Covid-19 en Équateur : "On nous a dit d’attendre 10 jours avant que le cadavre soit retiré"
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Depuis fin mars, de nombreuses vidéos montrant des cadavres et des cercueils dans les rues, chez les gens, ou encore dans les hôpitaux, ont été tournées à Guayaquil, la ville la plus durement touchée par la pandémie de Covid-19 en Équateur. Publiées sur les réseaux sociaux, ces images ont choqué le monde entier. Des habitants témoignent.
Après le Brésil, l’Équateur est le pays d’Amérique latine qui compte le plus grand nombre de décès liés au coronavirus Covid-19 : 272 selon les derniers chiffres officiels, dans un pays où vivent 17 millions d’habitants. Mais le président Lenín Moreno lui-même a déclaré que le nombre de morts était beaucoup plus élevé.
Rien qu’à Guayaquil, la ville la plus peuplée du pays, le ministre de la Santé a indiqué qu’il y avait eu 150 morts par jour dernièrement, contre 35 en moyenne auparavant, bien qu’il soit impossible de connaître la part exacte des décès directement liés au Covid-19, puisqu’aucun test ou presque n’est réalisé. Un médecin de Guayaquil a cependant indiqué à la rédaction des Observateurs de France 24 que la plupart des patients décédés souffraient de problèmes respiratoires.
"Près de chez moi, un cadavre est resté dans la rue plusieurs jours avant d’être retiré"
David Alonso Roque habite dans le centre de Guayaquil. Il a récemment vu deux cadavres dans la rue, près de chez lui.
Fin mars, mon frère m’a indiqué qu’il y avait un corps non loin de sa maison. Je me suis alors rendu sur place, et j’ai vu qu’il y avait déjà des cordons de sécurité autour. Selon mon frère, il a finalement été retiré 24h plus tard.
Esto sucede en guayaquil hoy 30 de marzo 2020 sector parque forestal desde las 10am está esta persona allí sin que sea retirado el cuerpo de la calle pic.twitter.com/rVbWODp7L3
Davidjr 100%orense (@jralroq22) March 30, 2020
Vidéo tournée par David Alonso Roque, montrant un corps dans une rue de Guayaquil, fin mars. Géolocalisation ici.
De même, vendredi 3 avril, quand j’ai sorti les poubelles de chez moi, j’ai vu un homme au sol, devant un centre de santé fermé. Il respirait encore, donc j’ai appelé le 911 [numéro d’urgence, NDLR], mais personne n’a répondu.
Quelqu’un m’a dit qu’il était là depuis la veille. Le samedi, je suis ressorti pour faire des courses, et j’ai vu qu’il avait été recouvert avec une couverture. Donc je suppose qu’il est mort le vendredi soir… Enfin, le lundi, j’ai vu que le corps avait été retiré.
Miserables @mariapaularomo @Lenin @ottosonnenh escogen “quien viene quien no” por sanidad recojan este ser humano no es u animal gye machala y Camilo destruge miserables !! El de arriba los condenará pic.twitter.com/bdF6X7DE9i
Davidjr 100%orense (@jralroq22) April 4, 2020
Vidéo tournée par David Alonso Roque, montrant un corps dans une rue de Guayaquil, le 4 avril. Géolocalisation ici.
Le fait de voir cet homme mort, à quelques mètres de chez moi, m’a vraiment fait peur. Je me suis mis à sa place, sans compter que cela m’inquiète de voir que personne ne répond quand on appelle le 911. Désormais, je compte sortir encore moins qu’avant [une quarantaine et un couvre-feu de 15h par jour ont été instaurés dans le pays, NDLR]. Ici, si on ne fait pas attention et qu’on est infecté par le virus, on peut mourir très facilement.
Depuis fin mars, de nombreux cadavres ont ainsi été abandonnés dans les rues de Guayaquil, parfois durant plusieurs jours, comme le montrent également d’autres vidéos.
Acá la realidad del que vive #Guayaquil HORA Y FECHA pic.twitter.com/UGou63mN35
Michel (@Michelphoto_) April 3, 2020
L’auteur de cette vidéo donne la date, vendredi 3 avril, et assure que le corps recouvert d’un tissu blanc se trouve là depuis 48 heures. Géolocalisation ici.
Ecuador. Guayaquil. 4 de Abril de 2020. “ han dejado un muerto en la calle, con mueble y todo”, relata el ciudadano que graba el video. pic.twitter.com/9W2XfUKTzT
Patricia Villegas Marin (@pvillegas_tlSUR) April 4, 2020
Un autre corps, abandonné sur un banc, en pleine rue. Géolocalisation ici.
Cette situation est due au fait que les services funéraires ont rapidement été débordés par le nombre anormalement élevé de décès dans la ville. De plus, leur travail a été ralenti en raison du couvre-feu, et certains opérateurs ont eu peur d’être contaminés en allant récupérer les corps.
Par conséquent, les services funéraires ne sont pas allés récupérer l’intégralité des corps des personnes décédées. Certaines familles ont alors décidé de sortir les cadavres dans la rue, ne supportant plus l’odeur des corps en décomposition.
Des vidéos montrant des cadavres être brûlés en pleine rue ont d’ailleurs également été diffusées sur les réseaux sociaux.
En #Guayaquil queman un ataúd en plena calle de un fallecido, cuyo cuerpo ya había sido retirado por las autoridades, sin embargo la familia quemó el féretro en la vía pública. Ocurrió el martes 31 de Marzo en las Calles Tulcán y Domingo Savio de #Guayaquil. ⬇️ pic.twitter.com/pBuzmJWfK6
EcuadorPlay (@EcuadorPlay) April 1, 2020
"Ils sont en train de brûler un mort", affirme l’auteur de cette vidéo. Bien que nous n’ayons pas pu vérifier qu’il s’agissait effectivement d’un cadavre, c’est également ce qu’affirme l’auteur d’une autre vidéo, montrant la même scène. Géolocalisation ici.
No puedo creer que esto suceda en Guayaquil, cremasion en la calle esto cada día es peor 😭 #FallecidosCovid19Ec pic.twitter.com/MjI49X1Q8Y
rabbit12ghost (@rauljhon1) March 31, 2020
"Un corps ici au milieu de la rue", commente l’auteur de cette vidéo. Là encore, même si nous n’avons pas pu vérifier que c’était bel et bien un cadavre, c’est également ce qu’affirme l’auteur d’une autre vidéo, montrant la même scène. Géolocalisation ici.
"Au bout de quatre jours, le corps commençait à se décomposer"
Estefania Mora vit dans le quartier Monte Sinai, situé en périphérie de Guayaquil (nord-ouest). Elle raconte le calvaire de sa famille à la suite du décès de son oncle, le 29 mars.
Mon oncle avait des douleurs au foie, et à la toute fin, il manquait d’air et il toussait. Mais nous ne savons pas si son décès est lié au coronavirus ou non, car aucun test n’a été réalisé.
Quand il est mort, nous avons appelé le 911 à plusieurs reprises, mais il a été très compliqué de les joindre. Quand nous avons réussi à parler à quelqu’un, on nous a dit que nous devrions attendre 10 jours avant que son corps soit retiré...
Au bout de quatre jours, le corps commençait à se décomposer et à sentir mauvais, donc nous avons acheté le cercueil le moins cher possible, pour le mettre dedans. Mais il nous a quand même coûté 400 dollars [368 euros, NDLR], alors que le prix normal est de 150 à 200 dollars [138 à 184 euros, NDLR]. [Pour pallier le manque de cercueils, la municipalité a annoncé, le 5 avril, la distribution de 1000 cercueils en carton, NDLR.]
Dans cette vidéo, le cousin d’Estefania Mora montre le cercueil où se trouve son père, dans leur cuisine. Vidéo transmise à notre rédaction par Estefania Mora.
Puis, le lendemain, nous avons mis le cercueil dans un véhicule, dans l’optique de l’emmener au cimetière général. Mais la police nous a dit de retourner chez nous.
De toute façon, au cimetière, il y avait une centaine de personnes qui faisaient la queue tous les jours, pour demander à enterrer un proche, alors qu’il est possible d’enterrer 20 personnes par jour seulement. De plus, nous aurions dû payer 500 dollars [460 euros, NDLR] pour enterrer notre oncle à l’endroit où se trouve déjà ma tante, décédée huit ans plus tôt. C’est beaucoup trop cher, alors que nous avons à peine de quoi manger, puisque nous ne pouvons plus sortir pour travailler. Si le coronavirus ne nous tue pas, ça sera la faim.
"Nous avons commencé à creuser un trou sur un terrain, pour enterrer mon oncle"
Au bout de six jours, nous avons commencé à creuser un trou sur un terrain, derrière la maison de mon oncle, pour l’enterrer là. Mais les forces de l’ordre sont arrivées et nous ont dit que nous ne pouvions pas faire cela. Elles ont dit qu’un véhicule de la médecine légale allait venir, et qu’il pourrait retirer le corps pour qu’il soit mis dans une fosse commune, ce que nous avons refusé.
Début avril, la famille d’Estefania Mora a commencé à creuser un trou pour enterrer son oncle. Vidéo transmise à notre rédaction par Estefania Mora.
Au final, nous sommes allés au cimetière du Suburbio, situé plus au sud, où des emplacements étaient à vendre, au prix de 200 dollars [184 euros, NDLR]. Nous sommes parvenus à acheter un emplacement, et nous avons finalement pu enterrer notre oncle le 5 avril, une semaine après son décès.
Dans le secteur où l’on vit, il y a beaucoup de morts, et certains sont retirés au bout de 8 à 10 jours seulement…
La famille d’Estefania Mora emmène le corps de l’oncle décédé au cimetière. Vidéo transmise à notre rédaction par Estefania Mora.
Une "force d’intervention conjointe" créée par les autorités
Face à l’urgence de la situation, une "force d’intervention conjointe" a été mise en place par les autorités la semaine du 30 mars, afin d’aller retirer les corps. Durant plusieurs jours d’affilée, cette dernière est allée récupérer plus de 500 cadavres au domicile des gens.
Hoy trabajamos en el sur de Guayaquil realizando el levantamiento de fallecidos reportados hoy; a sus familiares les expresamos nuestras condolencias y les dimos la tranquilidad de que van a ser inhumados de forma digna, gratuita y unipersonal. pic.twitter.com/d24dqQUVy4
Jorge Wated Reshuan (@JorgeWated) April 6, 2020
Tweet du chef de la “force d’intervention conjointe”, concernant le retrait de cadavres dans le sud de Guayaquil.
Fin mars, Blanca Moncada Pesantes, une journaliste locale, a également commencé à alimenter un fil Twitter, pour indiquer la localisation des cadavres. De plus, des cimetières sont en train d’être agrandis dans la ville.
“Les cadavres ont commencé à s’accumuler à l’hôpital autour du 25 mars”
Outre la présence de cadavres dans les rues et chez les gens, la situation a également été très critique dans les hôpitaux de Guayaquil ces derniers jours. Un médecin travaillant au service des urgences de l’hôpital "Los Ceibos" a accepté de témoigner, sous couvert d’anonymat.
Nous avons vu les premiers patients atteints du coronavirus début mars. Mais cela a commencé à être très critique autour du 25 mars, car les cadavres ont commencé à s’accumuler. Durant plusieurs jours d’affilée, nous avons eu 150 décès par jour environ, rien qu’aux urgences, alors qu’en temps normal, nous en avons quatre ou cinq maximum. C’est du jamais-vu. Presqu’aucun test n’a été fait, mais la grande majorité des patients décédés souffraient de dyspnée [difficulté respiratoire, NDLR], ou encore de pneumonie, donc nous pensons que la plupart avaient le coronavirus.
Normalement, quand un patient décède, il est amené à la morgue. Mais ces derniers jours, tous les corps n’ont pas pu être transférés là-bas immédiatement car il y en avait beaucoup trop. Du coup, ils sont restés dans d’autres pièces de l’hôpital.
🛑 Lenin Moreno sin capacidad para enfrentar esta pandemia, las cosas están peor cada día en Ecuador
𝓡𝓪𝓺𝓾𝓮𝓵 𝓭𝓮 𝓖𝓱𝓸𝓼𝓽 (@Morenasa021) April 1, 2020
⚠️Cadáveres cerca de personas en el hospital de los CEIBOS en #Guayaquil. pic.twitter.com/xP8Xf60gx2
Vidéo tournée à l’hôpital "Los Ceibos", dans une salle du service des urgences, selon ce médecin.
Par ailleurs, concernant les corps transférés à la morgue, cela a été fait tellement à la va-vite que beaucoup ont été amenés là-bas sans indentification. Du coup, les familles ont ensuite peiné à retrouver leurs proches, faute de nom sur tous les corps.
Depuis quelques jours, la situation est toutefois sous contrôle. Il n’y a plus autant de corps à l’hôpital, car ils sont désormais retirés plus rapidement, et car il y a nettement moins de morts qu’avant.”
ASÍ! Y solo en un hospital. pic.twitter.com/KEIrwNTYDl
Carlos Vera (@CarlosVerareal) March 31, 2020
Vidéo tournée fin mars à la morgue de l’hôpital "Los Ceibos", comme l’a confirmé ce médecin, et comme l’a vérifié CheckNews de Libération.
Ces derniers jours, les autorités ont également mis en place plusieurs conteneurs réfrigérés à l’extérieur de différents hôpitaux de Guayaquil, afin de garder les cadavres avant qu’ils ne soient enterrés ou brûlés.
Article écrit par Chloé Lauvergnier (@clauvergnier)