Non, cette vidéo ne montre pas un camion de l’ONU transportant des enfants kidnappés
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Un camion de l’Organisation des Nations unies a-t-il été arrêté par la population sénégalaise alors qu’il transportait à son bord des enfants "kidnappés" ? C’est ce qu’affirment, vidéo à l’appui, des publications partagées sur Facebook et Twitter depuis la mi-décembre 2022. Mais cette vidéo, qui date de 2019, a été prise au Zimbabwe et n’a rien à voir avec un enlèvement d’enfants.
La vérification en bref
- Depuis le 13 décembre 2022, une vidéo partagée sur Facebook et Twitter prétend montrer une foule attaquant un véhicule de l’Organisation des Nations unies (ONU) et libérant les enfants – prétendument victimes d’un enlèvement – qui se trouvaient à l’intérieur. L’incident se serait déroulé en décembre 2022 au Sénégal.
- Or, cette vidéo date de 2019 et a été filmée au Zimbabwe, comme l’expliquent plusieurs articles publiés à cette époque.
- L’inscription présente sur la camionnette correspond par ailleurs au nom d’une société de sécurité zimbabwéenne et n’atteste d’aucun lien avec l’organisation internationale.
- L’incident montré dans la vidéo avait en fait été déclenché par un malentendu : des citoyens avaient arrêté une camionnette en prenant son conducteur pour un ravisseur, alors qu’il transportait simplement les enfants de son employeur.
Le détail de la vérification
Une foule hostile entourant une camionnette, ouvrant ses portes, découvrant des enfants à l’intérieur et les faisant sortir. C’est ce que montre une vidéo partagée depuis le 13 décembre 2022 (voir ces publications en polonais ou en italien), qui a atteint une plus large audience récemment. Ce tweet en français du 26 janvier 2023 enregistre en effet à ce jour plus de 1 700 partages.
Selon ces comptes, ces images auraient été prises en décembre 2022 au Sénégal et le véhicule appartiendrait aux "Nations unies". Quant aux enfants, ils auraient été victimes d’un "kidnapping".
"Au Sénégal, l'ONU vole les enfants pour des organes", prétend ainsi analyser un utilisateur de Twitter dans une publication du 14 décembre 2022. "Ils envoient les enfants kidnappés au State pour continuer leurs pédophilie et leurs traffic d’organes (sic)", écrit cet autre compte.
Véhicule d’une compagnie de sécurité zimbabwéenne
Or, plusieurs éléments laissent à penser que cette vidéo ne montre pas ce que prétend la légende qui l’accompagne.
Tout d’abord, rien n’indique que le véhicule visible sur la vidéo appartient à l’Organisation des Nations unies. On ne trouve sur cette camionnette ni logo, ni inscription correspondant à l’organisation internationale.
Si on regarde la vidéo en la mettant régulièrement en pause, il est en revanche possible de distinguer l’inscription "SINCERE SECURITY" figurant sur le fourgon. On peut également voir à la première seconde de la vidéo une adresse composée d’un nom de rue ("Airdrie Road") et d’un nombre à deux chiffres.
En entrant les mots-clés "Sincere Security" dans un moteur de recherche, on peut alors trouver le site Internet d’une société du même nom, "détenue entièrement par des Zimbabwéens".
Elle se présente comme proposant des "services de sécurité aux particuliers et aux entreprises" et son siège social est situé au 33, Airdrie Road, à Harare, capitale du Zimbabwe, ce qui correspond à l’inscription figurant sur la camionnette.
Conducteur accusé à tort de kidnapping en 2019
Une nouvelle recherche, en anglais, avec les mots-clés "Sincere Security kidnapped children" ("Sincere Security enfants kidnappés", en français) nous permet de retrouver plusieurs articles de médias zimbabwéens de 2019 partageant cette même vidéo.
Cet article du 18 avril 2019 publié sur le site de Zimeye.net, un réseau de journalistes du Zimbabwe, rapporte par exemple l’incident, qui se serait déroulé à Bulawayo, deuxième plus grande ville du pays.
On y apprend que la camionnette aurait été arrêtée par un autre conducteur qui aurait "vu l'un des enfants faire des signes et pleurer à travers la minuscule fenêtre du véhicule". Celui-ci aurait ainsi demandé au conducteur de la camionnette de s'arrêter puis la foule aurait "forcé l'ouverture de la porte où les mineurs ont été récupérés".
Le conducteur aurait ensuite été "violemment agressé" par la foule.
Selon cette publication, la scène aurait en fait été déclenchée par un simple malentendu. "La foule en colère s'est retrouvée embarrassée après avoir emmené leur 'coupable' au poste de police central de Bulawayo, où il a été établi que l'homme transportait simplement les enfants de son patron dans une camionnette de l'entreprise", peut-on lire dans l’article.
Des sources policières avaient alors confirmé cette version.
Man falsely accused of kidnapping 4 children in closed van badly beaten in Bulawayo, dragged to police station
— ZimLive (@zimlive) April 18, 2019
➡️https://t.co/EXkNQ7MAEU pic.twitter.com/sfJVUnEUXU
Démenti de l’ONU
Contacté par le média de vérification espagnol Newtral, le bureau de l’ONU au Sénégal a affirmé que la vidéo n’avait rien à voir avec l'organisation internationale.
"Aucune des agences des Nations unies au Sénégal n'utilise le type de véhicule qui apparaît dans la vidéo. Et en général, le Sénégal est un pays sûr où de tels événements ont peu de chances de se produire", a expliqué Cheikh Sakho, chargé de communication du bureau.
Les accusations mensongères visant des organisations internationales sont fréquentes en Afrique de l’Ouest et centrale.
En juin 2020, des publications avaient accusé tantôt l’Union européenne, tantôt les Nations unies, d’avoir voulu vacciner de force contre le Covid-19 des personnes de République démocratique du Congo. Mais la vidéo montrait en réalité une délégation du Programme alimentaire mondial chassée pour avoir refusé d’embaucher des jeunes actifs de la ville de Masisi.
En août 2022, la Monusco était accusée de livrer des armes aux rebelles de l’ADF avec une vidéo en réalité tournée en Centrafrique dans une réserve naturelle et montrant un ravitaillement des gardes forestiers.