR. Il estime que cela fait trois ans que le nombre de mineurs illégaux augmente à Raposa Serra do Sol :
Ces "garimpeiros" [mineurs illégaux, orpailleurs, NDLR] viennent de Roraima, d’autres États voire d’autres pays, comme nous sommes dans une zone frontalière.
En mars 2020, alors que près de 2 000 mineurs illégaux avaient été recensés sur ce territoire, deux opérations de police avaient été menées. Mais ces actions n’ont pas empêché de nouvelles intrusions. D’autant que le gouvernement de l’État de Roraima a tenté à son tour, au début de l’année 2021, de favoriser les "garimpeiros", selon Edinho Batista de Souza :
Notre propre gouvernement local a fini par adopter une loi en février pour répondre à la promesse faite aux orpailleurs : cette loi détermine l’expansion de l’exploration minière, avec la possibilité d’utiliser du mercure. Ce texte est stratégique car il ne concerne pas les terres indigènes, seulement les terres appartenant à l’État. Or, les "garimpeiros" que nous connaissons en ce moment ont tous leurs activités illégales dans les terres indigènes. Dès lors que nous avons vu apparaître ce texte, la vague d'invasion s'est accentuée : certains ont considéré ce projet de loi comme une légalisation de leurs activités. Nous avons dénoncé cela auprès de l'ONU et du Tribunal suprême fédéral, et nous avons obtenu la suspension de cette loi.
En période de pandémie, "des barrières sanitaires" pour empêcher les entrées
Le CIR espère obtenir gain de cause concernant l’occupation de Raposa Serra do Sol. L’une des craintes de l’organisation est la contamination des lacs et cours d’eau environnants par des produits toxiques, comme le mercure. Selon le CIR, plus de trente engins servant à triturer les pierres pour en extraire les minerais ont été comptabilisés dans une rivière de la zone. Lors de ces opérations, les gravats ainsi que le mercure utilisé pour séparer l’or de la roche ou du sable, sont rejetés dans l’eau.
Sur les réseaux sociaux, certains mineurs ne se cachent pas de leurs actions, destructrices de l'environnement. Début avril, une vidéo montrant des "garimpeiros" dans l’État de Roraima, au niveau de la terre indigène Yanomami, en train de détourner le lit d'une rivière a circulé jusque dans les médias brésiliens.
En période de pandémie, ces intrusions font également craindre la propagation du Covid-19. En février 2021, quatre "barrières sanitaires" ont ainsi été réactivées autour de Raposa Serra do Sol.
Déjà mises en place sur plusieurs territoires au début de la pandémie en 2020, elles ont pour objectif de dissuader l’entrée de personnes non autorisées comme les "garimpeiros", mais aussi l’entrée d’équipements destinés aux mineurs ou encore de boissons alcoolisées.
"Certaines familles sont influencées par la propagande du 'garimpo' jusqu’à y voir l'unique alternative"
Le coordinateur du CIR est également préoccupé par un effet pervers de cette ruée :
Certaines familles indigènes qui vivaient de leurs activités, comme l'agriculture, se retrouvent influencées par la propagande du "garimpo" jusqu’à y voir l'unique alternative. Ces familles n’écoutent plus les chefs de communauté, défendent l’exploration minière, l’invasion, et détruisent leur propre maison.
Cela change le système d’organisation collective des communautés et crée une dépendance vis-à-vis des personnes qui financent l’exploration minière. Ces personnes sont en ville, ce sont les politiques, les hommes d’affaires, les commerçants. Sans parler de ce qu’il se passe sur les sites d’exploration minière : la drogue, la prostitution, la consommation d’alcool.
Ces zones sont difficilement accessibles et ne sont pas contrôlées. Les personnes qui dénoncent ce qu’il s’y passe sont menacées, parfois de mort. Il nous est très dangereux de nous y rendre. C’est pourquoi, lorsque nous documentons, nous prenons des photos à distance.
Face à ces bouleversements, nous montrons aussi sur nos réseaux sociaux des initiatives positives pour prouver que l’exploration minière n’est pas la seule manière de gagner sa vie, qu’il y a d’autres activités qui permettent de garder sa dignité et sa liberté.
Publication du CIR sur des dons de semences à des communautés indigènes du peuple Yanomami, "dans le but de diffuser et valoriser les semences traditionnelles dans les communautés et renforcer l'agriculture familiale".
Selon la BBC, l'or a été le deuxième produit le plus exporté en 2019 depuis l'État de Roraima… sans qu'il n'y ait une seule mine légale en activité.
>> VOIR AUSSI SUR FRANCE 24 : Dans la forêt amazonienne, les Indiens Yanomami victimes de la ruée vers l’or
C’est notamment sur les terres du peuple Yanomami que l’orpaillage illégal est devenu hors de contrôle. En juin 2020, les Yanomami ont lancé une vaste campagne de mobilisation au Brésil et à l'international pour réclamer l'expulsion de près de 20 000 orpailleurs sur leur territoire.
La justice semble avoir entendu cet appel : une décision, qui évoque un risque de "génocide", a été rendue le 16 mars dernier et exige l'expulsion de tous les mineurs des terres des Yanomami. Une victoire encourageante pour Edinho Batista de Souza, qui espère que des opérations de lutte contre l’orpaillage illégal suivront également à Raposa Serra do Sol.