Attention à l’intox de l’ambassadeur français en RD Congo “chassé du parlement” par la foule
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L'ambassadeur de France en République Démocratique du Congo a-t-il été chassé de l’enceinte du parlement à Kinshasa par une foule hostile en marge d'une rencontre entre le président et la jeunesse ? Une vidéo postée sur Twitter et Facebook montrerait cette scène. Mais les personnes chahutées par la foule correspondent en fait à un homme d'affaires libanais et un attaché commercial de Turquie, venus assister à un salon de la construction qui débutait le même jour.
La vérification en bref
- Depuis le 2 décembre 2022, des comptes Twitter et Facebook affirment, vidéo à l’appui, que l’ambassadeur français à Kinshasa a été chassé par des manifestants, alors qu’il venait assister à une rencontre entre le président de la République de RDC, Félix Tshisekedi, et la jeunesse du pays. L’une des vidéos a été vue plus de 130 000 fois.
- Les deux hommes apparaissant dans la vidéo ne présentent pas de similitude avec Bruno Aubert, actuel ambassadeur français. Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, l’ambassade a affirmé qu’il ne s’agissait pas de celui-ci.
- Une rencontre entre le président de la République et des jeunes Congolais a bien eu lieu ce jour-là mais les deux personnes chassées venaient en fait participer à l’ouverture d’un salon de la construction, comme l’a expliqué le président du Comité d’Organisation de l’événement, également contacté par notre rédaction.
- La rédaction des Observateurs a pu identifier les deux hommes présents dans la vidéo - un collaborateur de l’ambassade turque et un employé libanais d’une entreprise de construction - grâce à une comparaison entre les images de la séquence et des images publiées sur les réseaux sociaux des deux hommes.
- Contacté, l’un des organisateurs de la rencontre entre le président de la République et les jeunes a expliqué que “ces débordements” avaient été déclenchés par une “confusion” liée à la présence de nombreux jeunes ne pouvant pas entrer à l’intérieur du Palais du Peuple.
Le détail de la vérification
Deux hommes blancs en costume chahutés par la foule sur une esplanade, et guidés vers la sortie par les forces de police : c’est ce qu’on voit dans une vidéo partagée depuis le 2 décembre sur Facebook et Twitter.
Pour les comptes qui la partagent, l’un des hommes serait l’ambassadeur de France en RDC. “L'ambassadeur français chasser (sic) à l'assemblée nationale de la RDC le palais du peuple à Kinshasa hier en voulant participer à la rencontre de Félix Tshisekedi avec les jeunes congolais” peut-on lire sur cette publication Twitter partagée plus de 300 fois.
La vidéo a également été très partagée sur Facebook. “L'ambassadeur néo-colon de France à Kinshasa a été humilié et chassé comme un vagabond par les populations qui dénoncent le soutien de la France aux terroristes du M23. La France est rejetée partout en Afrique [;] Mais pendant ce temps elle accuse la Russie d’être responsable de sa propre chute!! ” peut-on lire sur cette publication enregistrant plus de 130 000 vues et 3 000 partages, et partagée par Egountchi Behanzin.
De son vrai nom Sylvain Afoua, Egountchi Behanzin est le fondateur de la Ligue de défense noire africaine, une organisation qui se définit sur sa page Facebook comme un “Mouvement révolutionnaire pour la défense des droits des Afrodescendants et des Africains” et qui a été dissoute en 2021 suite à des accusations de racisme et d’incitation à la haine.
Les paroles prononcées par les personnes présentes indiquent en effet que les deux hommes ont suscité la colère de la foule. “Sortez, sortez, sortez” peut-on notamment entendre scandé, en lingala, une des langues parlées en République démocratique du Congo.
“Ce n’est pas un pays de ‘blancs’, c’est pour nous les Congolais" clame une femme au début de la vidéo. “Qu’ils sortent, eux il faut qu’ils retournent de là où ils viennent, il faut qu’ils repartent, nous n’avons pas besoin d’eux” crie un homme, alors qu’une dernière voix conclut : “Nous on meurt ici et eux ils viennent nous voler ! Qu’ils partent, qu’ils sortent, qu’ils restent à l’extérieur. Trop c’est trop, on ne veut plus de ça.”
Rencontre entre le président Tshisekedi et la jeunesse
Plusieurs éléments visuels présents dans la vidéo indiquent que la scène s’est bien déroulée sur l'esplanade du Palais du peuple - le siège du Parlement de la RDC - à Kinshasa, comme affirmé par de nombreuses publications.
L’homme qui apparaît dans la vidéo n’est cependant pas Bruno Aubert, actuel ambassadeur de France à Kinshasa. Une comparaison avec les images publiées sur le compte Twitter de l’ambassadeur permet de détecter qu’il ne ressemble à aucun des deux hommes blancs visible dans cette vidéo.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, le service presse de l’ambassade de France à Kinshasa a par ailleurs fait savoir qu’il ne s’agissait ni de l’ambassadeur, ni d’autres agents de l’ambassade.
La scène s’est toutefois bien déroulée en marge d’une rencontre entre le président de la République démocratique du Congo et des jeunes Congolais au palais du Peuple.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, c’est ce que nous a confirmé Honoré Mvula, président du parti “Force des patriotes” et proche du président de la République qui a participé à la préparation de la rencontre.
Organisée le 30 novembre 2022, cette rencontre devait permettre au président d’échanger avec la jeunesse sur les thèmes de la “paix” et de “l’unité”. C’est ce qu’on peut lire dans cet article du média congolais Mediacongo. L’ambassadeur français n’a pas participé à cette rencontre nous a confirmé l’ambassade française en RDC.
Des entrepreneurs venus assister à un salon de la construction
Mais les personnes chahutées dans la vidéo n’étaient en fait pas venues pour cet événement, nous a expliqué Honoré Mvula, qui l’a aussi fait savoir dans une publication Twitter du 2 décembre 2022.
C'était plutôt les invités de l'expo beton,lancement de 6ème édition du salon de réflexion sur la construction et les infrastructures dénommé " Expo Béton " ,c'était le même jour que l'activité de la jeunesse ( salle de spectacle du palais du peuple) pic.twitter.com/O9IzB57o1m
— HonoreMvula (@HonoreMvula1) December 2, 2022
Le même jour débutait en effet le Salon de la Construction et des Infrastructures de la République Démocratique du Congo, aussi appelé ExpoBeton, comme on peut le lire sur le site Internet de l’événement. Celui-ci se tenait au musée national de la RDC à Kinshasa qui est situé sur la même place que le Palais du peuple.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Jean Bamanisa, le président du Comité d’Organisation du salon ExpoBeton, a déclaré que les deux hommes blancs apparaissant sur la vidéo étaient “venus pour participer à cette exposition". Il a fait savoir qu’il s’agissait de “l’attaché commercial de l’ambassade de Turquie” ainsi que d’“un homme d'affaires libanais de la société Mec-Kin”.
Cette information corrobore les éléments du média de vérification AFP Factuel qui a identifié dans la vidéo un “conseiller commercial de la Turquie à Kinshasa”. Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, l’ambassade de Turquie en RDC n’a à ce jour pas répondu à nos demandes de confirmation.
Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, la société Mec-Kin, une entreprise de construction basée en République démocratique du Congo, a confirmé que le deuxième homme était l’un de ses employés.
“Quand notre employé est arrivé sur place, il a croisé l'attaché commercial de Turquie. Les jeunes qui étaient présents sur la place ont commencé à s’agiter un peu, un officier a vu ça donc il a mis les deux personnes à l'écart, leur a dit de patienter un peu. Finalement notre employé a préféré se retirer et ne pas assister au salon le jour de l’ouverture. Il est revenu le lendemain.”
Il a également été possible de comparer le visage de cet homme visible dans la vidéo avec ses photos publiques disponibles sur ses réseaux sociaux. Pour des raisons liées à la vie privée, nous ne diffusons ni son nom, ni sa photo.
“Confusion”
Mais pourquoi ces deux entrepreneurs ont-ils été alpagués par la foule ?
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Honoré Mvula, de l’équipe organisatrice de la rencontre entre le président Tshisekedi et des jeunes Congolais, a affirmé que la foule présente correspondait à des jeunes invités pour l’occasion.
“50 000 jeunes étaient attendus : des jeunes de la société civile, de partis politiques, des étudiants ... Certains avaient des invitations pour entrer à l’intérieur du Palais du peuple mais certains ne pouvaient y assister que depuis l’extérieur, car il n’y avait pas assez de place. Certains n’étaient pas contents de ne pas pouvoir entrer, et cela a créé de la confusion et quelques débordements. Quand ils voyaient des personnes venir, ils leur demandaient ce qu’ils faisaient là. C’est ce qu’il s’est passé avec ces deux entrepreneurs.”
Jean Bamanisa, d’ExpoBeton, dresse un constat similaire. “Les entrées du bâtiment du Palais du peuple étaient bouchées. Les jeunes leur ont montré la voie de sortie. Sans violence, mais dans le bruit” a-t-il expliqué.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Sylvano Kasongo Kitenge, le directeur général de la police de Kinshasa, a expliqué que “des manifestations avaient eu lieu en marge de la rencontre”, justifiant la présence des forces de police. Mais concernant la scène en question, "aucun rapport de police n'a été fait à ce sujet" a-t-il affirmé.
Renforcement du sentiment anti-français
Ces publications apparaissent alors que le sentiment anti-français s’est vu récemment renforcé en Afrique de l’Ouest, comme par exemple au Burkina Faso.
En RDC, la France est notamment accusée de soutenir le Mouvement du 23 mars (M23), un groupe rebelle congolais créé en 2012 et vaincu en 2013, qui a repris les armes contre l’armée congolaise fin 2021 et s’est depuis emparé de plusieurs villes de l’est de la RDC. Il est accusé de crimes de guerre par des ONG, comme Human Rights Watch.
Fin novembre, des comptes avaient par exemple partagé des images d’un avion de l’armée française stationné en RDC, affirmant qu’il était sur le point de ravitailler le RDC. Il s’agissait en fait d’une escale réalisée suite à une avarie dans le cadre d’un vol de routine vers l’Île de la Réunion, comme nous vous l’avions expliqué dans l’article ci-dessous.
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : “Armes à bord” pour “le M23” : intox autour d’un avion de l’armée française stationné en RD Congo
Ajout le 12/12 : Mise à jour avec la réponse de l'entreprise Mec-Kin confirmant qu'un de ses employés est l'un des hommes de la vidéo