RD Congo : à Butembo, des funérailles sous tension : “Cela ne peut qu’augmenter notre colère”
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Après les manifestations contre la Monusco à Butembo ayant fait 10 morts mardi 26 juillet, des habitants ont souhaité organiser une veillée mortuaire pour rendre hommage aux victimes dans la soirée du vendredi 29 juillet. Les corps, sortis de la morgue, ont été récupérés par la police durant la nuit moyennant des affrontements avec les manifestants. Des témoins racontent ce nouvel épisode de tension dans cette ville du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo.
Mardi 26 juillet, les habitants de la ville de Butembo ont emboîté le pas à ceux de Goma qui, la veille, avaient manifesté pour le départ de la mission des Nations unies en République démocratique du Congo, la Monusco. Des manifestations qui ont entraîné la mort de treize personnes, dont dix manifestants et trois membres des casques bleus.
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Vendredi 29 juillet, les manifestants, déterminés à rendre hommage à ceux qui avaient été tués, se sont rendus à la morgue de Butembo pour récupérer les corps, sans autorisation formelle. Une journaliste témoin de la situation a expliqué à notre rédaction que l’ambiance était plutôt calme, que des chorales chantaient des cantiques religieux, et que les cercueils avaient été disposés sur des étalages de commerçants le long de l’artère principale de la ville sur le rond-point VGH. De part et d’autre de la veillée, des barricades en feu avaient été érigées pour dissuader une intervention policière.
@djodjokitenge mes condoléances nous voulons la paix
♬ Safa Saphel' Isizwe - S'busiso Ngema
"On a l’impression que personne ne comprend notre démarche"
Jean-Pierre Kasma est membre de la Lucha à Butembo, un groupe de la société civile participant aux manifestants contre la présence de la Monusco dans la région.
Dès le mercredi [27 juillet, au lendemain des manifestations, NDLR] nous avions effectué notre demande pour récupérer les corps, mais les autorités ne nous avaient pas donné de réponse. Nous voulions enterrer nos morts collectivement pour leur rendre hommage. Ils ont été tués alors qu’ils demandaient la paix, dans le cadre d’une manifestation communautaire. On voulait donc les enterrer dans des circonstances communautaires, notamment en créant un mémorial.
#BUTEMBO
— loswire shabani (@ShabaniLoswire) July 29, 2022
1.Le mardi la monusco a tué 10 de nos compatriotes et blesser une vingtaine parmi nous.
2.Aujourd'hui pendant qu'on creusait pour rendre les hommages mérités aux notres,la police hautement armée vient de nous disperser et arrêter certains d'entre nous.On va pas lâcher. pic.twitter.com/shDwDVltQJ
La police avait déjà essayé de nous disperser en fin d’après-midi, mais sans succès car la foule était très dense. Mais à la fin de la journée, les forces de police ont profité du fait que beaucoup de gens avaient quitté les lieux pour intervenir et disperser les manifestants restants. Ils ont ainsi emporté les corps profitant de la débandade.
C’était pour nous une totale déception, car la police est intervenue très violemment, et on a l’impression que personne ne comprend notre démarche. Tout cela ne peut qu’augmenter la colère des manifestants : nous ne faisons que réclamer notre droit à la paix et à la protection.
Les manifestants contactés accusent la police d’être intervenue violemment, utilisant notamment des chiens pour chasser les manifestants, visibles sur une vidéo diffusée par un manifestant sur les réseaux sociaux. Aucun manifestant n’a cependant été blessé.
#BUTEMBO
— loswire shabani (@ShabaniLoswire) July 30, 2022
L'armée a usé d'armes à feu et chiens policiers pour ravir les corps et interdire la population d'enterrer les compatriotes tués par la monusco le mardi dernier.
Pendant les tractations, deux manifestants ont perdu la vie et plusieurs autres sont terriblement blessés.😓 pic.twitter.com/OnWsIPRb0k
Suite à une conciliation entre les autorités, les familles de victimes et les délégués des mouvements citoyens chefs de fil de protestation contre la présence de la mission onusienne, les victimes ont pu finalement être enterrées le lendemain, samedi 30 juillet, non sans tension.
"Tirer dans un lieu de recueillement, c’est inimaginable"
Loswire Shabani, également membre de la Lucha, était présent lors de cet enterrement.
Les cercueils ont été emmenés du camp militaire, là où ils avaient été récupérés par l’armée la veille, jusqu’au cimetière de Kitatumba. Ceux qui avaient participé à la veillée étaient là pour escorter le cortège. L’armée et la police étaient sous tension. Certains nous interdisaient même de chanter.
Alors que nous étions dans le cimetière de Kitatumba, il y a eu des échanges de jets de pierre et de tirs de sommation de la part de la police.
#BUTEMBO
— loswire shabani (@ShabaniLoswire) July 30, 2022
Sous une tension dangereuse,nos frères et braves assassinés par la monusco ont été mis en terre.
De l'assassinat de ces derniers à leur enterrement,tout a été pénible mais on l'a fait.
Le combat étant long,notre position pour le départ de la monusco n'a changé. #Peace pic.twitter.com/zmZ91ImCxe
Ce qu’il s’est passé est un sacrilège. Tirer dans un lieu de recueillement, c’est inimaginable. On a vraiment l’impression de ne pas être compris et cela renforce notre détermination à mener de nouvelles actions.
Lundi 1er août a eu lieu à Goma la cérémonie d'hommage aux trois casques bleus tués lors des manifestations anti-Monusco à Butembo la semaine dernière. Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint de l’ONU aux opérations de paix, a durant cette cérémonie présenté ses condoléances aux familles des casques bleus et des civils tués et a promis des enquêtes en collaboration avec les autorités congolaises.