VENEZUELA - AMÉRIQUE LATINE

La difficile gestion des Vénézuéliens de retour dans leur pays, à cause de la pandémie de Covid-19

À gauche : le terminal de bus de San Antonio del Táchira (photo : Yurkys Rosario). À droite : le centre de vacances "Los Caracas" (photo : Neo Mendoza). Ces endroits accueillent les Vénézuéliens fraichement rentrés au pays, en pleine pandémie de Covid-19.
À gauche : le terminal de bus de San Antonio del Táchira (photo : Yurkys Rosario). À droite : le centre de vacances "Los Caracas" (photo : Neo Mendoza). Ces endroits accueillent les Vénézuéliens fraichement rentrés au pays, en pleine pandémie de Covid-19.
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La plupart des pays latino-américains ont mis en place des mesures de confinement en mars, pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Des dizaines de milliers de Vénézuéliens - qui s’étaient exilés en Colombie, au Pérou ou encore en Équateur - se sont retrouvés sans travail et ont alors décidé de rentrer dans leur pays d’origine. Deux d’entre eux racontent leur arrivée au Venezuela, où la prise en charge des “revenants” est à la fois critiquée et saluée.

La plupart des Vénézuéliens ayant pris le chemin du retour l’ont fait après avoir perdu leur travail, en raison des mesures de confinement. Privés de revenus, beaucoup se sont retrouvés dans l’incapacité de payer leur loyer ou leurs factures, et certains ont été expulsés de leur logement.

Pour aller jusqu’à la frontière vénézuélienne, certains ont marché et fait du stop, tandis que d’autres ont pu bénéficier de trajets en bus gratuits, mis en place par certaines municipalités en Colombie. Quelques-uns ont également pu rentrer en avion, grâce au programme “Retour à la patrie” du gouvernement vénézuélien.

Dans un premier article publié le 22 mai, trois Vénézuéliens nous ont raconté pourquoi ils avait décidé de rentrer, ainsi que leur voyage de retour.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : À pied ou en bus, le long retour au pays des expatriés vénézuéliens, en pleine pandémie de Covid-19

Actuellement, le Venezuela limite l’entrée sur son territoire à 300 à 400 personnes chaque jour, par voie terrestre. C’est pourquoi les autorités colombiennes n’envoient qu’un nombre limité de bus en direction du Venezuela.

Une fois la frontière traversée, les Vénézuéliens doivent théoriquement être testés - pour savoir s’ils ont le Covid-19 ou non - et être soumis à une quarantaine. Selon la vice-présidente du pays, 220 d’entre eux ont été testés positifs depuis deux mois. De plus, des bus et des avions sont affrétés par les autorités vénézuéliennes pour reconduire les “revenants” jusqu’à chez eux, une fois la frontière franchie.

Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, Jozef Merkx, le représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Colombie, s’est dit “préoccupé” par ces déplacements de personnes sur le plan sanitaire, du fait de la pandémie.

Des trois Vénézuéliens avec lesquels notre rédaction s’est entretenue, l’un, Eduardo Azuaje, est toujours bloqué à Medellín, en Colombie. En revanche, les deux autres, Yurkys Rosario et Neo Mendoza, sont parvenus à rentrer au Venezuela : ils racontent comment s’est passée leur arrivée.

 

"J’ai dû dormir sur le sol, dans le terminal de bus de San Antonio del Táchira"

La première, Yurkys Rosario, vivait à Cali, en Colombie, avant la pandémie. À la mi-avril, elle a pu voyager gratuitement en bus jusqu’à Cúcuta, une ville située à la frontière vénézuélienne, où elle a franchi le pont international Simón Bolívar :

 

Une fois arrivés côté vénézuélien, nous avons été contrôlés par la police. Puis on nous a pris la température et nous avons fait un test rapide de dépistage du coronavirus, à partir d’une goutte de sang. 

Vers 22 h, un car nous a conduits au terminal de bus San Antonio del Táchira [à 2 km du pont Simón Bolívar, NDLR], où nous étions censés attendre avant d’aller dans un centre, pour être mis en quarantaine. Mais j’ai finalement passé quatre jours sur place. Ça a été horrible : j’ai dû dormir sur le sol, et je n’ai réussi à avoir un matelas qu’au bout de trois jours. Pour aller aux toilettes ou se doucher, il fallait faire la queue pendant une heure, parfois jusqu’à trois heures, car nous étions très nombreux, aux alentours de 2 000. Du coup, beaucoup de gens allaient se soulager autour du terminal. En plus, la nourriture était mauvaise et insuffisante. Sans compter qu’il n’y avait aucune mesure de prévention contre le Covid-19.

Le terminal de San Antonio del Táchira, où Yurkys Rosario a passé quatre jours après avoir traversé la frontière vénézuélienne.

 

 

Ensuite, un bus nous a transférés dans une école où il y avait des militaires, à Rubio [à 30 km environ de San Antonio del Táchira, NDLR]. Là-bas, il y avait 20 à 30 personnes par pièce, la nourriture était mauvaise, les WC souvent bouchés… Il y a eu des vols, donc nous nous sommes plaints. Au bout de cinq jours, des bus sont donc venus nous chercher, car il était impossible d’être en quarantaine à cet endroit.

Le centre où Yurkys Rosario a dû rester cinq jours, à Rubio.

 

Le centre où Yurkys Rosario a dû rester cinq jours, à Rubio.

 

Avant de quitter Rubio, nous avons refait un test de dépistage. Puis nous avons voyagé en bus durant plus de 24 h, sans eau, presque sans nourriture… Pour uriner, nous étions contraints d’utiliser des bouteilles de 2 litres car les WC du bus étaient fermés, et il ne faisait aucune pause. Pourtant, il y avait plein de femmes, et moi, j’avais mes règles !

Finalement, nous sommes arrivés à un hôtel de Puerto La Cruz, dans l'État d'Anzoátegui [à 1 100 km environ de Rubio, NDLR], où j’ai passé dix jours en quarantaine. Puis un bus m’a ramenée jusqu’à chez moi, dans la même ville, début mai.

 

L’hôtel de Puerto la Cruz où Yurkys Rosario a passé dix jours en quarantaine.

 

Interrogé par notre rédaction, Javier Tarazona, de Redes, une fondation de défense des droits de l’Homme vénézuélienne, a également indiqué qu’il y avait des défaillances dans l’accueil des Vénézuéliens rentrés au pays : “Certains sont transférés dans des centres où il n’y a pas toujours d’eau potable, d’électricité, de matelas, ou de sanitaires, et où il n’est pas possible de respecter les mesures de distanciation sociale.” Dans un communiqué publié le 16 mai, la Commission interaméricaine des droits de l'Homme a indiqué avoir reçu des informations semblables.

 

"On nous a conduits dans un centre de vacances pour passer la quarantaine"

Pourtant, plusieurs Vénézuéliens ont également confié à notre rédaction avoir été bien accueillis à leur arrivée dans leur pays d’origine, à l’image de Neo Mendoza. Avant la pandémie, ce dernier vivait à Lima, au Pérou. Il est arrivé jusqu’au nord de l’Équateur en marchant et en faisant du stop, et il a ensuite pu prendre un avion, dans le cadre du programme “Retour à la patrie”, le 9 mai.

 

Après avoir décollé de Quito [capitale de l’Équateur, NDLR], nous sommes arrivés à l’aéroport de Maiquetía, dans l'État de La Guaira. Trois bus nous ont alors cherchés pour nous amener au centre de vacances “Los Caracas”, dans l’État de Vargas [à 80 km environ de l’aéroport de Maiquetía, NDLR]. Un autre groupe, arrivé cinq jours plus tôt, se trouvait déjà là, en quarantaine. Nous, nous étions 86. Nous avons été testés à nouveau, pour vérifier que nous n’avions pas le Covid-19.

Tout s’est bien passé, et au bout d’une semaine environ, à la mi-mai, un bus m’a ramené à Caracas. Il m’a laissé à 2 km de chez moi.

 

 

Des activités pour les enfants en quarantaine dans le centre de vacances “Los Caracas”.

 

Photo prise lors du dernier jour de Neo Mendoza au centre de vacances “Los Caracas”.

Le trajet de nos trois Observateurs, Yurkys Rosario, Eduardo Azuaje et Neo Mendoza. En rouge : trajets réalisés à pied ou en stop. En vert : trajets réalisés en bus. En bleu : trajet réalisé en avion.

Reste à savoir si les dizaines de milliers de Vénézuéliens rentrés chez eux resteront sur place, une fois la situation “normalisée” par rapport à la pandémie. Si Neo Mendoza ne compte plus retourner au Pérou, Eduardo Azuaje et Yurkys Rosario envisagent déjà de repartir en Colombie. “Ici au Venezuela, la situation économique est catastrophique, je ne pensais pas que ça serait aussi terrible”, confie cette dernière.

De fait, comme l’a récemment rappelé l’ONU, le pays est durement affecté par les sanctions américaines, une hyperinflation galopante et un taux de chômage qui grimpe en flèche, auxquels s’ajoutent des pénuries alimentaires, des coupures d’électricité et d’eau régulières, ainsi que des pénuries de médicaments et d’équipements médicaux.

Article écrit par Chloé Lauvergnier (@clauvergnier).