ISRAËL

Israël : une vidéo exhumée montre un animateur télé nourrir des enfants bédouins "comme des animaux"

L'animateur télé Roy Oz et sa femme donnent de l'argent et un biscuit à des enfants bédouins du Néguev, dans le sud d'Israël, en étouffant leurs rires. Captures d’écran.
L'animateur télé Roy Oz et sa femme donnent de l'argent et un biscuit à des enfants bédouins du Néguev, dans le sud d'Israël, en étouffant leurs rires. Captures d’écran.
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Une vidéo jugée raciste publiée sur TikTok a suscité la colère de la communauté bédouine en Israël. Filmée en 2015, mais rendue publique pour la première fois le 11 juillet 2020, elle montre Roy Oz, un animateur très populaire d'émissions télé pour enfants, dans sa voiture en train de donner à manger à des enfants bédouins comme à des animaux dans un zoo. Pour notre Observatrice, ces images sont révélatrices du traitement discriminatoire des Bédouins en Israël. 

La vidéo est vieille de cinq ans, mais sa publication samedi 11 juillet sur la plateforme TikTok, par un compte arabophone qui a disparu depuis et dont il n'a pas été possible d'identifier le propriétaire, a rapidement suscité la colère des Bédouins d'Israël pour son caractère jugé raciste. 

Le court extrait d'une cinquantaine de secondes est filmé dans une voiture, dans une plaine désertique. À l'extérieur du véhicule se trouvent deux enfants. 

L'homme qui filme s'adresse à ses propres filles, assises à l'arrière : "Nous allons donner à manger à des Bédouins, qui veut nourrir un Bédouin ?" demande-t-il en dégainant un biscuit. "Tu ne veux pas nourrir le bédouin Areal ?", poursuit-il avant de donner le biscuit à l'un des enfants bédouins. Après quelques rires étouffés, il demande aux enfants bédouins : "Combien vous voulez ? 1 000 shekels (255,87 euros) ?", ce à quoi l'un d'eux répond : "Non ! Juste dix ! Ou même un agora (0,25 centime d'euro)", "Seulement ! C'est peu !" s'exclame l'homme, amusé.

Au vu des nombreuses réactions négatives, l'auteur de la vidéo s'est identifié lui-même sur sa page Facebook officielle le jour de la publication : Roy Oz, connu sous l'alias "Roy Boy", très connu pour ses émissions de vulgarisation pour enfants ayant comme thèmes la nature et les animaux. Il a tourné l'extrait lors d'une balade en famille dans le désert de Néguev, au sud de Jérusalem. La scène a rappelé aux internautes les zoos humains du début du XXe siècle en Europe.

Les deux petits Bédouins de la vidéo sont issus du clan de Arab al-Jahalin, qui vit dans un village du même nom à 5 km de Jérusalem. Ce clan a été déplacé à deux reprises, en 1948 lors de la création de l'État d'Israël, et en 1967 après la Guerre de Six Jours opposant l'armée israélienne et des armées arabes (égyptienne, jordanienne et syriennes) et la défaite de ces dernières.

En 2014, les populations bédouines du Néguev comptaient 317 000 personnes, sur un total de 367 000 citoyens bédouins en Israël.

 

"Nous sommes traités comme des citoyens de troisième zone"

Hind Sanâa vit dans le Néguev et est coordinatrice de Bedouins without Borders, une ONG palestinienne qui plaide pour les droits des Bédouins en Israël et en Cisjordanie.

"Une fois l'émotion – le dégoût et la révolte – passée, je n'ai rien vu de nouveau par rapport à ce qu'on vit quotidiennement dans cette vidéo", commente-t-elle. 

 

Cette voix raciste envers les Bédouins existe depuis toujours. Les gens ne l'entendent simplement pas. Nous ne sommes pas vus sous un spectre humain mais, au mieux, comme des statistiques et des chiffres sur le papier et au pire, comme des bêtes et des animaux qu'il faut reconditionner.

Bien qu'étant Israéliens, nous sommes encore considérés comme des citoyens de troisième zone et comme une "bombe démographique" capable d'éclater à tout moment. C'est une attitude normale venant d'une tranche de la population qui se considère supérieure.

Roy Oz s'est immédiatement excusé sur sa page Facebook, dans une vidéo qu'il a tournée en arabe, le 12 juillet.

"À mes frères bédouins, je tiens à demander pardon et exprimer ma plus profonde désolation (…) J'espère que vous me pardonnerez."

 

"Des populations sont déportées du Néguev vers Gaza ou le Sinaï" 

 

Je n'attaque pas personnellement cet animateur puisqu'il reflète l'attitude de la société israélienne et palestinienne envers les Bédouins. En tant que Bédouine, je suis toujours considérée comme outsider : on est étonné de savoir que je suis éduquée et que j'ai un travail. Les autorités palestiniennes et israéliennes nous ignorent et nous marginalisent, nous ne faisons pas partie de leurs priorités que ce soit dans le Néguev ou en Cisjordanie.

>> À LIRE SUR LES OBSERVATEURS : La disparition de la culture des Bédouins du Néguev est-elle en marche ?

Selon Hind Sanaa, mais aussi des élus arabes de la Knesset, le racisme à l'égard des populations bédouines est systématique en Israël, perpétré autant par leurs compatriotes citadins que par le gouvernement.

Dans cette publication Facebook du 11 juillet, le député Saeed Alkhurmi condamne l'attitude de Roy Oz envers les enfants bédouins : "Ce comportement envers des mineurs est embarrassant, condescendant et raciste par excellence. Les enfants arabes ne sont pas des animaux domestiques conçus pour votre amusement". 

 

La discrimination et le racisme s'illustrent aussi dans les projets d'amélioration des structures éducatives et sanitaires. Ici, les quelques écoles existantes ont été construites après de longues luttes devant les tribunaux israéliens. Dans le Néguev, il y a plus de 60 villages bédouins non reconnus [près de 76 000 Bédouins vivent dans ce que les autorités israéliennes considèrent comme des "villages non reconnus", c'est-à-dire des constructions illégales, NDLR]. De plus, nos maisons sont très régulièrement détruites.

Destruction du village non reconnu de Zarnouk-Abu Queider le 17 juin 2020.

Hind vit au jour le jour, sans se projeter, comme la plupart des Bédouins du Néguev, qui dépendent essentiellement de l'agriculture et du pâturage. Des métiers quasi en extinction, à cause de la politique territoriale des autorités israéliennes :

 

Les villages bédouins existent depuis longtemps, avant 1948, et ce sont des populations qui vivent sur leurs propres terres, mais ne font pas manifestement partie des plans territoriaux de l'État et ne perçoivent que très peu d'aides malgré le taux de chômage élevé [44 % chez les hommes et 76 % chez les femmes, NDLR]. 

>> À LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Du tribunal à l'école, comment les bédouins de Khan al-Ahmar se battent pour sauver leur village

Par contre, nous faisons l'objet des plans de déplacement : actuellement, les autorités réquisitionnent de plus en plus de terres bédouines pour les transformer en zones industrielles militaires ou des champs de tirs fermés au public [En 2010, un plan baptisé Plan Prawer, visant à relocaliser de force 85 000 Bédouins dans des villes créées par l'État, a fait face à un fort rejet des populations concernées. Il a été enfin annulé fin 2013, les pourparlers ayant duré trois ans, NDLR]. 

Les populations autochtones qui n'ont plus de territoires à Néguev sont déportées dans le Sinaï ou à Gaza. Si on fait une balade en voiture à Néguev, comme dans la fameuse vidéo, on voit tout de suite la différence entre les colonies israéliennes et les villages bédouins.

Destruction du village de Bir Al-Hammam, un village non-reconnu de 1500 habitants, le 24 juin

"On nous interdit de mener notre vie naturellement"

Hind Sanaa condamne les élans de solidarité "dans le vent", qui apparaissent à chaque actualité relative aux Bédouins d'Israël : 

 

Toutes ces voix israéliennes qui ne se lèvent que pour crier au scandale pour se taire par la suite, je leur demande : parlez-vous de notre cause autour de vous ? Faites-vous quelque chose pour sensibiliser la société et changer son regard sur les Bédouins ? Leur solidarité ne nous aide pas si elle est vide d'actions concrètes. 

En plus des opérations de destruction de villages bédouins, les occupants des colonies adjacentes aux villages du Néguev envahissent ceux-ci régulièrement. Ici, des colons accompagnés de soldats israéliens attaquent les habitations de Susya le 12 juin.

 

La politique de mon pays prive les Bédouins palestiniens de leur droit de vivre comme ils l'entendent : dans la nature, comme on l'a toujours fait. On doit vivre comme ils veulent qu'on vive, et pas autrement. On nous interdit de mener notre vie naturellement.

Article écrit par Fatma Ben Hamad.