Marées noires au Gabon : un collectif d’habitants lance l’alerte contre le groupe français Perenco
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Depuis deux ans, les habitants de la zone pétrolière d'Étimboué, dans l'ouest du Gabon, sont les victimes de marées noires et épandages de produits pétroliers à répétition. Excédés, il ont décidé ces dernières semaines de lancer l'alerte contre Perenco. Cette entreprise française dont le siège social est établi à Londres, exploite une cinquantaine de champs pétroliers dans la zone, jugés vétustes et mal entretenus. Les conséquences pour la population sont nombreuses : problèmes de santé, pollution des eaux, empoisonnement des cultures et des poissons, détaillent nos Observateurs.
Au Gabon, le secteur pétrolier est le premier contributeur au budget national, à hauteur de 20 % selon les chiffres de la Banque mondiale. C'est dans la zone lagunaire située au sud de Port-Gentil, dit lagune Nkomi ou du Fernan-Vaz, que se concentre l'essentiel des réserves de pétrole nationales, estimées à 2 milliards de barils. Plusieurs groupes industriels s'y sont succédés depuis 1956.
Mais cette zone stratégique est aussi une zone peuplée de plus de 5 700 personnes, qui vivent principalement de la pêche dans la lagune Nkomi.
Au mois d'octobre 2020, un groupe d'habitants a lancé l'alerte sur une pollution qui ne fait que s'aggraver dans la région. Ils pointent du doigt le groupe Perenco, une entreprise qui extrait dans la région 95 000 barils par jour, selon ses propres chiffres.
"Les vieux pipelines installés il y a une quarantaine d'années se percent régulièrement"
Lydie Rebela, 55 ans, est une agricultrice résidant dans le village de Batanga depuis 30 ans.
Depuis des années, il y a des fuites de pétrole un peu partout. Elles se répandent dans toute la zone au moment de la saison des pluies, quand les zones polluées sont inondées et que l'eau transporte les matières toxiques un peu partout. Mes cultures perdent progressivement en rendement : j'ai besoin de plus d'eau par exemple pour les faire pousser, environ 50 % de plus par rapport à il y a deux ans.
Ces fuites sont surtout le fait des vieux pipelines installés il y a une quarantaine d'années, qui se percent régulièrement.
Certains pipelines sont au fond de l'eau, d'autres enterrés, d'autres encore posés à même le sol. Il y a aussi des puits très vieux, en mauvais état, qui fuient et créent des épandages.
"Les jeunes enfants ont des problèmes respiratoires, notamment de l'asthme"
J'habite ici depuis 30 ans et il y a toujours eu de la pollution, mais ces derniers mois ça s'est vraiment aggravé. Nous utilisons l'eau de la lagune pour la vie quotidienne mais elle a été polluée en aval et en amont du village, ce qui rend sa consommation impossible.
On a aussi remarqué de plus en plus de problèmes respiratoires chez les jeunes enfants [aucune étude scientifique n'a été menée pour confirmer cette allégation, NDLR], notamment de l'asthme, mais nous n'avons pas de quoi les soigner correctement. Moi-même, quand je pars à Port-Gentil je sens une différence, je respire beaucoup mieux là-bas.
En plus des derniers cas graves de pollution, cette aggravation de la situation a été un peu la goutte d'eau qui a fait déborder le vase pour nous.
"Nous, les pêcheurs, nous trouvons de moins en moins de poissons"
Pour Yves Onanga, 32 ans et ancien employé de Perenco devenu pêcheur, c'est surtout le comportement de l'entreprise qui a poussé les habitants à bout.
Il y a bien sûr ces derniers cas de pollution qui nous ont vraiment inquiétés, mais aussi et surtout la réaction de Perenco suite à ces incidents. Les opérations de soi-disant dépollution ne sont pas menées correctement et aucun dédommagement n'est prévu.
Dans cette vidéo, plusieurs riverains de la lagune Nkomi se rendent sur un lieu de pollution qui aurait été selon eux "nettoyé" par l'entreprise Perenco. En retirant des branchages ils trouvent des arbres et racines imprégnés d'une matière noire, selon eux du pétrole brut.
L'eau est polluée et nous, les pêcheurs, nous trouvons de moins en moins de poissons. En 2012, il y a eu une grande pollution dans la lagune, on avait retrouvé beaucoup de poissons morts, flottant à la surface de l'eau. Depuis, c'est comme si les poissons avaient fui la zone. Auparavant, on pouvait pêcher facilement huit kilos en une journée, mais depuis on peine à ramener deux ou trois kilos.
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© {{ scope.credits }}Des installations industrielles très polluantes
Car il ne s'agit pas seulement des fuites, il y a aussi toutes les installations industrielles qui émettent des gaz. Il y a même un endroit près du pont [situé au nord de la lagune Nkomi, NDLR] où ils font du torchage. Ça pollue l'air et ça a des effets négatifs sur la nature et notre santé.
On voit sur ces images le site près du pont où du gaz est brûlé avant d'être rejeté dans l'air. Cette procédure, le torchage, est très polluante. Elle permet de se débarrasser du gaz extrait en même temps que le pétrole et qui coûterait trop cher à exploiter et transformer.
En regardant ci-dessus des images satellites récentes de la zone, on remarque également une large zone visiblement polluée à proximité de cette installation. On distingue notamment de nombreux troncs d'arbres couchés au sol et des étendues de couleur noire et violette.
Le militant George Mpaga, coordinateur du Réseau libre des organisations pour la bonne gouvernance au Gabon (ROLBG), s'inquiète également des risques encourus par plusieurs espèces présentes dans la zone, comme les antilopes, les crocodiles ou les tortues et du sort des pêcheurs, qui ont vu leurs prises diminuer.
"Les autorités ont tendance à fermer les yeux"
Pour alerter l'opinion publique, le journaliste et activiste Bernard Christian Rekoula s'est rendu sur place au mois d'octobre pour filmer les dégâts. Il a ensuite publié son film sur Facebook le 7 novembre.
Cette zone a d'abord été forée et exploitée par Total, qui a ensuite revendu ses parts à Perenco en 2018. Ce sont des installations vieillissantes, parfois vétustes, qui ne sont pas ou mal entretenues.
Il y a depuis 3-4 ans une pollution généralisée en mer, dans les terres, forêts et dans les lagunes. Tantôt c'est des marées de brut lourd, de produits dérivés, d'acides dans les lagunes, tantôt c'est en pleine forêt.
Compte tenu de l'importance stratégique de ces installations, les autorités ont tendance à fermer les yeux. Il en va de même pour les grands médias nationaux. Seuls quelques sites internet indépendants ont relayé les récentes plaintes des habitants. C'est pour cette raison que j'ai voulu filmer l'ampleur des dégâts.
Ce sont des terres ancestrales où ces populations vivent depuis bien avant l'indépendance [en 1960, NDLR]. À cause de la pollution, certains sont partis, des villages ont été désertés, mais la plupart veulent rester. Ils soupçonnent Perenco de laisser la situation empirer pour les pousser au départ.
L'entreprise Perenco, très implantée en Afrique, est le premier producteur de pétrole brut au Gabon et le deuxième groupe pétrolier français derrière Total. Ce spécialiste de l'optimisation des champs pétroliers matures est régulièrement présenté dans les médias comme une société opaque, étroitement liée au gouvernement gabonais. Il ne publie pas son chiffre d'affaires, ni sa structure de gouvernance et a été associé dans des enquêtes de médias indépendants à des faits de corruption.
Contactée par mail par notre rédaction, Perenco n'a pas donné suite à notre demande d'interview. Nous publierons sa réponse si elle nous parvient.