Croatie

Croatie : Des migrants marqués de croix à la peinture par la police

Photos de migrants aspergés de peintures, envoyées par des sources anonymes à l’ONG "No Name Kitchen". Leurs visages ont été floutés pour préserver leur anonymat.
Photos de migrants aspergés de peintures, envoyées par des sources anonymes à l’ONG "No Name Kitchen". Leurs visages ont été floutés pour préserver leur anonymat.
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Des ONG qui surveillent les violences contre les migrants sur la route des Balkans ont accusé la police croate d’avoir marqué des migrants avec de la peinture. Début mai, l’organisation No Name Kitchen a publié des photos d’hommes avec de la peinture orange sur la tête. Elle a accusé les autorités croates de les avoir "marqués comme du bétail".

L’ONG No Name Kitchen est basée à Velika Kladusa, une ville en Bosnie-Herzégovine à la frontière de la Croatie, et à Sid, une ville serbe également située à la frontière croate. L’organisation travaille avec des bénévoles pour aider les migrants sur la route des Balkans à rejoindre l’Europe centrale. 

Dans une publication datant du 6 mai sur Facebook, "No Name Kitchen" a affirmé que la police des frontières croate avait volé de l’argent et des portables à un groupe de migrants, avant de les asperger de peinture et de les renvoyer dans la localité de Poljana, en Bosnie-Herzégovine. L’ONG a précisé qu’un incident similaire avait déjà eu lieu plusieurs jours auparavant, le 2 mai. Un groupe d’hommes avait alors été renvoyé vers Glinica, un village de Bosnie-Herzégovine, à la frontière avec la Croatie.  

Un homme ayant été aspergé de peinture le 2 mai. Son visage a été flouté pour protéger son anonymat. Toutes les photos ont été prises par des sources anonymes de l’ONG “No Name Kitchen”. 

Un groupe d’hommes sur lesquels on a pulvérisé de la peinture lors de l’incident du 6 mai. Leurs visages ont été floutés pour protéger leur anonymat. 

 

Le 13 mai, le ministre croate de l’Intérieur a publié une réponse à ces accusations après que le journal britannique "The Guardian" a publié un article sur l’incident. Il a qualifié ces accusations de "complètement absurdes" et accusé les journalistes du Guardian d’orchestrer une "attaque préméditée contre la République de Croatie". 

La rédaction des Observateurs de France 24 a interrogé Jack Sapoch, le coordinateur des rapports de "No Name Kitchen" sur les violences à la frontière. 

"Ces hommes ont été aspergés de peinture, on leur a volé leur argent et leurs chaussures"

Nous avons entendu pour la première fois parler de ces marquages à la peinture début mai. Nous avons tout un réseau de contacts qui vivent dans des villages à la frontière, qui sont sensibles à la détresse des migrants et qui relaient des informations pour nous. 

Un habitant d’un de ces villages frontaliers a rencontré un groupe de migrants près de sa maison et il nous a alertés. Plusieurs jours plus tard, nous avons reçu des photos [d’hommes dont les têtes étaient peintes, NDLR] d’un autre de nos contacts. Il nous a expliqué que ces hommes avaient été aspergés de peinture de force par des officiers de police croate et qu’on leur avait volé leur argent et leurs chaussures.

Un des hommes impliqués dans l’incident du 2 mai, avec de la peinture orange sur ses vêtements.

“C’est dégradant et humiliant” 

 

 

C’est la première fois qu’on voit de la peinture aérosol être utilisée. C’est surprenant. Ça n’a pas de sens, ça attire l’attention sur ce qu’il se passe ici. Quand la police casse le téléphone de quelqu’un ou prend ses chaussures, c’est cruel, mais c’est aussi logique dans un sens : ça les dissuade d’essayer à nouveau de traverser la frontière le même jour. Mais la peinture aérosol, c’est étrange. Peut-être qu’ils le font parce que ça aide à identifier les migrants. C’est humiliant et dégradant de faire ça à quelqu’un. 

Un homme qui a été aspergé de peinture le 6 mai. Son visage a été flouté pour protéger son anonymat. 

 

C’est affligeant de voir la police abuser de son autorité et de voir que le gouvernement croate l’ignore volontairement. Nous continuons à recevoir des preuves que, même maintenant, le niveau d’agression de la part des officiers de police croates sur des migrants reste très élevé.

Les deux photos ont été prises le 7 mai. Les visages ont été floutés pour des raisons de protection de l’anonymat.

 

La police de Croatie a des antécédents de violence à l’égard des réfugiés qui essaient d’entrer dans le pays. La rédaction des Observateurs de France 24 a parlé à Karim Abdmeziane, un réfugié algérien de 36 ans qui a traversé la frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie en 2018. Il a été violemment repoussé en Bosnie par la police croate à trois reprises, avant d’atteindre enfin la Slovénie. 

 

"C'est comme si on était en guerre"

La première fois que j’ai tenté de traverser, ils ont volé mon portable. J’avais marché quatre jours dans la neige et la pluie. La seconde fois, ils ont volé tout ce que j’avais et m’ont repoussé. La troisième fois, ils ont pris mon portable et tout mon argent – plus de 1 000 euros – et ils m’ont frappé avec un câble électrique. La police croate ne s’intéresse qu’à l’argent. Parfois, il faut les payer pour qu’ils nous laissent partir. Mais ils volent tout, de toute façon. La troisième fois, ils m’ont frappé très fort et m’ont poussé tout le long du chemin retour vers la frontière. Vous marchez des jours dans la pluie et la boue, vous n’avez rien à manger, vous vous cachez dans la forêt et vous êtes battus. C’est comme si on était en guerre.

Voici les blessures infligées à Karim Abdmeziane par la police croate alors qu’il tentait de traverser la frontière croate en 2018. Il a envoyé cette photo à la rédaction des Observateurs de France 24.

En juillet 2019, l’organisation Human Right Watch a appelé l’Union européenne à arrêter les refoulements illégaux des migrants par la Croatie vers les pays voisins. Un rapport de Border Violence Monitoring Network (Réseau de surveillance des violences aux frontières) affirme que "les refoulements illégaux de la Croatie ne se sont pas arrêtés, malgré la fermeture des frontières" pendant la pandémie de Covid-19.

Article écrit par Catherine Bennett