Haïti : un pasteur s’affiche armes à la main avec un gang
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À Port-au-Prince, capitale d’Haïti, un pasteur s’est affiché fin juin auprès d’un gang dans des vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux. Connu sous le nom de "Berger moderne", le pasteur n’en est pas à son premier coup en ligne, et s’avère lié au gang en question assure notre Observateur.
Jean Gonzales Jamison Théodore, mieux connu sous le nom de "Berger moderne" en Haïti, est un pasteur de 34 ans qui fait régulièrement polémique dans le pays. En novembre 2018, la rédaction des Observateurs de France 24 avait repéré une vidéo de ce pasteur, maltraitant un enfant devant ses fidèles : il le tenait par les cheveux et le faisait tournoyer dans tous les sens.
Dans la première vidéo publiée fin juin 2020 et transmise à notre rédaction par notre Observateur Niepce Zéphirin, on voit le pasteur tenant deux fusils à la main, et un troisième accroché sur sa poitrine, ainsi que deux pistolets autour de la taille. Il termine la vidéo en tirant en l’air, tout en criant et en riant.
Dans la seconde vidéo, le pasteur montre sa collection d’armes posées sur un mur derrière lui. Il explique qu’il se trouve à Grande Ravine, un district populaire au sud de Port-au-Prince auprès de Ti Mepri, un chef de gang dans le quartier : " Nous voulons montrer au gens le genre de paix que nous voulons pour le pays. C’est une question de paix entre "Ti Mepri" et les autres gentlemen de Grande Ravine", explique-t-il en référence à d’autres chefs de gang dans la zone.
Il poursuit en affirmant que les habitants d’Haïti sont fatigués de leur qualité de vie : "Ils veulent une meilleure vie, ils veulent un changement pour ce pays, que les gens qui vivent à l’étranger puissent venir et investir pour aider ceux qui ne peuvent pas survivre financièrement".
Dans la troisième vidéo, le pasteur Berger moderne parle avec le chef de gang "Ti Mépri", qui apparaît le visage couvert par une cagoule.
À Port-au-Prince, les manifestations contre la corruption et l’impunité accordée aux gangs durent depuis plusieurs mois. Il existerait près d’une centaine de gangs dans la capitale haïtienne, et nombre d’entre eux bénéficient d’aides financières tantôt des autorités, tantôt de partis d’opposition ou d’individus du secteur privé. Le nombre de crimes a augmenté, notamment depuis octobre 2017, date de la fin de la mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH). Ces deux derniers mois, 54 homicides ont été recensés à Port-au-Prince, dans la majorité des cas liés à des violences commises par des gangs.
Le lien entre le pasteur Berger moderne et un gang haïtien exposé dans ces vidéos a choqué de nombreux haÏtiens selon notre Observateur, Niepce Zéphirin, qui a lui aussi reçu les vidéos :
"Les gens ont été plutôt surpris de sa collaboration avec des bandits. C’est comme s’il faisait ça pour rire. Mais le fait qu’il apparaisse aux côtés de membres de gangs qui sont recherchés par la police le met lui-même en danger. Un mandat d’arrêt a d’ailleurs été émis contre lui par la police judiciaire haïtienne".
Un mandat d’arrêt émis contre le pasteur Berger
Le 7 juillet, la police judiciaire haïtienne a publié un avis de recherche contre le pasteur Berger pour "possession illégale d’armes et association de malfaiteurs".
Deux jours plus tard, le pasteur a publié une nouvelle vidéo de 10 minutes pour réagir à ce mandat d’arrêt où il affirme qu’il a été "envoyé par Dieu pour créer la paix". Avant d’ajouter : "Ce gouvernement n’est bon à rien. Je pense qu’il préfère les gens qui s’auto-détruisent, quand il y a des destructions, des pillages, des kidnappings, des viols dans ce pays. C’est pour ça qu’ils veulent m’arrêter. Je suis prêt quand ils le veulent, parce que je fais le bien, parce que je prêche pour la paix. Je ne suis pas un voleur. Un mandat devrait plutôt être émis contre les voleurs de PetroCaribe, pas pour moi [l’affaire PetroCaribe est un vaste scandale concernant un programme du Venezuela qui livrait du pétrole à Haïti. En 2019, la Cour Superieur des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) a découvert que 1,7 milliards avaient disparus. De lourds soupçons pèsent sur le président Jovenel Moïse notamment, NDLR].
"Il est comme quelqu’un qui veut montrer le bon côté du gang"
L’un de nos Observateurs, qui connaît bien le sujet, a mené l’enquête. Il a requis l’anonymat.
Le pasteur travaille avec les gangs, là il est comme quelqu’un qui veut montrer le bon côté du gang "G9 an fanmi". Mes sources me le confirment. Ces vidéos n’ont rien à voir avec la religion,son comportement n’a rien à voir avec la religion… Regardez comme il pose : on dirait un rappeur. Cette démarche est totalement politique.
Le pasteur dit que ce sont des vidéos pacifiques, qui visent à montrer que les gangs veulent la paix… Mais enfin qui va croire ça, les gangs sont hyper violents, ils démembrent des corps à la machette.
Bien que beaucoup d’Haïtiens soient chrétiens, le vaudou, religion amenée par les esclaves d’Afrique de l'Ouest [du Bénin surtout, NDLR], est aussi très pratiqué, et le mélange des deux est courant. Notre Observateur ajoute :
En général,les gangs pratiquent le vaudou, et les valeurs chrétiennes ne vont pas très bien avec les leurs. Mais le pasteur est un habitué du mélange entre christianisme et vaudou dans son église. Il est parfois difficile de dire si ses rituels sont l’un ou l’autre. Donc il est possible que son statut de pasteur facilite sa connexion avec le les gangs qui sont populaires dans les zones vulnérables où opèrent les gangs et où l’église du pasteur a des fidèles.
Selon notre Observateur, le pasteur est censé comparaître ce lundi 13 juillet devant un tribunal. Il a promis de ramener avec lui beaucoup de monde, y compris un "groupe rara". Le rara est une musique haïtienne jouée avec des instruments généralement utilisé dans les cérémonies vaudous.
S’il y a beaucoup de monde derrière, le juge ne le mettra jamais en détention, pense notre Observateur. En Haïti, il n’est pas rare que les figures publiques, lorsqu’elles sont convoquées par la justice, se rendent au tribunal avec d’importantes foules les soutenant, une technique d'intimidation qui permet souvent d'éviter la condamnation.
Article écrit par Sophie Stuber (@sophiestube)