Côte d’Ivoire : les cultivateurs d’hévéa craquent face à l’expansion de l’orpaillage clandestin

Une plateforme d'orpaillage brûlée par des jeunes dans la ville de Bettié sur le fleuve Comoe.
Une plateforme d'orpaillage brûlée par des jeunes dans la ville de Bettié sur le fleuve Comoe. © DR

Depuis 2014, l’orpaillage clandestin se développe dans la région de Indénié-Djuablin, dans l’est de la Côte d’Ivoire. Face à l’inaction des autorités, les populations de la ville de Bettié tentent de juguler par elles-mêmes le phénomène. Le 6 mai, des jeunes appuyés par une équipe de gendarmes ont procédé à la saisie et la destruction des équipements d’orpaillage près du fleuve Comoe.

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Des vidéos de l’opération “coup de poing” sont parvenues à la rédaction des Observateurs de France 24. On y voit quelques dizaines de personnes brûler des plateformes composées de rampes de lavage de minerais, des motopompes et des dragues saisies sur place sur un site d’orpaillage en périphérie de la ville de Bettié, l’une des principales villes de production d’hévéa en Côte d’Ivoire. 

L’opération intervient après plusieurs jours de mobilisation des jeunes et de manifestations pendant lesquelles les bureaux de la préfecture ont été vandalisés. Une journée “ville morte” a également été organisée, le 20 avril, pour protester contre l’orpaillage clandestin.

Suite aux manifestations, les autorités préfectorales ont décidé d’installer en permanence un détachement de la gendarmerie à Bettié pour lutter contre l'orpaillage clandestin, rapporte le média en ligne Abidjan.net.

"Nous avons brûlé tout ce que nous avons trouvé"

Fidèle Eby, un jeune agriculteur était sur place.

L’opération s’est faite sur trois jours. Le premier jour, nous étions accompagnés des gendarmes. Ils sont descendus sur le terrain après les alertes des populations sur la présence des orpailleurs. 

Sur place, nous avons trouvé des dizaines de dragues laissées dans des barques sur le fleuve. Trois orpailleurs ont été arrêtés ainsi que trois femmes. Ils étaient en train de pomper la boue du fleuve.

Ensuite nous avons procédé à la destruction des équipements qui ont été laissés par les orpailleurs. Nous avons brûlé tout ce que nous avons trouvé parce que nous ne voulons pas de l’orpaillage à Bettié. Cela ruine considérablement notre environnement et pollue notre fleuve. Il n’y a même plus de poissons.

Moi, mon champ se trouve juste au bord du fleuve Comoe. Ici, à Bettié, c’est la culture d’hévéa et de cacao qui constitue l’activité principale. Avec les fosses et les trous que les orpailleurs creusent, et les produits chimiques comme le mercure et le cyanure qu’ils utilisent, les terres ne sont plus fertiles. Que deviendrons- nous si les rendements de nos plantations baissent ? C’est pour cela, nous ne voulons pas qu’il y ait de l’orpaillage chez nous.

"Nous avons baissé les bras et les orpailleurs sont devenus nombreux"

En décembre 2014, les habitants avaient déjà saisi et brûlé du matériel d’orpaillage dissimulé dans un camion en provenance du Ghana. Mais selon Léopold Brou, planteur d’hévéa qui avait alors alerté la rédaction des Observateurs de France 24, cette vigilance des populations n’a pas suffi à enrayer le phénomène.

En 2014, au début du phénomène, les orpailleurs exploitaient l’or dans la forêt sans aucune autorisation. Les actions que nous avons menées les ont empêchés de se rapprocher de la ville. Nous avions plusieurs fois saisi leurs outils de travail. Ils se sont donc retranchés dans la forêt dans des zones difficiles d’accès.

Mais depuis, nous avons baissé les bras, et les orpailleurs sont devenus de plus en plus nombreux et se sont rapprochés de la ville à la recherche de nouveaux sites à exploiter. Ils viennent pour la plupart du Mali, du Burkina-Faso, du Niger ou du Ghana. Ils exploitent maintenant des sites tout près du fleuve Comoe.

Nous avons plusieurs fois alerté les autorités. Mais ici l’administration est d’une lenteur absolue. C’est pourquoi les populations sont obligées d’opérer elles-mêmes les saisies. Une station d’épuration pour la distribution d’eau potable sera bientôt mise en service. C’est le fleuve Comoe qui servira de source. Mais l’eau est polluée à cause de l’orpaillage. En plus, le niveau d’insécurité a augmenté dans la ville. Il y a beaucoup plus de banditisme. Il faut que cela s’arrête.

Contacté, Jean-Baptiste Amalaman, le maire de la ville de Bettié, n’a pas répondu à nos sollicitations.

500 000 orpailleurs clandestins dans le pays

En Côte d’Ivoire, l’exploitation de l’or connaît un véritable boom. Selon Business France, la production d’or est passée de 24 tonnes en 2018 à plus de 32 tonnes en 2019 dans le pays, soit une hausse de 34 %. Les recettes fiscales liées à l’exploitation de l’or ont aussi augmenté, passant de 56 milliards de francs CFA (plus de 86 millions d’euros) à 65 milliards de franc CFA (100 millions d’euros) grâce aux performances de trois grandes multinationales qui se partagent le marché : l’australien Perseus Mining, et les canadiens Endeavour Mining et Barrick Gold. 

              Des orpailleurs clandestins sur le fleuve Comoe en avril.

Mais l’orpaillage clandestin, en plein essor également, crée un manque à gagner pour l’État. En mai 2020, Justin Kouamé, maître-assistant à l’université Félix Houphouet-Boigny d’Abidjan, qui a dirigé une étude sur l’orpaillage clandestin et la sécurité alimentaire, estimait à plus de 500 000 le nombre d’orpailleurs clandestins en Côte d’Ivoire. 

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Pour lutter contre le phénomène, une Brigade de répression des infractions au code minier (BRICM) a été crée en 2018. Elle est composée de gendarmes dont les actions sur le terrain ont permis, en 2019, de démanteler 222 sites.