BRÉSIL

Brésil : les protecteurs de l'environnement accusés d'être responsables des incendies… avec des images hors contexte

En septembre et en juin, ces images ont été publiées sur les réseaux sociaux pour accuser des incendies les "brigadistes" mobilisées contre les incendies en Amazonie et dans le Pantanal. Captures d'écran / réseaux sociaux.
En septembre et en juin, ces images ont été publiées sur les réseaux sociaux pour accuser des incendies les "brigadistes" mobilisées contre les incendies en Amazonie et dans le Pantanal. Captures d'écran / réseaux sociaux.
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Au Brésil, depuis plusieurs mois, des incendies ravagent l'Amazonie et le Pantanal. Dans le pays comme à l'international, de nombreuses voix s'élèvent contre la politique environnementale du président Jair Bolsonaro. En parallèle, sur les réseaux sociaux brésiliens, des internautes partagent des images sorties de leur contexte pour affirmer que ces feux ont été provoqués par les organismes de protection de l'environnement, les écologistes et les communautés indigènes. Voilà pourquoi c'est faux.

Le 21 septembre, le média de vérification brésilien Aos Fatos, membre de l'International Fact-Checking Network (IFCN), assurait avoir publié en dix jours six articles en lien avec les incendies. Les contenus vérifiés avaient en commun d'attribuer les feux "à trois cibles connues : les peuples indigènes, les écologistes et les ONG", expliquait Aos Fatos. Une rhétorique que le média analyse comme "similaire" à celle utilisée en 2019 lors des feux qui avaient déjà ravagé l'Amazonie.

Des "brigadistes" qui mettraient le feu…

Parmi les cas de désinformation qui ont été repérés par nos confrères spécialisés dans la vérification des faits au Brésil, se trouve une vidéo, diffusée sur Facebook mi-septembre, censée montrer des "brigadistes" - des équipes chargées d'éteindre les incendies aux côtés des pompiers - allumer volontairement un feu.

Dans une publication datée du 16 septembre, la vidéo, vue plus de 25 000 fois, est légendée : "Cela doit être largement partagé : ces bandits de gauche mettent le feu plutôt que de l'éteindre. Nous allons diffuser (...) ils doivent aller en prison". D'autres internautes ont également repris ces images, qualifiant les brigadistes de "voyous".

 

 

Capture d'écran de la vidéo le 6 octobre 2020. 

Comme l'explique le média de vérification LUPA, ces images sont bien authentiques mais ont été sorties de leur contexte. Les personnes visibles sur la vidéo sont des "brigadistes" de l'ICMBIO (Institut Chico Mendes de conservation de la biodiversité), une organisation publique qui dépend du ministère de l'Environnement. La vidéo a été tournée le 13 septembre à Cáceres, dans le Mato Grosso, lors d'une opération de contre-feu ou "brûlage dirigé".

Dans un communiqué en réaction à la vidéo, l'ICMBIO explique que cette technique consiste à "éliminer les matières combustibles sur des petites bandes de terrain par application du feu". En d'autres termes, il s'agit, pour contrôler de violents feux, de brûler tout combustible (végétation séchée, bouts de bois...) en avant de l'incendie pour éviter sa propagation.

"La maîtrise de cette technique nécessite un personnel formé et expérimenté (...) et des conditions météorologiques favorables afin que le feu ne se propage pas et ne déclenche pas un nouveau feu. Toutes ces conditions ont été respectées", poursuit l'ICMBIO dans sa note.

L'institut souligne enfin que la vidéo a été prise par un des brigadistes qui a apporté une "version erronée" de la pratique. Dans l'enregistrement, on peut en effet l'entendre dire notamment : "Regardez les brigadistes, au lieu d'éteindre le feu, ils mettent le feu". Il n'est cependant pas possible d'établir si ces propos sont dits de façon sérieuse ou humoristique.

En juillet, sur sa chaîne YouTube, l'ICMBIO avait déjà publié une vidéo sur le "feu allié", expliquant la technique du "brûlage dirigé". Les spécialistes qui interviennent dans cette vidéo expliquent que la zone où est effectué un brûlage dirigé est analysée avant la mise à feu et que des conditions doivent être respectées. Ils vérifient notamment la direction du vent afin que le feu ne se propage pas en dehors de la zone définie.

Dans un tweet le 15 septembre, le ministère de l'Environnement brésilien confirmait que les brigadistes sur les images étaient bien en train de réaliser un brûlage dirigé.

Une autre version de la vidéo circule sur les réseaux sociaux. L'audio d'origine a été remplacé par le commentaire d'un homme qui dit s'appeler Bruno Cambraia et être analyste au sein de l'ICMBIO. Il assure avoir participé à l'opération de contre-feu en question : "Cette activité a été réalisée le 13 septembre et consistait en un brûlage dirigé, utilisant une zone plus humide comme point d'ancrage".

… des cas de désinformation qui se répètent

Ce cas de désinformation n'est pas isolé. En juin, l'Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA), également dépendant du ministère de l'Environnement, avait dû répondre à une vidéo similaire.

Les images en question, toujours en ligne, ont été vues plus de 18 000 fois depuis le 22 juin. Elles ont été prises depuis une voiture et montrent une route bordée de plusieurs départs de feux. On y voit ensuite un véhicule qui transporte plusieurs agents vêtus de jaune, dont un qui tient à la main un objet qui ressemble à une "torche goutte à goutte" permettant d'allumer des feux. "Regardez notre surprise. Devinez qui met le feu ici ? Ce serait pour renverser le gouvernement Bolsonaro ? (...) C'est le village des Indiens. Maintenant, ceux qui mettent le feu, c'est l'IBAMA", commente la personne qui filme.

 

Capture d'écran le 6 octobre de la vidéo diffusée sur Youtube. 

À la presse, l'IBAMA avait assuré qu'il s'agissait "d'un brûlage dirigé, autorisé par le code forestier et utilisé durant la saison pluvieuse et au début de la saison sèche (juin et juillet) dans les zones où le risque d'incendies est accru". Dans un rapport le 21 juin, l'IBAMA détaillait l'opération réalisée le 20 juin au bord de la route MA-280, "dans un périmètre comprenant le territoire indigène du peuple Krikati".

Wallace Lopes, un agent de l'IBAMA, avait également réagi à la vidéo sur son compte Facebook. "Malheureusement, un manque de connaissances sur la façon de prévenir et de combattre les incendies de forêt a conduit à ce type de fake news (...) Ce que font les membres de la brigade dans la vidéo est une technique mondialement connue appelée Gestion intégrée des incendies (MIF)", écrivait-il le 21 juin.

Les "militants de gauche" et membres d'ONG accusés

Une autre photo, repérée par Aos Fatos le 18 septembre, avait été partagée près de 2 000 fois sur les réseaux sociaux brésiliens pour accuser "les militants de gauche" d'être responsables des feux. Cette image, qui montre un homme mettant le feu à une zone de broussaille, avait ensuite été reprise par d'autres comptes privés.

Le texte qui l'accompagne indique que la "gauche mondiale" est en train de "boycotter" le Brésil : "Paulo Coelho, DiCaprio et autres diffament et incitent à la haine pendant que les ONG et les militants de gauche incendient le Mato Grosso". Cette publication fait ainsi référence à la campagne "Defundbolsonaro.org", lancée au début du mois de septembre par plusieurs ONG et appelant à faire dépendre tout investissement au Brésil d'engagements fermes pour la préservation de l'Amazonie. Plusieurs célébrités y ont adhéré, dont l'acteur américain Leonardo DiCaprio.

 

 

Cette image, avec son texte associé, a été publié par plusieurs comptes privés sur les réseaux sociaux. 

 

La photo utilisée est ancienne : elle apparaît en juin 2014 dans la revue scientifique brésilienne "Ciência Hoje" pour illustrer un article sur l'utilisation du feu, notamment pour la chasse, par le peuple Xavántes dans le Mato Grosso. La source exacte de l'image n'est toutefois pas mentionnée. 

Dans cet article, des scientifiques expliquent que cette tradition culturelle autour des feux "favorise la protection de la végétation et, par conséquent, de la faune" dans la savane du Cerrado brésilien.

La même semaine, le 16 septembre, Aos Fatos avait signalé une autre fausse publication, se composant uniquement d'un texte écrit, assurant que des "Indiens du Pantanal" avaient arrêté des membres d'ONG qui mettaient le feu au Pantanal mi-septembre. Le média a contacté les autorités compétentes, qui ont dit ne pas avoir connaissance d'un événement comme celui-ci.

Pour l'heure, dans le Pantanal, la Police fédérale concentre ses investigations autour de cinq gérants de grandes exploitations agricoles, soupçonnés d'avoir mis le feu à la végétation pour la transformer en zone de pâturage.

Face aux critiques, Jair Bolsonaro dénonce "une campagne de désinformation"

Depuis début 2020, plus de 76 000 foyers d'incendies ont été enregistrés en Amazonie, une augmentation de 13 % par rapport à la même période en 2019. Le Pantanal, vaste zone humide dans le sud-ouest du Brésil, est également touché : cette année, 23 % de cette aire de biodiversité a été brûlée.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Brésil : dans le Pantanal ravagé par le feu, des volontaires au secours des animaux blessés

Dans ce contexte, la politique environnementale de Jair Bolsonaro est à nouveau critiquée, y compris par des investisseurs inquiets de l'avancée de la déforestation et de la recrudescence des incendies en Amazonie. Mais le président brésilien continue de minimiser les feux. Le 22 septembre, lors de son discours à l'Assemblée générale de l'ONU, il a accusé les fermiers indigènes d’en être à l’origine et a dénoncé une "brutale campagne de désinformation" à l'encontre de son pays.

En août 2019, alors que les incendies se multipliaient en Amazonie suscitant l’indignation au Brésil et à l’international, le président brésilien avait déjà insinué que des ONG pourraient avoir provoqué certains des feux pour "attirer l'attention" contre le gouvernement brésilien.

Quelques mois plus tard, en novembre 2019, la police brésilienne avait arrêté quatre brigadistes accusés d'avoir mis le feu à la forêt amazonienne pour pouvoir filmer la scène et obtenir des dons pour des ONG. En août de cette année, la police fédérale a finalement déclaré qu'elle ne disposait d’aucune preuve contre ces brigadistes.