Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la police des frontières saisit des téléphones et arrête des migrants dans un camp humanitaire

Les bénévoles du camp de Byrd près de Arivaca, en Arizona, ont réussi à capturer quelques images du raid de la patrouille frontalière du 31 juillet avant que les agents ne saisissent leurs téléphones portables.
Les bénévoles du camp de Byrd près de Arivaca, en Arizona, ont réussi à capturer quelques images du raid de la patrouille frontalière du 31 juillet avant que les agents ne saisissent leurs téléphones portables.
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Dans la soirée du 31 juillet, des agents de l’unité d’élite de la police des frontières américaines, la Bortac (Border Patrol Tactical Unit), ont attaqué un camp d'aide humanitaire près de la ville d'Arivaca, en Arizona, près de la frontière mexicaine.  Les forces sont arrivées avec un blindé, deux hélicoptères et environ 24 autres véhicules. Plus de 30 migrants ont été arrêtés, et de nombreux travailleurs humanitaires ont été détenus pendant quelques heures avant d’être relâchés. Les agents de la Bortac possédaient un mandat pour confisquer les téléphones portables, empêchant la plupart des volontaires de documenter le raid.

Les agents de la police des frontières (Border patrol) sont d'abord entrés dans le camp de Byrd vers 9 heures, le jeudi 30 juillet et ont arrêté un migrant recevant des soins. Ils ont ensuite mis en place une surveillance 24 heures sur 24 autour du camp avec au moins une douzaine d’agents, ont indiqué les travailleurs humanitaires.

Le camp humanitaire offre des soins médicaux, de l’eau et d’autres ressources aux migrants qui arrivent illégalement aux États-Unis depuis le Mexique. La région est connue comme l'un des passages désertiques les plus dangereux le long de la frontière de 3 145 km qui sépare les deux pays. Dans un communiqué, "No More Deaths", l’ONG confessionnelle qui gère le camp de Byrd, a qualifié la descente des officiers d’ "assaut militaire".

Le Bortac est l’unité d’élite de la police des frontières. C’est cette même unité qui a été déployé récemment dans des villes américaines comme Portland pour réprimer les manifestations de "Black Lives Matter".

"Ils ont confisqué tous les téléphones portables qu’ils pouvaient trouver"

Hannah Taleb, une bénévole de No More Deaths, a raconté le raid policier à la rédaction des Observateurs de France 24.

 

C'était une véritable scène mouvementée parce qu'ils sont venus armés. Et ils ont poursuivi, terrorisé et détenu toutes ces personnes qui recevaient des soins.

Il y avait deux hélicoptères qui tournaient au-dessus de nous. Il y avait des véhicules militaires et un caméraman. Certains de leurs tenues portent l'insigne Bortac. Leurs téléphones portables ont été confisqués. Nous n'avons que quelques images vidéo et photos de l'incident à cause de cela.

Ils ont fouillé tout le camp et l'ont saccagé. Ils ont détruit des tentes et des fournitures médicales. Ils ont coupé l'alimentation électrique de notre forage. Alors que le droit à l’eau est l’une des valeurs principales sur laquelle est fondée notre organisation. C’est surtout important pour les personnes qui traversent la frontière.

Ils ont confisqué tous les téléphones portables qu'ils pouvaient trouver, y compris le téléphone de la Croix-Rouge qui permet aux gens d’appeler leur famille et leurs proches. Ils ont tous emportés.

Avec le climat actuel, la police voulait éviter que leur descente soit documenté en temps réel ou en direct. Cela aurait été mauvais pour eux. Ils ont donc pris un mandat pour confisquer les téléphones portables.

Selon Taleb, les responsables de la Border Patrol, ont déclaré le 4 août aux gens arrêtés que les téléphones portables seront gardés pendant au moins un mois.

Mais bien qu’un caméraman ait suivi les agents de la patrouille frontalière, aucune image du raid n’a été publié. Roy Villareal, le chef de la patrouille frontalière du secteur de Tucson, s’est juste contenté d’un bref communiqué sur Twitter dans lequel il affirme que des agents "ont exécuté un mandat de perquisition fédéral sur le camp de No More Deaths". "Plus de trois douzaines de migrants illégaux ayant franchi la frontière ont été trouvés dans le camp" a-t-il ajouté.

Un peu plus tôt dans un thread sur Twitter, Roy Villareal a expliqué que des agents ont traqué "un groupe de migrants à travers des montagnes reculées dans le désert pendant deux jours" au sud-est d'Arivaca. Puis le service d’urgence médical de la Border Patrol ont envoyé un migrant dans un hôpital pour traitement après l’avoir détenu "en dehors du périmètre du camp" le 30 juillet.

Ce qui n’est pas juste selon les responsables de l’ONG qui affirment que l’arrestation a eu lieu à l’intérieur du camp.

"Lorsque les éléments de la Border Patrol suivent des gens aussi longtemps qu’ils le disent, ils essaient de les épuiser [une technique appelé "chasse et dispersion", NDLR]. C'est pour les empêcher d'accéder aux ressources, surtout en cette période de chaleur. C'est vraiment indigne de leur part de justifier la descente dans notre camp par le fait qu’ils surveillaient ce groupe de migrants depuis longtemps."

 

Représailles

 

La police des frontières n’est pas à son premier fait. Le raid de vendredi est similaire à celui qui a eu lieu au camp de Byrd, le 15 juin 2017. L’ONG No More Deaths a publié le 29 juillet des documents obtenus au nom de la loi sur la liberté de l'information qui révélaient l'implication de la Bortac et du syndicat la Border Patrol Union dans le raid de 2017.

Hannah Taleb explique :

 

Nous avons malheureusement une très longue histoire avec ces descentes. Quelques jours avant le raid [du 31 juillet, NDLR], nous avons publié des courriels qui montraient que la Bortac était également impliqué dans celui de 2017. Je pense que la décision de confisquer les téléphones portables était surtout due à la forte médiatisation que nous avons fait en 2017.

Cette année-là, des bénévoles de l’ONG avait en effet pu publier des photos sur les réseaux sociaux pendant que le raid se déroulait. Dans les publications, ils ont renseigné les coordonnés des Douanes américaines et des services de la protection des frontières en Arizona et demandé aux gens d'appeler et d'exiger la fin de la surveillance. Sans téléphone portable, les volontaires n'ont pas pu le faire cette fois.

 

"La patrouille des frontières s’est toujours acharnée à supprimer les récits de ceux qui sont directement touchés par la crise"

Après le raid, les migrants arrêtés ont été embarqués dans des bus et envoyés dans des cellules de détention. Les volontaires ont été libérés. Mais les risques qu’encourent les migrants arrêtés sont élevés, explique Taleb.

 

Ils ont détenu et arrêté plus de 30 personnes cette nuit-là. Ils ont probablement choisi de ne pas arrêter nos bénévoles parce qu'ils n'aimeraient pas avoir mauvaise presse pour avoir porté atteinte aux travailleurs humanitaires. Les conditions de détention des immigrants peuvent être dangereux pour ces derniers. Nous savons que le Covid-19 est présent dans les centres de détention. Et de très nombreuses personnes sont rapidement expulsées en ce moment.

Les patrouilles à la frontière sont de jour en jour violentes. Nous avons une petite idée des tactiques qu’ils utilisent. lls sont équipés avec des armes et descendent désormais avec un caméraman chargé de prendre des photos.

La Border Patrol a toujours travaillé d'arrache-pied pour supprimer les récits de ceux qui sont directement touchés par la crise. Malheureusement les personnes qui sont impactés par ces opérations contre notre organisation sont les migrants.

Article écrit par Sophie Stuber @sophiestube