CÔTE D'IVOIRE

Côte d'Ivoire : à Daoukro, une manifestation de l'opposition dégénère dans l'horreur

Des manifestants pro-opposition avant leurs affrontements avec des soutiens du pouvoir, le 9 novembre 2020, à Daoukro. Capture d'écran Iffou.net
Des manifestants pro-opposition avant leurs affrontements avec des soutiens du pouvoir, le 9 novembre 2020, à Daoukro. Capture d'écran Iffou.net
Publicité

Six hommes ont été tués, dont l'un décapité, dans des violences en marge d'une manifestation à Daoukro, une ville du centre de la Côte d'Ivoire, lundi 9 novembre. Des manifestants pro-opposition s'étaient réunis sur une place de cette ville, avant de défiler et d'être attaqués dans un quartier réputé pro-Ouattara. Nos Observateurs ne sont pas surpris que la violence ait resurgi dans cette ville, où une manifestation avait déjà dégénéré en août dernier.

La tension est toujours très vive en Côte d'Ivoire après l'élection présidentielle du 31 octobre, qui a vu la victoire d'Alassane Ouattara avec plus de 94 % des voix, ses opposants ayant appelé au boycott du scrutin. À Daoukro, fief de l'opposant, ancien président et candidat à la présidentielle de 2020, Henri Konan Bédié, des manifestants se sont réunis lundi 9 novembre pour protester contre le résultat de l'élection.

 

"L'homme a été décapité par vengeance"

Notre Observateur Jean (pseudonyme) a suivi de près la manifestation et les affrontements :

 

Au départ, les jeunes favorables à l'opposition, majoritairement de l'ethnie Baoulé, se sont réunis sur la place Henri Konan Bédié, l'ambiance était bonne, il y avait de la musique, ça dansait. Il n'était pas prévu à l'origine que cette manifestation défile dans la ville, mais c'est ce qui a fini par se passer.

Regroupement des manifestants pro-opposition à Daoukro, le 9 novembre. Vidéo publiée sur Iffou.net.

Le cortège est passé par différents points de la ville et a fini par aller dans le quartier Sossoridougou, qui est à majorité malinké, une ethnie réputée soutenir le pouvoir en place. Des pierres ont commencé à être lancées sur les manifestants. Des barrages ont été érigés pour empêcher les manifestants de poursuivre et les bloquer dans le quartier. Avec la force du nombre, ils ont réussi à les briser, mais des retardataires ont été kidnappés. Cela a déclenché des affrontements. Du côté de ceux qui se disaient pro-pouvoir, j'ai vu des machettes, des armes à feu. Ça s'est finalement dispersé mais le bilan est lourd, il y a six morts et de nombreux blessés.

L'homme qui a été décapité faisait partie des retardataires du cortège pro-opposition, il a été enlevé, et retenu. Quand ceux qui le détenaient ont appris qu'un des leurs avait été blessé, ils se sont vengés sur lui…

Les manifestants ont finalement commencé à déambuler dans la ville contrairement a ce qui était prévu. À Daoukro, le 9 novembre. Vidéo publiée sur Iffou.net.

Je ne suis pas surpris de voir ces événements, c'est la deuxième fois que ça se passe comme ça depuis août. Le climat s'était un peu apaisé, mais les problèmes ne sont pas réglés. Il y a de la manipulation aujourd'hui, qui amène les gens à croire que leurs différends sont liés à leur ethnie, pas à des questions politiques. Tant que des leaders politiques continueront d'ethniciser les enjeux politiques, ça ne se terminera pas. Il faudrait un forum de discussion, une initiative de réconciliation au niveau national. Rien de tout ça ne semble en vue.

Le 10 août, une manifestation entre soutiens de l'opposition et pro-Ouattara avait déjà dégénéré à Daoukro, faisant trois morts. Jointe par notre rédaction, une source à la préfecture de Daoukro concède ne pas avoir prévu d'encadrement sécuritaire pour la manifestation du 9 novembre, car "il avait été convenu avec les organisateurs de la manifestation que celle-ci serait un sit-in, pas une marche dans la ville. Nous avons pensé qu'avec les antécédents du mois d'août, les gens ne recommenceraient pas à s'affronter, qu'ils allaient s'autodiscipliner", dit cette source.

La préfecture a décrété un couvre-feu lundi pour 72 heures.  

 

"Ça va dégénérer à nouveau à un moment"

Alain (pseudonyme) vit à Daoukro :

 

Les forces de l'ordre ont repris les choses en main, les barricades ont été dégagées et les voies obstruées libérées. Le couvre-feu a permis d'instaurer le calme. Cependant ce mercredi matin, beaucoup de commerces étaient encore fermés. 

Je ne suis pas surpris que la violence ait à nouveau éclaté, toutes les marches ici finissent sur des affrontements… Mais je suis surpris par l'ampleur de la violence et ce niveau d'atrocité. Pour moi, il est clair que le calme est précaire, et que ça va redégénérer à un moment. Dans un conflit comme ça, certains sont dans une optique de vengeance perpétuelle.

 

Entre Daoukro et M'batto, confusion sur la provenance des images des violences

Des violences ont également éclaté à M'batto, une ville située au sud-ouest de Daoukro, lundi 9 novembre. Sur les réseaux sociaux, des images terribles, l'une d'un homme décapité, l'autre d'un homme au corps calciné, ont circulé, étant attribuées parfois aux affrontements d'une ville, parfois à ceux de l'autre. Nous avons pu authentifier ces images.

Une vidéo du corps d'un homme décapité, sur laquelle on voit certains frapper la tête à coups de pied, circule beaucoup sur les réseaux sociaux ivoiriens. Nous n'en publions qu'une capture d'écran dans le seul but de certifier qu'elle a bien été prise à Daoukro. C'est ce qu'affirment plusieurs de nos sources dans la ville. Par ailleurs, contactée par notre rédaction, la mairie de M'batto confirme qu'"il n'y a pas eu de décapitation à M'Batto" lors des violences ce jour-là.

Capture d'écran montrant le corps d'un homme décapité à Daoukro, le 9 novembre 2020.

Un homme a également été brûlé et son corps calciné lors des violences en marge des manifestations à Daoukro. Là aussi, deux vidéos circulent en étant attribuées à Daoukro ou M'batto. Voici deux captures d'écran de ces vidéos. Elles sont prises au même endroit : notre Observateur s'y est rendu et nous l'a confirmé, images à l'appui. Nous ne publions pas ses images pour des raisons de sécurité.

Capture d'écran d'une vidéo montrant un homme brûlé, à Daoukro le 9 novembre. 

 

Capture d'écran d'une autre vidéo montrant un homme brûlé, à Daoukro le 9 novembre. 

 

 

Article écrit par Corentin Bainier (@cbainier) et Alexandre Capron (@alexcapron)