Heurts dans une zone minière en Colombie, sur fond de rivalité pour le contrôle de l’or
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Des affrontements entre les forces de l’ordre et la population se sont produits à Mina Walter, une zone aurifère située dans le nord de la Colombie, le 24 juin. Les habitants accusent une entreprise minière locale d’avoir demandé à la police d’intervenir, afin de les contraindre à quitter la zone. En effet, la majorité d’entre eux se consacrent à l’extraction minière artisanale, faisant ainsi "concurrence" à l’entreprise. Cela fait plus de dix ans que l’exploitation de l’or génère des tensions dans cette zone.
MISE À JOUR (28 juillet 2020) : ajout de la réponse de la police colombienne, à la fin de l’article.
Mina Walter fait partie de la municipalité de Montecristo, située dans le département de Bolívar. L’exploitation de l’or dans la zone remonte à l’époque de la conquête espagnole, selon le cabinet d’avocats "Rua y Sanchez Associés", qui connaît bien le contexte local. Mais elle a connu un boom au début des années 2000, après la découverte d’un important gisement par le propriétaire d’une ferme.
Actuellement, plus de 2 000 personnes vivent à Mina Walter, se consacrant pour la plupart à l’extraction artisanale du précieux métal. Parmi eux, des Afro-descendants ou encore des victimes du conflit armé.
Le 24 juin, les forces de l’ordre ont utilisé du gaz lacrymogène et frappé plusieurs personnes dans cette localité, comme le montrent plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
#ALERTA Pesé a la fuerte represión de la fuerza pública, las comunidades mantienen la opción de hablar con los entes presentes para evitar cualquier confrontación. Es necesario que la @alcaldiamontecr @PoliciaColombia, las comunidades y las organizaciones sociales dialoguemos. pic.twitter.com/qlJHQWjv9H
AHERAMIGUA (@AHERAMIGUA) June 25, 2020
Dans cette vidéo, on voit des policiers de l’escadron mobile anti-émeutes (ESMAD) tirer du gaz lacrymogène, et des personnes se réfugier à l’intérieur d’une maison.
#ATENCION #DDHH En la mañana de hoy las comunidades de Mina Walter están siendo atacadas por el SMAD. Líderesa de la asociación @AHERAMIGUA fue retenida junto con sus escoltas quienes fueron despojados de sus armas y chalecos y fueron golpeados. @PrensaRural @CIDH @MinInterior pic.twitter.com/XEXbeqEMWd
AHERAMIGUA (@AHERAMIGUA) June 24, 2020
Dans cette autre vidéo, les forces de l’ordre ne sont pas visibles, mais on entend des détonations, suivies de cris, puis on voit des hommes et des femmes courir, ainsi que de la fumée (vidéo semblable ici).
"Du gaz lacrymogène a été tiré, alors qu’il y avait des femmes enceintes, des bébés et des personnes âgées"
Catalina (pseudonyme) a assisté aux violences du 24 juin.
Les premiers policiers de l’escadron mobile anti-émeutes (ESMAD) sont arrivés dans la zone le 23 juin, ce qui a préoccupé la communauté locale. Puis d’autres policiers sont arrivés le lendemain. Ils ont expliqué qu’ils allaient prélever de l’eau dans la rivière, pour qu’elle soit testée, et qu’ils étaient également là pour éradiquer les cultures illicites, alors que personne ne vit de ça dans la zone...
Nous leur avons dit qu’il fallait attendre l’arrivée des "Personeros" [entités publiques chargées de défendre les droits de l’Homme, NDLR] de Montecristo et Santa Rosa del Sur [autre municipalité voisine, NDLR] avant de faire quoi que ce soit, pour que les droits de la communauté soient garantis. Les policiers ont alors accepté.
Mais en début d’après-midi, environ 30 autres policiers sont arrivés. Ils ont voulu entrer de force à l’endroit où se trouve un poste de contrôle sanitaire, mis en place pour lutter contre le Covid- : les gens s’y sont opposés, et les affrontements ont commencé. Du gaz lacrymogène a été tiré, alors qu’il y avait des femmes enceintes, des bébés et des personnes âgées. Les gens se sont mis à courir, plusieurs personnes ont été frappées… Ça a été le chaos. Au final, la situation s’est calmée vers 16 h, quand les "Personeros" sont arrivés.
Dans cette vidéo, on voit des gens courir, du gaz, et on entend des détonations à la fin. La personne qui filme dit notamment : "Il y a des gens qui courent avec des enfants. [...] Ils délogent des gens qui veulent simplement gagner leur vie. Ils tirent du gaz au niveau de l’école. [...]."
À la suite de ces violences, plusieurs dizaines de familles de Mina Walter sont allées se réfugier à Santa Rosa del Sur. Par ailleurs, un "campement humanitaire" a été installé par les mineurs à Mina Walter pour protester contre les violences policières et réclamer l’instauration d’un dialogue. Selon les habitants, de nombreux policiers sont encore présents dans la zone.
#ALERTA Desplazamiento forzado de las comunidades de Mina Walter por parte de la fuerte represión que el SMAD ejerce en el territorio. @PBIColombia @IAP_Colombia @CIDH @ONUHumanRights pic.twitter.com/hfXC2PLSne
AHERAMIGUA (@AHERAMIGUA) June 24, 2020
Des familles déplacées à Santa Rosa del Sur, une municipalité voisine.
#ATENCION #DDHH hoy la población de Mina Walter se estableció como zona de Refugio Humanitario en un intento porque la fuerza pública no arremeta de nuevo contra ellos. @PGN_COL @IAP_Colombia @PBIColombia @PrensaRural @Contagioradio1 pic.twitter.com/DGZ2qHYW26
AHERAMIGUA (@AHERAMIGUA) June 30, 2020
Installation d’un "campement humanitaire" à Mina Walter.
Pourquoi les forces de l’ordre sont-elles intervenues ?
Les raisons officielles de l’intervention des forces de l’ordre restent floues. Selon Catalina (pseudonyme), la police a déclaré qu’elle allait prélever de l’eau dans la rivière, pour savoir si elle était polluée en raison des activités minières, tout en évoquant l’éradication de cultures illicites. Interrogé par notre rédaction, Diego Armando Benitez Duarte, le "Personero" de Montecristo, a indiqué : "La police a dit qu’elle venait dans la zone car des groupes armés illégaux y sont présents. Elle a également dit qu’elle allait mettre en place des postes de contrôle pour empêcher l’arrivée des produits nécessaires aux activités minières des habitants… Cela n’a pas été très clair."
Mais pour les habitants de Mina Walter, il ne fait aucun doute que la police est intervenue à la demande de l’entreprise minière locale CoopCaribona afin de les expulser du territoire, pour qu’elle soit la seule à exploiter le sous-sol.
D’après Catalina (pseudonyme), des policiers ont ainsi été vus à bord d’un véhicule de l’entreprise le 23 juin. De plus, selon l’AHERAMIGUA, une association qui accompagne la communauté de Mina Walter depuis plusieurs années, l’une de ses membres a été retenue dans les locaux de CoopCaribona par la police, durant une heure (après avoir été violemment frappée par un policier, comme le montre la vidéo ci-dessous). Diego Armando Benitez Duarte a d’ailleurs confirmé que des policiers s’étaient installés dans les locaux de l’entreprise le jour de l’intervention.
#ALERTA #ULTIMOMINUTO momentos en que Kelly de Aheramigua es agredida junto con sus escoltas y amenazados don judicializar por intentar defender las comunidades el día 24 en Mina Walter. @ONUHumanRights @IAP_Colombia @PBIColombia @PGN_COL @UNPColombia @PrensaRural pic.twitter.com/u5fganJ890
AHERAMIGUA (@AHERAMIGUA) June 26, 2020
Dans cette vidéo, tournée par une membre de l’AHERAMIGUA, on l’entend dire aux policiers qu’ils sont censés attendre l’arrivée des "Personeros". Puis le ton monte, et un policier la frappe violemment. La vidéo s’arrête alors brusquement.
Un conflit ancien entre la population locale et l’entreprise minière CoopCaribona
CoopCaribona est une coopérative colombienne créée à la fin des années 2000. En 2008, elle a obtenu un "contrat de concession minière", lui permettant d’exploiter les ressources minières dans la zone durant 30 ans.
C’est à ce moment-là que les tensions ont commencé avec les habitants, puisque ces derniers avaient déjà commencé à exploiter le sous-sol avant la création de l’entreprise. "Cela fait une douzaine d’années qu’il y a une ‘guerre économique’ entre CoopCaribona et la population locale", indique Diego Armando Benitez Duarte.
Plusieurs opérations visant à les expulser s’étaient d’ailleurs déjà produites au cours des dernières années, mais moins violentes que celle du 24 juin.
Une décision du Conseil d’État donne raison aux mineurs artisanaux
Théoriquement, les mineurs artisanaux n’auraient pas dû continuer à exploiter le sous-sol après 2008 - bien qu'ils aient tenté de faire reconnaître leurs activités à plusieurs reprises - puisque CoopCaribona était la seule à y être autorisée formellement.
Cependant, le 8 août 2019, le Conseil d’État - qui fait office de tribunal suprême concernant les contentieux administratifs - a rendu une décision donnant raison aux mineurs artisanaux, à la suite de plusieurs années de bataille juridique entre ces derniers et l’entreprise.
Le Conseil d’État a ainsi déclaré que la population locale aurait dû être consultée avant que le "contrat de concession minière" ne soit accordé à CoopCaribona en 2008, afin que ses droits soient respectés (droit au travail, etc.). Il a indiqué qu’elle devait donc être consultée concernant l'attribution du "contrat de concession minière" dans cette zone, et que le contrat de CoopCaribona devait être annulé. Enfin, il a indiqué qu’il fallait suspendre toute opération d’expulsion des habitants et laisser travailler ces derniers, tant que la consultation n’avait pas été organisée. Problème : l’État n’a jamais organisé de consultation depuis cette date.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, William Castaño Ramos, commandant de l’Unité nationale contre l’exploitation minière illégale et de l’anti-terrorisme, a indiqué que la police devait agir pour lutter "contre les activités minières illégales", et qu'elle avait utilisé du gaz lacrymogène à Mina Walter afin de "débloquer les voies publiques", pour pouvoir passer. Il n’a pas confirmé que c’était l’entreprise CoopCaribona qui avait sollicité leur intervention, mais il a indiqué : "Les entreprises minières demandent souvent à la police d’intervenir pour contrôler les activités des éléments perturbateurs dans les zones qu’elles exploitent."
Nous avons également contacté CoopCaribona, mais nous n’avons pas obtenu de réponse à nos questions. Nous la publierons si elle nous parvient.