RD Congo : une journée "ville morte" vire aux pillages à Goma
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Une journée "ville morte" a eu lieu le 6 février à Goma, capitale du Nord-Kivu dans l’est de la RD Congo, pour protester contre le manque d’engagement de la force régionale est-africaine dans la lutte contre le mouvement du M23. Elle a donné lieu au pillage de magasins supposément tenus par des Tutsi mais aussi d’églises, au motif qu’elles étaient fréquentées par des Banyamulenge, Congolais d'ethnie tutsi. Les représentants de ces communautés s’inquiètent des paroles et des actes de défiance envers les leurs.
[MISE À JOUR, 08/02/2023] : suite à de nouvelles informations qui nous sont parvenues le 8 février au matin, nous précisons que des magasins tenus par des personnes n’appartenant pas à l’ethnie tutsi ont aussi été visés par les pillages.
C’était journée "ville morte", lundi 6 février à Goma. À l’appel de trois associations - Génération positive, le Mouvement national congolais et des membres de la Lucha - les magasins étaient appelés à garder leur rideau baissé, une façon de dénoncer l’inactivité dont ces associations accusent la force régionale de l’EAC (constituée de soldats issus de pays de la Communauté d’Afrique de l’Est), censée appuyer avec un millier de soldats l’armée congolaise face aux rebelles du M23. Ceux-ci ne cessent de gagner du terrain depuis qu’ils ont repris les armes et sont soupçonnés d’être soutenus par le Rwanda.
#Urgent #RDC: plusieurs axes routiers sont fermés par la population de #Goma. Quelques mouvements citoyens ont appelé à UNE SEMAINE de manifestations sans interruption afin d'exiger le départ de la force EAC(@jumuiya) et du gouvernement la reprise des cités des mains du #M23. pic.twitter.com/6NJOsyKvEU
— Rodriguez Katsuva (@Katsuva_R) February 6, 2023
"Ils prenaient tout ce qui était matériel : chaises, instruments, sono…"
Mais dès le début de matinée, des manifestants ont commencé à converger vers le centre-ville. Sylvain Namuninga , journaliste local, a suivi la manifestation :
Dès le matin, il y avait des barricades sur plusieurs axes. Des jeunes ont commencé à descendre de quartiers chauds vers le centre ville, contaminant d’autres jeunes et c’est là que la manifestation a commencé. Je ne sais pas à quel moment, l’un ou l’autre a lancé que tel ou tel magasin appartenait à des Tutsi, à des Rwandais, et des manifestants ont commencé à les piller. C’était des magasins d'alimentation, de téléphonie qui étaient visés. Puis ils s’en sont pris à des églises, au motif qu’elles étaient fréquentées majoritairement par la communauté banyamulenge. Ils prenaient tout ce qui était matériel : chaises, instruments, sono… Ils ont ainsi attaqué deux églises selon mes sources, qui à la fin de la journée étaient à terre, détruites.
#RDC: À #Goma, des commerçants Tutsi victimes de pillages. Cette manifestation vire à la chasse aux Tutsi congolais. C'est très dangereux ! Les initiateurs des manifestations devraient rappeler que l'ennemi c'est le #M23, pas les congolais d'expression Rwandaise. pic.twitter.com/ayc15MVJEJ
— Rodriguez Katsuva (@Katsuva_R) February 6, 2023
Les Banyamulenge, aussi qualifiés de "Congolais tutsis" sont une communauté de descendants rwandais, installés au Nord-Kivu, généralement rwandophones, qui se différencient avec ce nom des Tutsi rwandais vivant dans la région.
"Les pillages c’est une façon de se venger des exactions commises par le M23"
Désiré (pseudonyme) a lui aussi suivi la manifestation :
Les Banyamulenge ont une morphologie proche des Tutsi, c’est comme ça qu’ils sont reconnus et ciblés. Ceux qui les visent les assimilent aux Rwandais, c’est une façon de se venger des exactions commises par le M23. Il faut aussi dire que certains responsables politiques ne se gênent pas pour faire le même rapprochement. Or, parmi les Banyamulenge, certains ne parlent même pas le kinyarwanda [langue officielle du Rwanda, NDLR], et parmi les Tutsi, certains ne sont pas rwandais. Je ne sais pas s’il faut voir une dimension ethnique dans ces violences, certains sont surtout opportunistes et profitent de l’occasion pour voler.
L'armée intervient pour mettre fin au pillage d'une église à Goma, le février. Vidéo : Sylvain Namuninga
Plusieurs hommes ont été blessés dans l'effondrement d’une des églises. Alors que la manifestation se dispersait dans l’après-midi, certains ont poursuivi en établissant des barrages sur des axes importants de Goma, faisant payer le passage à ceux qui circulaient.
"Depuis que la guerre a commencé, la haine s’accroît de jour en jour"
Vincent Tengera est président des jeunes Tutsi au Nord-Kivu. Il affirme que des Tutsi ont été interpellés à ces barrages et deux auraient été frappés.
Depuis lundi matin nous, Tutsi, on reste chez nous, on ne va ni au travail ni au marché, on attend que la situation se calme. Compte tenu de la haine contre les Tutsi, on ne veut pas circuler. Sur les réseaux sociaux, depuis que la guerre a commencé, la haine s’accroît de jour en jour. On a alerté la représentante de l’ONU en RDC, le gouvernement, on a essayé d’informer toutes les personnes possibles. On est toujours en attente d’une réponse.
Des messages haineux envers Banyamulenge et Tutsi circulent, sur Whatsapp notamment, depuis que le M23 enchaîne les succès militaires, et alors qu’il se trouve à proximité de Goma. Un représentant banyamulenge s’alarme : "Dans nos quartiers, depuis la guerre, on peut s’entendre dire 'vous êtes rwandais, on va vous égorger pendant la nuit', 'rentrez au Rwanda', ça fait peur aux gens".
"Il est possible que des personnes malintentionnées visent à créer une sorte de psychose pour justifier le début d’un conflit intercommunautaire"
Certains accusent les organisateurs de la journée ville morte d’avoir laissé la manifestation dégénérer. Également contacté par notre rédaction, Jimmy Nzialy, coordinateur du mouvement Génération positive et coorganisateur de la journée ville morte, estime que l’idée de contestation a été récupérée :
Le principe d’une journée ville morte c’est une journée sans travailler, pour exprimer un ras le bol et une revendication vis-à-vis de l'État. Mais vu ce qui s’est passé et les dégâts, le mouvement a été infiltré. Nous condamnons le fait que des églises et des magasins ont été attaqués.
Goma vit sous pression et il est possible que des personnes malintentionnées visent à créer une sorte de psychose pour justifier le début d’un conflit intercommunautaire. Et à partir de ce désordre, le M23 peut dire qu’il débarque à Goma pour sécuriser et libérer les siens… Il ne faut pas tomber dans le piège d’un ennemi invisible.
Le lieutenant-général Constant Ndima, gouverneur militaire du Nord-Kivu, qui n’a plus d'administration civile, a dénoncé les pillages et les barrages, estimant que qu’il s’agissait de "l’œuvre des gens mal intentionnés qui infiltrent notre population pour s’attaquer aux propriétés privées, aux biens publics et aux partenaires du gouvernement congolais". Il a fait valoir que les pillages accroissaient le risque "d’asphyxie économique" de la région et appelé "au calme et à la retenue".