États-Unis : la vidéo d’une ferme à bitcoins indigne les défenseurs de l’environnement

Une vidéo montrant une ferme à bitcoins alimentée par un puits de pétrole dans le Texas a été massivement relayée sur Twitter, début mars. Elle a provoqué un débat sur l’impact écologique du minage de cryptomonnaies, une pratique lucrative mais très coûteuse en énergie dénoncée par les protecteurs de l’environnement.

Une vidéo montrant un puits de pétrole relié à une ferme à bitcoins a fait le tour des réseaux sociaux, début mars 2021.
Une vidéo montrant un puits de pétrole relié à une ferme à bitcoins a fait le tour des réseaux sociaux, début mars 2021. © Capture d'écran Twitter @lohstroh
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Un puits de pétrole relié à des dizaines de serveurs dans un préfabriqué : la vidéo, filmée dans l’Est du Texas par Matt Lohstroh, co-fondateur d’une société de minage de bitcoins, a été postée sur Twitter le 8 février dernier, et a depuis enregistré plus de 1,7 millions de vues.

Dans la vidéo, on peut voir un puits de pétrole relié à un générateur, alimentant des dizaines de serveurs dans un préfabriqué. Ces serveurs sont utilisés pour miner des bitcoins.

Pour obtenir des bitcoins, une monnaie virtuelle dont le cours a atteint un pic de 50 000 euros en février, il y a deux possibilités : en acheter, ou bien en "miner". Cette pratique consiste à valider des transactions en bitcoins en résolvant des calculs complexes, pour sécuriser le réseau d’échanges. En guise de récompense, les mineurs sont rémunérés en bitcoins nouvellement créés, ou en commissions sur les transactions validées. Pour miner cette cryptomonnaie, il est nécessaire d’avoir des ordinateurs très puissants, et des systèmes de refroidissement, regroupés dans des "fermes à bitcoins" très coûteuses en énergie.

Si certains internautes ont félicité Matt Lohstroh de son ingéniosité, d’autres ont partagé sa vidéo pour dénoncer l’impact environnemental du minage de bitcoins. La vidéo est devenue virale après avoir été retweetée le 5 mars par le météorologue et chroniqueur américain, Eric Holthaus, qualifiant cette pratique d’"éco-fascisme" :

La vidéo de Matt Lohstroh a été partagée plus de 4 500 fois sur Twitter.

Matt Lohstroh n’a pas tardé à lui répondre sur Twitter : “Ne vous en faites pas, ce gaz naturel aurait autrement été brûlé, ou, 20 fois pire, relâché dans l’atmosphère. Heureusement, nous parvenons à réduire ces émissions et à monétiser une ressource gaspillée.”

Son entreprise, Giga Energy Solutions, propose en effet de miner des bitcoins en utilisant de l’énergie "perdue" issue des sites de forage et raffineries de pétrole et de gaz. Les excédents de gaz produits par ces derniers, en quantités insuffisantes pour qu’il soit rentable de les transformer en énergie, finissent soit rejetés dans l’atmosphère, soit brûlés par des torchères, augmentant les émissions de gaz à effet de serre.

Matt Lohstroh a expliqué à The Independent que sa société entrait en contact avec des producteurs pétroliers pour leur proposer de récupérer cet excédent de gaz. Il affirme qu’il réduit les émissions de gaz à effet de serre qui auraient été générées si ce gaz avait été brûlé.

Dans cette autre vidéo postée par Matt Lohstroh sur Twitter le 2 février, on peut voir que la torchère brûlant l’excès de gaz cesse de fonctionner lorsqu’il allume le générateur alimentant sa ferme à bitcoins.

"Si l’empreinte carbone du bitcoin continue d’augmenter à la vitesse actuelle, il y aura de quoi s’alarmer"

L'électricité utilisée pour miner des cryptomonnaies provient à 61 % de sources d'énergie fossiles comme le gaz naturel, le pétrole ou le charbon, suscitant l'inquiétude sur l'impact environnemental de cette pratique.

La rédaction des Observateurs a contacté Christian Stoll, chercheur spécialiste des cryptomonnaies au Centre de recherche en politique énergétique et environnementale du MIT et à l’université technique de Munich. Il explique que l’empreinte carbone des échanges et de la production de bitcoins est liée à son prix : lorsque le prix du bitcoin augmente, les mineurs ont plus de revenus et peuvent donc accroître leurs activités de minage et leur consommation d’électricité.

À son prix actuel, le bitcoin pourrait consommer autant d’énergie que tous les data centers dans le monde. Selon une étude récente [estimant la consommation en énergie pour un prix du bitcoin à 42 000 dollars, soit environ 35 000 euros, NDLR], cette avidité en énergie, traduite en empreinte carbone, deviendrait alors comparable aux émissions de gaz à effets de serre de la ville de Londres.

Le bitcoin représente moins de 1 % des émissions mondiales de CO2 aujourd’hui. Il y a donc des manières plus efficaces de réduire les émissions [que de s’attaquer aux bitcoins, NDLR]. Cependant, si son empreinte carbone continue d’augmenter à la vitesse actuelle, il y aura de quoi s’alarmer.

 >> Lire aussi : Enquête : en Iran, des pannes de courant monstres révèlent le business des fermes à bitcoins chinoises

"La fabrication des cartes électroniques, disques SSD, processeurs GPU coûte très cher énergétiquement"

Françoise Berthoud, ingénieure de recherche en informatique au CNRS, est co-fondatrice d’EcoInfo, un groupe de travail visant à alimenter les connaissances sur les impacts négatifs du numérique sur l’environnement, et proposer des solutions d’amélioration. Contactée, elle estime qu’un autre aspect de l’empreinte carbone du minage de cryptomonnaies doit être pris en compte : celui de la fabrication des serveurs.

La fabrication des cartes électroniques, disques SSD, processeurs GPU coûte très cher énergétiquement. De plus, la construction de cartes électroniques nécessite des métaux communs comme l’aluminium et le cuivre, mais aussi des métaux rares comme le tantale, l’or, l’argent et le palladium. Leur extraction a d’importants impacts environnementaux : l’épuisement de ces ressources dans la croûte terrestre, la pollution des sols des mines avec des métaux lourds et des substances chimiques utilisées pour les extraire, et l’utilisation d’importantes quantités d’eau.

L’Université de Cambridge estime la consommation électrique annuelle du réseau bitcoin à 130 TWh par an, soit 0,6 % de la consommation électrique mondiale. C’est un peu moins que la consommation des data centers, qui s’élevait à 200 TWh en 2019, selon l’Agence internationale de l’énergie. Son empreinte carbone atteindrait 23 millions de tonnes de CO2 par an.