Au Congo Brazzaville, les gangs des "bébés noirs" se livrent une guerre de quartier à coup de machettes
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Des vidéos publiées fin juin sur les réseaux sociaux montrent des affrontements entre plusieurs groupes de jeunes munis d’armes blanches à Brazzaville. Pour plusieurs internautes, ces bagarres sont l’oeuvre de "bébés noirs", un terme qui désigne les gangs d’adolescents violents qui s’affrontent entre eux et agressent des habitants. Après la diffusion de ces vidéos en ligne, une opération policière a conduit à l’arrestation d’une vingtaine d’entre eux.
Tout comme à Abidjan en Côte d’Ivoire avec les "microbes", Brazzaville est confronté au phénomène de gangs de jeunes délinquants. Dans la capitale congolaise, ils sont désignés sous le terme de "bébés noirs". Le 30 juin, vingt-six d’entre eux âgés de 15 à 20 ans ont été arrêtés par la police congolaise et présentés à la presse. Un coup de filet après la diffusion de plusieurs vidéos sur Facebook montrant des affrontements entre gangs rivaux.
La vidéo montre un affrontement entre gangs rivaux de "bébés noirs" à Brazzaville. Elle a été relayée par plusieurs pages Facebook dont celles de Brazzanews.
L’une d’elles, relayée deux jours plus tard par la page Facebook Brazzanews, se déroule le 26 juin, dans le quartier Moungali au cœur de Brazzaville. Dans la vidéo, on voit une dizaine de jeunes se battre tout près d’un canal d’eau, armés de machettes. Pour plusieurs internautes, il s’agit de gangs de "bébés noirs", régulièrement accusés de faits d’agression, de pillage voire même de meurtre dans la capitale congolaise.
En janvier, l’assassinat d’une jeune lycéenne de 17 ans, égorgée dans une chambre d’hôtel par un membre de ces gangs, avait suscité l’indignation au sein de l’opinion publique.
"Les bébés noirs sont un véritable problème de sécurité publique"
Théodore Balossa, est journaliste pour la chaîne de télévision privée DRTV. Il était sur place lors de la présentation des jeunes délinquants à la direction départementale de la police de Brazzaville.
Les "bébés noirs" participaient aux obsèques d’un des leurs dans le quartier Moungali. Une bagarre a éclaté après qu’un autre gang rival est venu. Il y avait des couteaux et il y a eu plusieurs blessés.
Les vidéos ont été relayées sur les réseaux sociaux. Et la police a mené une traque qui a conduit à l’arrestation de plusieurs d’entre eux.
Les affrontements entre "bébés noirs" sont récurrents à Brazzaville. Ils sont souvent organisés en écurie avec des notions de territoire. Et ils ont des noms de guerre comme "Les Américains", "Bagdad" ou encore "Flame rouge". Les bagarres éclatent entre gangs rivaux quand les uns violent le territoire des autres.
Les gangs sévissent dans les quartiers nord de Brazzaville comme Talangaï, Ouenze ou Massengo. Mais de plus en plus, ils opèrent un peu partout dans la capitale. Et le phénomène s’est même élargi à d’autres villes du pays.
"Les bébés noirs" agressent les populations, ils rançonnent ou créent des embuscades. Cela touche tout le monde. C’est un véritable problème de sécurité publique. Et les pouvoirs publics semblent être impuissants face au fléau.
Selon un document de l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui date de 2017, le phénomène a pris de l’ampleur en 2014, juste après une opération policière nommée "Mbata ya bakolo" qui a permis d’expulser du Congo Brazzaville des ressortissants sans papiers de la RD Congo voisine, de même que des groupes de délinquants, aussi originaires de RDC et appelés "kulunas". Ces derniers se repliaient régulièrement depuis Kinshasa à Brazzaville, de l’autre côté du fleuve Congo qui sépare les deux pays, pour échapper à la police kinoise. Au Congo Brazzaville, les "kulunas" ont reconstitué des réseaux de banditisme locaux, qui ont pris le relai après leur départ.
"La crise économique a favorisé le développement du phénomène"
Pour Georges Nguila, directeur d’antenne de l’Observatoire des droits de l’homme du Congo à Pointe-Noire, la deuxième ville du pays confrontée aussi "bébés noirs", le début du phénomène remonte à 2008.
Ce phénomène de criminalité juvénile s’est développé dans les quartiers périphériques des grandes villes, où sont installés les exclus de la croissance économique et du boom pétrolier qu’a connus le Congo en 2010.
En 2008, la crise économique et aussi l’inégale répartition des richesses ont favorisé le chômage et entraîné la marginalisation de ces jeunes. Dès lors, on a commencé par observer des scènes de pillage et de violences orchestrés par des jeunes armés de machettes, et d’armes blanches pour faire du mal aux gens qui possèdent des biens qu’ils peuvent ravir. Ils sont essentiellement guidés par un esprit de survie. Ils opèrent à la tombée de la nuit, le plus souvent en groupe, aux abords des marchés.
Il y a un amalgame qui est souvent fait sur leur tranche d’âge. "Les bébés noirs" ont entre 18 ans et 30 ans. Mais il ne faut pas les confondre avec des enfants des rues violents, âgés entre 12 et 15 ans, et qui n’ont plus de cellule familiale. Toujours est-il qu’ils choisissent de s’exprimer par la violence pour exister, parce qu’ils ont été marginalisés.
En mai 2017, les autorités congolaises ont lancé une vaste opération policière pour lutter contre le phénomène. Mais trois ans après, ces jeunes adolescents continuent de dicter leur loi dans les rues de Brazzaville.
Pour Georges Nguila, l’État peine à lutter contre le fléau parce que ses méthodes sont brutales. "L’État réprime. Mais la répression ne suffira pas. L’arsenal juridique n’est même pas approprié pour contrer ce phénomène social. Le code pénal date de 1945 et n’a jamais été révisé. Il punit juste le vagabondage et la mendicité. Or, les lois doivent évoluer avec la société. Il n’y a jamais eu d’études sociales pour comprendre le phénomène. Ce sont les politiques d’exclusion de l’État qui ont favorisé le phénomène. Il faut que les jeunes retrouvent du travail. Il faut de l’aide sociale. Mais malheureusement l’Etat n’est pas en mesure d’apporter une assistance aux populations pauvres et vulnérables. Tant que les richesses ne seront pas mieux partagées et sans politique inclusive, le phénomène ne pourra pas être endigué".
Article écrit par Hermann Boko (@HermannBoko)