Attention à ces trois intox ciblant l’armée ou les journalistes français au Niger
Après une attaque jihadiste le 10 février dernier, plusieurs images hors contexte se sont répandues sur les réseaux sociaux. Censées prouver des liens entre l’armée française et le terrorisme au Niger, ou parfois même épinglant le comportement de journalistes français, ces publications utilisent en réalité des images décontextualisées.
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La vérification en bref
- Une première vidéo montrerait l’armée française en train de ravitailler des terroristes par hélicoptère, mais elle montre en fait un ravitaillement de troupes de l’opération Barkhane en 2019
- Une deuxième publication partage des images censées prouver un bombardement de l’armée nigérienne par les troupes françaises. Il s’agit pourtant de l’incendie d’un marché, le 15 février dernier.
- La troisième vidéo affirme montrer un "reportage de propagande" tourné par des journalistes français, mais elle est en réalité issue d’un documentaire de 2008 sur l’uranium au Niger.
Premier exemple : un faux ravitaillement de "terroristes" par l’armée française
Dans un paysage désertique, un hélicoptère tractant un filet s’approche de pick-ups. Quelques secondes plus tard, plusieurs hommes en treillis, que l’on devine blancs de peau malgré la faible qualité des images, déchargent des cartons.
Que montre cette vidéo, publiée le 14 mars ? Pour ce compte, très hostile à la France et qui se présente comme un média nigérien, cela ne fait aucun doute : "Regardez cette vidéo où la Françafrique arme les terroristes au Sahel", clame-t-il.
Selon lui, la scène aurait eu lieu dans "la région de Tillabery", une zone frontalière avec le Mali où une attaque terroriste a fait au moins 17 morts militaires nigériens le 10 février dernier.
En lisant les commentaires, ces affirmations font réagir. "Arrêtez votre désinformation. Ce sont des militaires français sur ces images", affirme le journaliste Matteo Maillard, qui accuse le compte de les avoir "volées à Paris Match".
En tapant "Niger Tillaberi Paris Match" sur YouTube, il est en effet possible de retrouver le reportage dont ces images sont issues. Datant de juillet 2019, il suit le travail de commandos parachutistes français déployés dans le cadre de l’opération Barkhane, active dans la région à l’époque.
La scène de l’hélicoptère, à 5'04, montre en fait le ravitaillement de ces troupes, montées sur des jeeps mobiles.
Cette vidéo ne montre donc pas l’armée française ravitailler des terroristes, mais ses propres troupes, à la frontière entre le Niger et le Mali. Une vérification déjà effectuée par le média malien Assoblog Mali dès le 21 mars.
Deuxième exemple : une photo d’un incendie dans un marché au Niger
Autres images censées accuser l'armée française, ces clichés montrant des scènes d’incendie, relayés par ce compte burkinabé habitué des fausses informations.
Dans une publication du 17 février, il affirme que les images montreraient le résultat d’un bombardement des troupes nigériennes. Réalisé par "les forces spéciales françaises présentes dans le pays", il aurait été ordonné par le "chef d'état major français de Barkhane", une opération pourtant achevée depuis novembre 2022.
La raison de cette attaque contre leurs alliés nigériens ? Toujours selon ce compte, "ils ont décidé de bombarder le convoi pour camoufler l'identité des Français attrapés qui sont en collaboration avec les jihadistes". L’armée française aurait donc voulu cacher sa collaboration avec les mouvements terroristes.
Une recherche d’images inversée (voir ici comment procéder) met à mal ce récit, déjà vérifié par l’AFP Factuel. Les deux premières images (en haut et en bas à droite) montrent en fait l’incendie d’un marché à Tahoua, au nord-est de la capitale Niamey. On les retrouve dans cet article de presse locale, en date du 15 février 2023.
La troisième (en bas à gauche dans la publication) est de trop mauvaise qualité pour pouvoir être identifiée.
On retrouve cependant sa trace dans des publications autour de l'attaque du 10 février contre une patrouille des forces nigérienne. Ce tweet du 16 février ci-dessous propage lui-même de fausses informations en utilisant la même image de l’incendie du marché. Il surestime le bilan des "soldats tombés" à 71, alors que 17 militaires ont été tués dans cette attaque, selon les autorités nigériennes.
Troisième exemple : un "reportage de propagande" ?
L’armée française n’est pas la seule accusée de complicité avec les mouvements terroristes. Les médias de ce pays sont également visés, comme dans cette publication du 23 février.
"La Force française prétend chercher les terroristes, et pourtant […] elle envoie même des journalistes pour faire des reportages de propagande", commente ce compte ivoirien.
Sur les images, on peut voir un homme portant treillis et foulard détailler, en français, les origines de l’armement monté sur son pick-up. "Cette arme, là, elle a été saisie à Tazerzait", raconte-t-il. Une ville au nord-ouest du pays, loin de la région de Tillabéri, où se concentrent les incidents de ces dernières semaines.
Mais d’où proviennent ces images ? L’AFP Factuel est parvenu à retrouver leur origine dans un documentaire datant de 2008, "Niger, la bataille de l’uranium".
L’extrait utilisé se trouve à 10'49. L’homme interrogé est en fait un responsable du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ), un mouvement rebelle touareg actif à l’époque dans le nord du pays.
En lutte contre le gouvernement de Niamey de 2007 à 2009, cette rébellion portait des revendications économiques et politiques, notamment autour du partage des richesses issues des ressources en uranium. Difficile de faire le lien avec les mouvements jihadistes qui frappent aujourd’hui le Niger.
Là aussi, donc, le contexte de ces images a été manipulé. Il ne s’agit pas d’un "reportage de propagande" montrant des membres d’une mouvance terroriste, mais d’un extrait de documentaire ancien, filmant une rébellion touareg aujourd’hui terminée.
Les mêmes types de désinformation au Burkina Faso ou au Mali
Plusieurs de ces intox proviennent de comptes maliens ou burkinabés, partageant régulièrement des contenus favorables aux juntes au pouvoir depuis les coups d'État de mai 2021 et septembre 2022 dans ces deux pays.
Depuis, le Mali et le Burkina Faso ont mis fin à leur coopération militaire avec la France. Ils sont aujourd’hui au cœur de campagnes de désinformation visant les pays où se trouvent toujours des soldats français.
Au Niger, ces derniers sont notamment présents à la frontière avec le Mali, dans le cadre de l’opération Almahou contre les groupes jihadistes.