RD Congo : face au risque de nouvelles éruptions volcaniques, les habitants de Goma fuient
À pied, en voiture ou à moto, des milliers d'habitants de Goma, transportant avec eux des valises, des baluchons, parfois même des matelas, ont pris la fuite jeudi 27 mai. Les autorités provinciales ont lancé un ordre d'évacuation face aux risques de nouvelles éruptions du volcan Nyiragongo, situé à une quinzaine de kilomètres au sud de la ville, dans l'est de la République démocratique du Congo.
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Quelques jours après l'entrée en éruption inattendue du volcan Nyiragongo le 22 mai, la menace continue de planer sur la ville de Goma. Le gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu, le général Constant Ndima, a donné l'ordre, jeudi 27 mai, à l’aube, d'évacuer dix quartiers de la ville. Les autorités s’inquiètent de la présence "de magma sous la zone urbaine de Goma, avec une extension sous le lac Kivu".
"Compte tenu de ces observations scientifiques, on ne peut actuellement pas exclure une éruption à terre ou sous le lac qui pourrait advenir avec très peu voire sans aucun signe précurseur", a alerté le général Ndima dans son message aux habitants de Goma. "Des risques supplémentaires sont liés à l’interaction entre la lave et l’eau" du lac, a-t-il ajouté, énumérant : "interaction du magma avec l’eau du lac, déstabilisation du volume de gaz dissous sous le lac Kivu et émission de gaz en surface potentiellement dangereux".
Les habitants ont été invités à emporter avec eux "le strict minimum" et à rejoindre "dans le calme et sans précipitation" la ville de Saké, à l’ouest de Goma.
"L’ordre d’évacuation a semé la panique"
Elie Kasereka, un habitant du centre-ville de Goma, a pris la route dès 6 heures du matin en direction de Saké, même si son quartier n’était pas listé dans l’ordre d’évacuation :
Un ami m'a donné l'information vers 3 heures du matin. Ce qui m’a fait dire qu’il fallait évacuer, c’est l’hypothèse des émissions de gaz en surface, qui peuvent toucher toute la ville. Comme Saké est également en bordure du lac Kivu, j’ai préféré continuer la route. Mais on a été bloqués à l’entrée de Minova [entre le Nord-Kivu et le Sud-Kivu], où les autorités ont exigé de vérifier les plaques d’immatriculation des voitures. Je suis parti à 6 h, et c’est à 16 h seulement que je suis arrivé à Minova !
Je pense que l’ordre d’évacuation a semé la panique : beaucoup de gens sont partis dès qu’ils ont entendu le message. Il aurait fallu d’abord déployer les moyens d’une évacuation et ensuite prévenir les habitants.
Goma
— Elie Kasereka 🇨🇩 (@ElieKas1) May 27, 2021
5h 41’@MwamiKahembeIV pic.twitter.com/JbeDoHzItF
On est encore bloqué à l’entrée de Minova(Sud-Kivu), les autorités exigent la fouille de chaque véhicule pour de raison de sécurité.
— Elie Kasereka 🇨🇩 (@ElieKas1) May 27, 2021
Le Rwanda pays réputé strict en matière de sécurité nous avait laissé entrer chez eux sans aucune forme de procédure, mais chez nous, méfiance. pic.twitter.com/xiHb1AmaCY
Puis, dans un nouveau message diffusé sur les réseaux sociaux aux alentours de midi, jeudi, le gouverneur militaire a annoncé que la ville de Saké se trouvait saturée et souffrait de problèmes d’accès en eau, et a conseillé d’évacuer non plus vers l’ouest mais vers le nord, en direction de la ville de Kibumba.
#GOMA #eruption : Le Gouverneur militaire précise que #Sake accueille beaucoup gens mais il n'y a pas d'#eau ni #hôpitaux, c'est pourquoi il faut évacuer dans le sens contraire vers #Kibumba. pic.twitter.com/XVv1xJVTLt
— Bernard BAHATI 🎖️ (@Bernard_bahati) May 27, 2021
"La plupart des populations originaires du nord préfèrent aller vers le Rutshuru parce qu’ils peuvent y être accueillis facilement dans des familles"
Sans attendre cette décision, dans la matinée, des centaines d’habitants avaient déjà emprunté cet axe. Jack Sinzahera, membre du collectif pro-démocratie AMKA CONGO, a envoyé à la rédaction des Observateurs de France 24 des images prises sur cette route menant vers le territoire de Rutshuru. Il explique :
Saké est une petite localité qui ne peut même pas contenir 100 000 habitants et l’agglomération de Goma compte deux millions d’habitants. La plupart des populations originaires du Nord préfèrent aller vers le Rutshuru où ils peuvent être accueillis facilement dans leurs familles.
Ces habitants qui se sont dirigés vers le nord ont cependant pu avoir du mal à passer dans la matinée, la route ayant été détruite à plusieurs endroits par des coulées de lave.
Certains ont laissé leur voiture et ont continué à pied. Mais par l’effort du gouverneur militaire, la route a été rouverte en fin de matinée et des voitures ont pu passer pour aller jusqu’à Rutshuru.
Des habitants ont également fui par bateau, traversant le lac Kivu vers la ville de Bukavu plus au sud. Mais là aussi, les annonces des autorités ont été contradictoires : la circulation des bateaux sur le lac a d’abord été interdite avant d’être à nouveau autorisée dans la journée. "Des habitants ont passé toute la matinée au port à attendre de pouvoir monter dans un bateau", raconte Jack Sinzahera.
D’autres encore se sont rendus au Rwanda voisin, où un dispositif d’aide humanitaire a été mis en place par le ministère chargé de la gestion des urgences.
The GoR is receiveing Congolese fleeing Goma city after evacuation orders by local authorities. https://t.co/Mw1JDTmIaU
— Ministry in charge of Emergency Management (@RwandaEmergency) May 27, 2021
"Tout se fait avec les moyens du bord : si l’on part, c’est à nos propres frais"
Les habitants des quartiers visés par l’ordre d’évacuation n’ont toutefois pas tous réussi à quitter Goma. Messager Takehya, qui vit dans le quartier Majengo, a attendu toute la journée de trouver une solution :
Il n’est pas prudent d’aller à Saké, comme l’a fait savoir le gouverneur militaire. La route vers le nord a été ouverte, mais il est déjà tard : avec l’insécurité et la présence de groupes armés dans la zone, il n’est pas recommandé d’emprunter cette route dans la soirée.
La ville s’est vidée, on se croyait dans un film. Il y a encore ceux qui restent au mépris du danger, qui espèrent que ça va aller. Tout se fait avec les moyens du bord : si l’on part, c’est à nos propres frais. J’ai rencontré un monsieur qui est bloqué, qui ne sait pas comment se déplacer avec sa famille de dix personnes, sans argent, sans rien pour s’approvisionner pour la route. Moi je suis prêt à partir, mais je vais d’abord passer la nuit dans un quartier de Goma qui n’est pas concerné par l’ordre d’évacuation.
Depuis l’éruption de samedi, le bilan est de 32 morts. Entre 900 et 2 500 habitations ont été détruites et la vie quotidienne est désormais marquée par les secousses sismiques, les coupures d'électricité, et le manque d'eau, comme l’a expliqué à notre rédaction Messager Takehya mardi 25 mai.
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La région de Goma est une zone d'intense activité volcanique : on y trouve six volcans, dont le Nyiragongo et le Nyamuragira qui culminent respectivement à 3 470 et 3 058 mètres. L'éruption la plus meurtrière du Nyiragongo, en 1977, avait fait plus de 600 morts.